La chronique de Jean-Philippe de Garate
12H29 - mardi 12 janvier 2021

Les deux France et le maître du paradoxe : Zola. Chronique d’une nouvelle époque de Jean-Philippe de Garate

 

La France, qui ne le voit, qui ne le sent ? ne va pas bien. Pourquoi ? La Covid ? Non, pas seulement ! et bien sûr, nous savons : chômage, pauvreté, éclatement des communautés, des conditions de vie, des quartiers, églises rasées, centres commerciaux emplis ou vides, parkings désolés, foules ici et hommes nulle part…. Pour essayer de comprendre, on peut comparer dans l’espace, avec l’Angleterre ou la Birmanie…  Ou dans le temps. 

Prenez 1870-71, la période « mal-aimée » de notre histoire. Et après… Des années charnières qui, soit dit en passant, portent en elles la suite : conflits idéologiques, institutions en question, revendications partant en tous sens, haine entretenue envers telle minorité, conspirations et espionnite … De rares accalmies, mais jamais de véritables réconciliations entre deux crises.  Cette période encore insuffisamment revisitée transporte surtout sa classification rigidifiée par le temps … et nombre de poncifs sur les personnages de l’époque ! Parmi eux, une de ses figures emblématiques, Emile Zola. Avec une question qui résume.

Le test est simple. Demander autour de soi à quel camp politique appartient Zola (1840-1902) : Emile était-il Communard ou Versaillais ? La réponse fuse, tant elle semble évidente ! Le républicain exécrant le Second Empire, le fondateur du naturalisme en littérature décrivant la dure réalité sociale, l’auteur de Germinal (1885) Nana (1880), tant d’autres œuvres, le pamphlétaire de « J’accuse », l’homme public qui lutte pour la justice contre l’ordre établi – Dreyfus plutôt que l’Etat-Major -, le condamné par les Assises de Versailles fuyant la France le 18 juillet 1898 pour échapper à la prison, la peine maximale qui lui a été infligée, est de gauche ! Communard, évidemment !

Avec lui, accumuler les preuves – ses articles de presse par centaines- et arguments dans le plateau senestre de la balance, tient presque du jeu. D’autant que ce « classement » perdure avec le temps. Juste un exemple, trente ans après sa mort.

Alors catalogué par Aragon « écrivain communiste » pour son « Voyage au bout de la nuit » (1932), Louis-Ferdinand Céline consacre le premier octobre 1933 à Zola son -seul- discours dédié à un pair, sur le perron même de la maison de campagne du maître de Médan. Céline, lui, on le sait, n’était pas de gauche. Le malentendu était total, la suite l’a amplement montré. Mais Zola ? La ligne de césure était-elle si claire ? 

Un épisode en dit long sur les ardeurs ambigües de l’écrivain qui repose depuis juin 1908 au Panthéon, près de Jean Jaurès mais loin de Louise Michel, dont le corps demeure au cimetière de Levallois.

Ayant quitté la capitale assiégée à l’hiver 1870, Zola et les siens rejoignent Paris en mars 1871. L’écrivain collabore à La Cloche, journal violemment hostile à la Commune. Le 18 mars, la Commune proclamée, Zola compte parmi les premières personnalités arrêtées sur ordre du comité exécutif. A peine libéré, il est désigné comme otage ! Rappelons que des dizaines d’otages, dont l’archevêque de Paris, furent massacrés par les Communards. Passant clandestinement par Saint-Denis -alors sous contrôle prussien- Zola fuit à nouveau la « ville rouge » et n’y remettra les pieds qu’après l’écrasement de la Commune dans le sang.

Le 3 juin 1871, il ira jusqu’à écrire dans la Revue « Le Sémaphore » au sujet du peuple de Paris : « Le bain de sang qu’il vient de prendre était peut-être d’une horrible nécessité (sic) pour calmer certaines de ses fièvres. Vous le verrez maintenant grandir en sagesse et en splendeur » 

On lirait plus volontiers ces propos sous la plume du marquis de Galliffet, le « massacreur de la Commune » que sous celle de Louise Michel ou de Rossel, officier patriote… fusillé à Versailles.  Mais, le temps passant, l’humaniste reprend ses droits. Zola défendra les amnistiés (lois de 1879 et 1880) et soutiendra le Communard Jules Vallès pour permettre la publication de ses œuvres. Et on n’oublie pas Dreyfus, et la part essentielle que tint Zola dans « l’affaire ». Zola mourut assassiné – hypothèse loin d’être fantaisiste- dans son logement du quartier des Batignolles. Pour autant, demeure un mystère : Zola était-il Versaillais, puisqu’il a condamné la Commune et en a été persécuté ? Mais alors, pourquoi mourir probablement assassiné par un membre de la Ligue de la Patrie française ?

Comme souvent en Histoire, les choses ne sont ni noires ni blanches, mais gris clair ou gris foncé. Et la vérité d’un « écrivain politique » se trouve dans … ses livres de fiction.

La Débâcle (1892), ultime roman de la série des Rougon-Macquart, consacré à la séquence historique allant de Sedan à la Commune de Paris, apporte à Zola son plus grand succès de librairie. Pourquoi ? Bien moins lu aujourd’hui que L’Assommoir ou La Bête humaine, La Débâcle recèle un aspect essentiel de la réflexion de l’écrivain. Et sur notre pays.

En mot, Jean Macquart est Versaillais, son frère Maurice Communard. Les deux combattent les armes à la main. L’heure n’est plus aux vagues opinions, mais aux actes. Jean va tuer Maurice, à la baïonnette, lors de la Semaine Sanglante. 

Et c’est autant Zola que Jean que l’on lit dans cette dernière phrase de La Débâcle : « Le champ ravagé était en friche, la maison brûlée était par terre ; et Jean, le plus humble et le plus douloureux, s’en alla, marchant à l’avenir, à la grande et rude besogne de toute une France à refaire. »

Ce paradoxe est bien celui de Zola. Et des deux France. Rien de nouveau sous le soleil …de l’hiver français.

 

Jean-Philippe de Garate