Nos coups de cœur parisiens
06H15 - samedi 5 décembre 2020

Guy Savoy : entretien avec un homme en colère

 

C’est un homme en colère qui a reçu hier Opinion Internationale. Guy Savoy, « Monsieur » Guy Savoy devrait-on dire, est un des plus grands ambassadeurs de la cuisine française, de cet art d’être Français que le président de la République aime à entonner dans ses discours… et trop souvent que dans ses discours…

L’homme, le chef d’entreprise, l’amoureux de la France ne décolère pas d’être contraint de laisser fermer le meilleur restaurant du monde, la Monnaie de Paris. Mobilisé avec « Le Chiberta – Traiteur avec Guy Savoy » pour sauver notamment ses producteurs des terroirs de France, il répond aux annonces du président de la République qui nous « promet » une sortie du confinement au mieux fin janvier 2021.

Un entretien d’autant plus utile que le premier ministre vient d’annoncer vouloir faire de 2021 « l’année de la gastronomie française » afin d’aider les restaurants. Plaidant pour « valoriser le savoir-faire de nos bars et restaurants » ou encore pour « les aider à moderniser leur outil de travail », Jean Castex indique qu’il désignera « une personnalité qualifiée pour préparer ce grand chantier en lien étroit avec les professionnels ».

Une annonce qui risque d’être perçue comme une insulte par des bars et les restaurants condamnés à mort par une gestion administrative puisqu’ils resteront fermés au moins jusqu’au 20 janvier.

Entretien publié le 26 novembre 2020 avec un homme, un grand artiste, en colère.

Opinion Internationale : Monsieur Guy Savoy, que pensez-vous de la situation, notamment à la lumière des décisions annoncées mardi soir par le président de la république ?

Guy Savoy : Emmanuel Macron s’appuie sur une seule étude établie aux Etats-Unis lors du premier confinement pour maintenir encore et encore la fermeture de tous les restaurants ! Une seule étude, venue d’ailleurs de surcroît. Alors que l’on sait que de nombreuses études ont été invalidées ensuite par d’autres revues scientifiques. A quoi sert Santé Publique France qui aurait au moins pu diligenter une contre-enquête avant que l’on interrompe la vie de centaines de milliers de nos confrères ?

 

Que reprochez-vous à l’approche gouvernementale ?

Nous subissons la même aberration que les lieux de culte. La cathédrale de Chartres est traitée (maltraitée devrais-je dire) comme la chapelle d’Oppède dans le Lubéron rénovée par Michel Leeb… ! « Les restaurants », cela ne veut rien dire. Chaque établissement est différent. Chez moi, mais aussi très souvent en province (mes confrères de province disposent de salles vastes comme des cathédrales), les clients ne se croisent jamais, les tables sont grandes. Si j’avais scrupuleusement respecté les jauges imposées administrativement, j’aurais dû rajouter des tables !

 

Comment expliquez-vous ce qu’il faut bien nommer une vraie insensibilité du pouvoir politique à la détresse de vos métiers ?

Ecoutez bien, les soixante-cinq personnes de mon personnel sont saines. Aucune n’est tombé malade depuis février. J’ajoute être la première personne à risque vu ma jeunesse ! L’hygiène est une donnée de base de mon activité, et je la fais scrupuleusement respecter ! Tous les quinze jours, tous mes collaborateurs sont testés Covid. Je le répète : aucun n’a été et n’est malade.

Et pourquoi ? L’hygiène fait partie de l’ADN de notre métier ! Vous vous rappelez, il y a quelques temps, les abattoirs étaient pointés du doigt. Je connais bien la filière. Je voulais comprendre. J’appelle mon ami Jean-Paul Bigard. On s’est aperçu que ce ne sont pas les zones réfrigérées mais les vestiaires qui étaient à l’origine des infections. On recherche donc une solution. J’insiste sur ce point. Nous ne sommes pas intéressés par la polémique mais les solutions ! La solution est trouvée et connue ! Et efficace ! Quelle est cette solution pratique ? Projeter un gaz, l’ozone, pour décontaminer un volume, hors présence humaine et cela, pendant deux heures.

Dans notre établissement, 1, impasse de Conti, vestiaires et livraisons ont pour lieu le sous-sol. Donc, à la fermeture de l’établissement le soir, on injecte deux heures durant ce gaz qui s’infiltre dans les moindres recoins des vestiaires et lieux de livraison, vidés de tout produit.

C’est une solution, je me répète, connue, expérimentée, efficace à cent pour cent. Elle a fait ses preuves ! C’est une entreprise iséroise qui nous l’a fournie.

Et pourtant, en dépit de ces soins attentifs, la fermeture administrative est tombée comme un rideau de fer !

Ce que vous respectez, est-ce transposable à tous vos confrères ?

Je reviens à ma comparaison avec les lieux de culte. C’est très simple. Ou bien la place existe pour faire respecter les mesures barrière, ou bien l’espace est trop exigu. C’est simple à comprendre ! On ne loge pas la cathédrale à la même enseigne que la chapelle. Cette vision globale est aussi absurde que l’esprit qui la nourrit. Un enfant peut comprendre ce que je dis !

Pire, les restaurants qui vont le mieux fonctionner désormais, ce sont les Restos du Cœur, face à l’explosion de la pauvreté. Même Axel Kahn, ce grand Monsieur de la médecine (et il n’est pas le seul), alerte l’opinion : à trop vouloir concentrer ses efforts sur une seule pathologie – la Covid-19 – on néglige les autres qui, évidemment, ne s’évaporent pas par miracle ! La conséquence ? Le nombre de cas de cancer explosera.

 

Dans quel état d’esprit êtes-vous Guy Savoy ?

A titre personnel, cela m’atteint, bien sûr. Mais au bout de quelques heures, ma réaction est tout autre. La colère se transforme en action. Mais je suis révolté par l’illogisme ! Chacun se relève, mais combien de fois peut-on se relever après ces coups, ces mesures ubuesques ? On nous a fermés, puis réouverts, puis imposé le couvre-feu, puis à nouveau fermés ! Cherchez la logique. Quand on se trouve face à Ubu, cela devient difficile.

 

Que ferez-vous jusqu’à l’ouverture possible des restaurants le 20 février 2021 ?

Nous sommes des professionnels, pas des idéologues. Nous avons créé « Le Chiberta – Traiteur avec Guy Savoy », avec mon établissement une étoile des Champs-Elysées : nous avons lancé une plate-forme de « payez et prenez » qui permet aux clients de commander un « plateau apéritif », un « plateau télé » et mes meilleurs plats : comme la soupe d’artichaut, qu’on peut faire réchauffer chez soi, avec la brioche feuilletée aux champignons et beurre de truffe. Nous proposons aussi des coffrets contenant du tarama, un merveilleux saumon fumé, du saucisson, la liste est belle et longue…

Dès le 10 décembre, nous proposerons les produits de fête : les poulardes de Bresse, du foie gras, de la truffe fraîche, des produits de Noël et du Nouvel An. Nous ne pouvons pas – il faut en prendre bien conscience – « passer à côté des fêtes ». Il en va de la survie de la profession, déjà frappée par neuf mois de mesures de coercition publique ininterrompues !

 

Guy Savoy, Trois Etoiles, meilleur restaurant du monde, peut-il envisager d’autres voies ?

Bien sûr ! Il n’est pas question d’abandonner nos fournisseurs, de grands professionnels. Je me limiterai à un exemple : mon producteur de volailles de Bresse, Michel Temporal à Pont-de-Vaux, habituellement, je lui commande une quantité : cent. Là, pour le sauver – il faut employer ces mots ! sauver ! il est au bord du désespoir – je lui en prends la moitié, sans même être certain de pouvoir les vendre.  Nous en sommes là !

Quand vous constatez que Danone supprime 1200 emplois parce que la fermeture des restaurants entraîne une chute drastique de la consommation d’eau minérale, vous saisissez le cercle vicieux dans lequel « on » nous enferme ?

 

Malgré tout, il faut vivre ! Pas seulement survivre ?

Bien évidemment ! Le meilleur moyen de lutter – et la lutte est autant morale que physique – c’est la gourmandise ! C’est cela aussi l’art d’être Français, comme disait Emmanuel Macron. Alors, laissez-nous le cultiver, Monsieur le Président.

 

Propos recueillis par Michel Taube avec Jean-Philippe de Garate

 

 

 

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