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16H19 - jeudi 16 avril 2020

Covid-19 : la France des Lumières s’arrête-t-elle aux portes de la prison de Grasse ? Le coup de gueule de Fabrice Haccoun

 

« La France n’est pas le pays des Droits de l’Homme, mais plutôt le pays des déclarations sur les Droits de l’Homme »… Cette phrase postée sur Facebook par un militant communiste m’avait fait bondir. J’avais alors immédiatement réagi en défendant bec et ongles mon pays, celui que je qualifie en permanence de « plus beau pays du monde ». Oui, le patriote que je suis aime la France, son modèle social qui tente de ne laisser personne au bord du chemin, son système de santé basé sur la solidarité nationale qui permet même aux plus pauvres d’être soignés décemment, son modèle éducatif qui offre aux plus modestes la possibilité de devenir médecin ou avocat sans avoir à débourser des centaines de milliers d’euros comme aux Etats-Unis. Oui j’admire mon pays pour cela à tel point que j’ai probablement été aveuglé. Je n’ai pas voulu voir l’envers du décor un peu comme un enfant refuserait de réaliser que sa mère n’est probablement pas l’être idéal qu’il imagine.

Mais le COVID 19 est passé par là et a balayé une partie de mes illusions, emporté définitivement la parcelle de Candide que j’enfermais encore. Alors que je me plaignais du confinement, une amie m’a réprimandé. Comment oses-tu te plaindre alors que tu es confiné dans les meilleures conditions possibles m’a-t-elle dit ? J’ai failli culpabiliser mais j’ai réalisé que le plus dur dans le confinement n’était pas d’être enfermé dans quelques dizaines de mètres carrés mais bien de se retrouver seul avec soi-même. Nous multiplions les activités car nous avons en réalité peur de cette confrontation avec soi.  J’ai compris ceci depuis peu grâce au confinement. Un coup de téléphone est venu bousculer mes certitudes et donner raison à cet « ami » communiste et à sa citation sur la France des Droits de l’Homme.

Tout commence par un message : « Fabrice, puis-je t’appeler, je ne dors plus, ne mange plus, depuis que j’ai appris ce qui se passait à la prison de Grasse ». Au téléphone, une personne, infirmière dans le Sud de la France. Une fille qui, non contente de faire un métier déjà si utile, consacre son temps libre à aider les familles de détenus dans la détresse. Aujourd’hui, plus que jamais, du fait du confinement, nous prenons conscience de ce qu’est la privation de liberté. J’ai donc pris le temps de l’écouter et ce que j’ai entendu m’a glacé le sang. Je précise tout de suite qu’il s’agit ici de la version des détenus et qu’elle doit bien évidemment être prise au conditionnel et confrontée à celle de l’administration. L’ancien magistrat que je suis connaît parfaitement l’importance du principe du contradictoire.

J’ai donc décidé d’écrire cette tribune, non pas pour accuser l’administration pénitentiaire ou la prison de Grasse, et encore moins son personnel dont je connais la dureté de la tâche. Je souhaite m’appuyer sur ces témoignages afin d’attirer l’attention sur ces oubliés de la République que sont les détenus. Libre à la Garde des Sceaux de diligenter une enquête pour vérifier ces allégations de détenus qui m’ont été rapportées. J’aimerais que notre pays se saisisse enfin de ce problème qui est en réalité le révélateur de la manière catastrophique avec laquelle la France gère ses problèmes en général (pas seulement celui de la détention), à la petite semaine, sans aucune projection ni stratégie.

Je reprends ses propos : « Les détenus ont droit à trois sessions de douches d’une heure par semaine pour une trentaine de détenus. Ils la prennent par série de huit et la douche se fait deux par deux, sans aucune distanciation. La douche est à sept heures. Trente détenus doivent passer en quarante-cinq minutes, certains retournent en cellule shampoing sur la tête, l’eau étant coupée à l’heure pile.

Au lieu de faire ce qu’on appelle des « fouilles à l’ordinateur » (cellules choisies aléatoirement par un logiciel pour éviter l’arbitraire), les fouilles de cellules sont constantes, effectuées à six heures du matin. Huit surveillants démontent tout. Avant la fouille on met le détenu avec un paquetage sans même une bouteille d’eau et après la fouille, il faut entre quarante-huit heures et une semaine pour remettre la cellule en état. Les surveillants ne portent ni masques ni gants, mettent les détenus à nu et les palpent sans protection. Des cas de brutalités sont relatés. La prison est dotée de portiques de sécurité.

Depuis la loi du 24 novembre 2009, les fouilles à nu sont pourtant interdites mais à la prison de Grasse ces vieilles méthodes semblent rester d’actualité : chaque détenu est systématiquement fouillé à nu après le parloir ou les permissions. Normalement les détenus ne peuvent être mis à nu que si les moyens de détection électroniques tels les portiques sont absents.

Des détenus travaillent dans des ateliers car ils n’ont pas d’aide de l’extérieur, ceci pour des salaires de misère. S’ils revendiquent quoi que ce soit on menace de les virer. En pleine crise du Covid-19 et alors que les parloirs sont désormais interdits, Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, a octroyé à chaque détenu un crédit de quarante euros pour appeler les familles. Cette circulaire n’est apparemment pas parvenue jusqu’à la maison d’arrêt de Grasse qui refuse ce droit à de nombreux détenus.

Concernant le linge, ils ont droit à une machine à laver tous les quinze jours alors qu’à la prison de Luyne par exemple, des machines à laver ont été installées à chaque étage depuis le début de la crise du Covid. Une heure de promenade par jour est autorisée, souvent réduite à quarante-cinq minutes le temps de réunir les détenus. Ils sont donc enfermés plus de vingt-trois heures par jour et certains plus de deux jours continus s’ils n’ont pas pu participer à la « promenade ».

Il y a une maltraitance physique et psychologique grandissante. Certains détenus envisagent le suicide. Actuellement pour des raisons sanitaires il n’y a pas de transfert d’une prison à l’autre mais l’administration en question change les détenus de cellules comme bon lui semble alors que plusieurs cas de Covid ont été détectés et semble-t-il non déclarés à l’administration centrale. Les détenus préfèrent d’ailleurs cacher leurs symptômes de peur que leurs conditions de détention ne s’aggravent. Il semblerait aussi que la nourriture soit donnée en quantité moins abondante qu’elle ne le devrait.

Dans toutes les prisons il y a une forme de solidarité. Si un détenu n’a pas de revenus et pas de famille, pas de visite, les autres détenus lui envoient par les fenêtres des « yo-yo » pour qu’ils puissent se passer de la nourriture ou du tabac. Les surveillants coupent tous les soirs ces « yo-yo » pour empêcher cette solidarité de s’exercer. Le 16 mars 2020 le Président de la République a fait une allocution télévisée suivie par les détenus où il stipulait que le confinement commencerait à midi le lendemain. Les familles se sont présentées à huit heures comme habituellement mais les parloirs leur ont été refusés du fait du confinement qui ne devait normalement intervenir qu’à partir de midi.  Les familles sont désemparées, les détenus à bout ».

Nous raccrochons le téléphone là-dessus.

Je suis affecté par ce que je viens d’entendre et je décide donc d’échanger avec un ami qui connaît bien l’administration pénitentiaire pour y avoir travaillé et c’est précisément à ce moment-là que mes illusions se sont envolées. Alors que je lui décris cette situation comme choquante, révoltante, il m’explique que rien ne lui parait anormal dans ce que je décris, que c’est conforme à la dramatique situation carcérale française modulo peut-être un peu de zèle de la part de l’administration de la prison de Grasse. Mon ami communiste avait donc raison. Qui aurait cru que le partisan d’une droite forte, l’obsédé de l’ordre public et de l’autorité que je suis dirait un jour cela. Et pourtant, il faut se l’avouer, en écoutant ce témoignage, la France est le pays des déclarations sur les Droits de l’Homme.

La crise du Covid 19 agit comme un révélateur de ce qu’il y a de meilleurs en nous mais aussi ce qu’il y a de pire. Certains ont décidé de dénoncer leurs voisins, d’autres de résister, de s’élever pour penser à l’après. Penser à l’après, c’est repenser notre système pour enfin caler la réalité sur les ambitions et les valeurs.

Cette ambition passe par une refonte de la manière dont nous abordons les questions sociétales. Puisque l’Etat semble beaucoup plus fort pour imposer la loi au secteur privé qu’il ne l’est pour la faire respecter en son sein, privatisons par exemple les prisons en concluant des partenariats public-privé (PPP) avec à la clé le lancement d’un grand programme de construction de lieux de détention, lançons des grands chantiers de rénovation impliquant des entreprises locales du bâtiment pour dynamiser l’activité économique, employons les détenus pour rénover leur prison sous la supervision de professionnels, ce qui aurait en plus comme vertu de leur apprendre un métier et œuvrer à leur reconversion, privilégions les peines alternatives et socialement utiles comme les TIG (travaux d’intérêt général), revalorisons le statut des surveillants pénitentiaires en particulier leur rémunération, donnons-leur les moyens de travailler décemment et reconnaissons la pénibilité de leur métier, mettons en œuvre des systèmes d’incitation à l’embauche des anciens détenus afin d’éviter la récidive, expulsons les délinquants ou criminels étrangers en les renvoyant dans leur pays d’origine au lieu de les laisser gonfler la population carcérale déjà en surnombre.

Nous savons que nous manquons de CPIP (conseillers de probation) dont la fonction est pourtant essentielle. Faisons comme l’armée et créons un « corps » de réservistes citoyens qui veulent s’impliquer dans la réinsertion de prisonniers, légalisons le cannabis et consacrons une partie des recettes fiscales à la prévention de la délinquance, la réinsertion des anciens prisonniers et la rénovation des lieux de détention, dotons nous d’une réelle politique de lutte contre la délinquance juvénile afin de traiter le problème à la racine, soumettons les subsides sociaux a des conditions éducatives plus strictes, rétablissons l’autorité à l’école, au collège en particulier etc…

J’ai jeté pêle-mêle quelques idées dont certaines avec lesquels je ne suis même pas d’accord juste pour démontrer à quel point le champ des possibles est illimité pour qui veut bien être créatif et se projeter plutôt que de rester le nez dans le guidon. 

Les détenus ne sont certes pour la plupart pas des enfants de cœur (rappelons tout de même qu’il y a une proportion d’innocents dans les prisons par exemple en détention provisoire) mais c’est le devoir d’une société démocratique de traiter avec dignité même ceux qui se sont rendus coupables du pire. C’est précisément pour cela que je suis contre la peine de mort. Car j’abhorre l’idée que l’arbitraire humain puisse décider qui doit vivre ou mourir.

La France se dit être le pays des Lumières : prouve-le ai-je envie de lui dire, prouve-le en assurant même aux plus turbulents de tes enfants, le respect de la dignité sans laquelle l’humanité dont tu te targues n’est qu’un déclaratif vide de sens, comme un corps sans âme.

 

Fabrice HACCOUN

Entrepreneur du numérique, Fabrice Haccoun est impliqué dans l’action citoyenne depuis plus de 25 ans. Co-fondateur de l’UDI avec Jean-Louis Borloo et Hervé Morin, ancien juge au Conseil des Prud’hommes de Paris, il est colonel de réserve de Gendarmerie (RC). Auditeur de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale, il a été membre du Conseil Stratégique pour l’Attractivité (Présidence de la République) de 2013 à 2015. Il a été nommé Chevalier dans l’Ordre National du Mérite le 3 Décembre dernier par le Président de la République pour son action continue en faveur de l’emploi.