Ensemble contre le coronavirus
12H17 - mardi 9 juin 2020

Quelle conception de la paix en droit international en temps de Covid-19 ?

 

 

Le XIVème siècle marquait le début d’un questionnement de jurisconsultes sur la pacification des relations entre puissances européennes. Les projets de paix perpétuelle commençaient à voir le jour. Du projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe de l’Abbé de Saint-Pierre à l’ouvrage de Kant intitulé Vers la paix perpétuelle, tous tentaient de réfléchir sur un certain nombre de règles juridiques permettant aux puissances européennes de garantir une paix durable. Au début du XXème siècle, l’idée selon laquelle la guerre serait – comme le décrit bien l’internationaliste Maurice Bourquin – « devenue un cataclysme ne laissant après elle que des ruines, où vainqueurs et vaincus, belligérants et neutres, se débattent dans une même faillite et dans une même angoisse » faisait son chemin dans l’esprit des dirigeants des Etats. Par ailleurs, il apparaissait évident que la façon de faire la guerre en ces temps était différente par les méthodes employées mais aussi par la sophistication des armes de combat. Il devenait ainsi nécessaire de limiter l’emploi de la force armée ou alors de l’encadrer juridiquement au sein d’entités regroupant les Etats. C’est ainsi que, de tous les projets de paix perpétuelle, celui de Kant inspira philosophiquement les fondateurs de la Société des Nations (SdN) mais aussi ceux des Nations Unies. Ces organisations internationales prônèrent ainsi une institutionnalisation de la paix par le droit.

Avec la création de la Société des Nations, la paix était cantonnée à sa conception négative c’est-à-dire une absence de guerre ou de conflits armés. Le système onusien est allé plus loin dans sa conception de la paix à travers une vision négative mais aussi positive dans sa contextualisation. En effet, pour les rédacteurs de la Charte des Nations Unies, la paix est une « absence de guerre » (conception négative), et de ce fait, il faut veiller à maintenir cet état de paix par la mise en place de mécanismes de règlement des différends entre Etats et de prohiber le recours à la force. Ensuite, il fallait créer une coopération internationale dans les domaines économique, social, sanitaire entre États, propice à la paix et permettant de lutter contre les causes de la guerre. C’est la conception positive. Quoiqu’il en soit ce système somme toute très ambitieux tourne autour de la préservation de la paix internationale en évitant la guerre. Pourtant, face aux nouvelles menaces à la paix comme les crises sanitaires, ce système semble être peu efficace dans son rôle qui est celui de préserver la paix et la sécurité internationales en s’adaptant à l’évolution des menaces.

Les crises sanitaires : une menace à la paix et à la sécurité internationales

La crise sanitaire actuelle a remis à jour les priorités en matière de conception de la paix en droit international. La pandémie de la Covid-19 a ainsi démontré les conséquences néfastes que peut causer une maladie si les structures étatiques ou internationales ne sont pas assez préparées. Ici, la paix n’est pas menacée par la guerre mais plutôt par une maladie infectieuse. Le monde se retrouve confronté à un état de guerre sans chars, ni mitrailleuses ou encore moins de dissuasion nucléaire, mais avec toutes les conséquences qu’engendreraient une guerre à savoir les pertes humaines, la crise économique et sociale, la famine, l’augmentation de la pauvreté dans le monde. En 1945, le système des Nations Unies a été créé dans le but de maintenir la paix et la sécurité internationales en instaurant un mécanisme de règlement pacifique des différends et de sécurité collective ainsi qu’une coopération économique et sociale permettant de lutter contre les causes profondes de la guerre (économique, sociale…). Si la coopération sanitaire internationale est partie intégrante de ce système multilatéral et est chapeautée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), il n’en demeure pas moins que la raison principale de son institutionnalisation restait celle de préserver l’humanité du fléau de la guerre en considérant la maladie comme une cause de la guerre. Les crises sanitaires ne furent donc pas considérées à l’origine comme pouvant être une menace à la paix et à la sécurité internationales nonobstant le fait qu’elles existaient et continuent d’exister. Pourtant, en 2014, le Conseil de sécurité des Nations Unies qualifiait pour la première fois de son histoire une crise sanitaire de « menace à la paix et à la sécurité internationales » (Résolution 2177). Ainsi, l’épidémie de la maladie à virus Ebola de 2014, compte tenu de ses conséquences sur le plan économique, social et politique, menaçait la paix et la sécurité des Etats touchés. On assistait à une contextualisation de la paix mais aussi à un certain « empiétement » du Conseil sur le domaine de l’Assemblée Générale des Nations Unies en se prononçant sur une question d’ordre sanitaire. Quoiqu’il en soit cette qualification laissait croire que le Conseil de sécurité allait peut-être en faire de même concernant la pandémie de la Covid-19 étant donné son ampleur politique sans précédent.

Si les discussions et négociations sont entamées en vue de l’adoption d’une résolution sur la pandémie, il n’en demeure pas moins qu’en réalité l’organe phare des Nations Unies est paralysé sur cette question en raison du fait que le problème présente un caractère géopolitique. Pourtant, la pandémie reste sans aucun doute, au regard des conséquences économique et sociale qu’elle engendre, une menace pour la paix. Une paix qui semble se concevoir comme étant une absence de crises sanitaires en ces temps de pandémie de la maladie à coronavirus (Covid-19). Cela pourra se traduire dans l’avenir par une coopération internationale renforcée capable de mettre en place une riposte efficiente face aux crises sanitaires.

 

Sokhna Fatou Kiné Ndiaye

Doctorante en droit public mention droit international public, Institut de Droit public, Sciences politiques et Sociales (IDPS), Université Sorbonne Paris Nord