Ensemble contre le coronavirus
12H05 - dimanche 7 juin 2020

Le solidarisme, maître-mot du jour d’après. La chronique de Michel Scarbonchi

 

La France, le monde vivent une pandémie qui a bouleversé nos vies, arrêté nos économies, traumatisé nos sociétés provoquant une remise en cause de la mondialisation dans laquelle nous pensions avoir trouvé progrès, valeurs et sens. L’arrêt brutal qu’a provoqué le virus Covid-19 nous interpelle individuellement et collectivement, citoyen comme gouvernant, entrepreneur comme salarié, jeune ou âgé, riche ou pauvre.

 Le Président Emmanuel Macron n’a-t-il pas avoué qu’il fallait nous « réinventer », lui, le premier ! Comment nous » réenchanter » ?… Socialisme, libéralisme radicalisme, social-démocratie, conservatisme, tous ces mots identitaires, sans perdre de leur sens, n’ont plus le même impact chez les français. Ils sont usés, banalisés, » formolisés ».

Depuis trente ans, que ce soit à gauche, à droite, dans les mouvements associatifs, écologiques ou les ONG, le terme le plus employé est solidarité ! Cette « solidarité » s’est d’autant plus imposée qu’augmentaient de façon sensible dans la société l’exclusion sociale et la non-intégration, les inégalités sociales, éducatives et sanitaires, la pauvreté et les risques de catastrophes climatiques, industrielles, épidémiques.

Nos politiques, pendant dix ans, n’avaient cessé d’opposer les Français les uns aux autres : les jeunes et les seniors ; l’instituteur et le curé ; le public et le privé ; les enseignants et les parents ; les collectivités locales et l’Etat ; les classes moyennes et les riches ; les immigrés et les Français « de souche », comme on opposait socialisme et libéralisme… Le tout dans une ambiance sociétale sécuritaire hyper répressive provoquant une exceptionnelle » fragilisation « d’une société française fracturée.

Au point de favoriser, en 2017, l’élection d’un inconnu qui, avec le « en même temps », promettait le » nouveau monde » effaçant en quelques semaines partis, idées et classe politique du passé. Mais s’il disposait d’une « chambre introuvable » pour gouverner, il lui manquait un corpus doctrinal approprié à ce monde nouveau qu’il voulait bâtir. Si, avec « En Marche », le nouveau chef de l’Etat avait recréé le grand parti radical de la troisième République, il n’avait pas de logiciel idéologique.

Très vite, sa volonté réformatrice se heurta aux intérêts particuliers du « monde d’avant » et sa « garde technocratique » le coupa des réalités du terrain.

Or, aujourd’hui, la seule chance de la France, « ce n’est plus les uns contre les autres mais les uns avec les autres ». Pourquoi le Président ne s’inspirait-il pas du Solidarisme que théorisa, au sein du Radicalisme, Léon Bourgeois, en 1896, doctrine morale et sociale fondée sur le principe de responsabilité mutuelle qui oblige les êtres humains les uns envers les autres et qui se voulait une alternative au socialisme et au libéralisme ? 

Léon Bourgeois fut Président de la société des Nations (SDN) en 1919, l’ancêtre de l’ONU, et Prix Nobel de la Paix en 1920. Il est l’auteur de l’impôt sur le revenu et des premières lois sur la protection sociale (retraites, accidents du travail). On ne peut rêver meilleures références.

Le temps n’est-il pas venu pour le Président de mettre en avant cette doctrine pour la France, l’Europe et le monde ? Car une chose est certaine, nous réussirons ensemble ou nous perdrons séparément ! 

Pour notre pays, ce solidarisme, ou comment concilier liberté individuelle et redistribution sociale, exprimerait toute sa pertinence dans la Solidarité entre les générations avec le contrat générationnel ; la Solidarité sociale avec le nouveau contrat social porté par une revalorisation des métiers, des statuts et des salaires et la transition écologique ; la Solidarité des territoires avec la fusion des compétences des départements et des régions et le droit de ces collectivités uniques « à la différenciation ».

Solidarité à l’égard des générations passées car sans racines (sans mémoire, nous ne sommes rien) ; solidarité à l’égard des générations futures car si nous avons eu le mieux pourquoi devrions -nous leur léguer le pire ?

Solidarité sociale car sans elle, le progrès n’a pas de sens.

Le solidarisme, c’est le vivre ensemble, » tous avec tous » quand pour l’extrême droite et l’extrême gauche, c’est « tous contre tous ».

Le Solidarisme unit quand le socialisme associe et le libéralisme individualise. Les Français ne veulent plus ni d’une idéologie, le socialisme, qui égalise et collectivise ni d’une autre, le libéralisme, qui égoïse et divise.

Notre société est aussi marquée par la disparition du lien – social, culturel, familial. Or aucune société ne peut se développer ni survivre sans liens. Le solidarisme, c’est notre capacité à préserver ou à recréer ce lien. Et à choisir les liens plutôt que les biens.

Pour faire face aux colères qui s’annoncent et aux défis à relever, le Président devra, dans un premier temps, celui de « l’esprit de résistance », réparer et sauvegarder l’essentiel de notre économie, » quoi qu’il en coûte ». Puis, dans une deuxième phase, dans « un esprit de conquête » assurer un plan de relance, original, novateur, audacieux, traçant un avenir au peuple de France. Ce sera la condition du redressement.

L’Europe, seul avenir pour la France

Mais redresser la France ne sera pas suffisant sans un sursaut européen et une réelle gouvernance mondiale. Car nous ne pouvons pas réussir seul, mais tous ensemble ! 

L’Europe doit être solidaire pour surmonter la gigantesque crise qui s’avance. Cela ne nécessite pas seulement un plan de relance socialement et financièrement colossal, tel que le Président français et la Chancelière allemande viennent de l’annoncer (500 milliards d’euros), mais des réformes rapides de l’Union européenne, notamment l’harmonisation budgétaire, fiscale et sociale de ses 27 membres, mettant fin aux politiques de dumping et de concurrence déloyale entre pays membres, la mise en place d’une coordination des politiques sanitaires avec un COS sanitaire pour donner à l’UE réactivité et agilité face aux pandémies.

La solidarité européenne seule permettra de jouer un rôle plus efficace dans le multilatéralisme et mettre fin au » duo mortifère » américano-chinois dans les relations internationales.

Une des leçons de cette pandémie aura été l’impossibilité, même en visioconférence, d’une réunion du Conseil de Sécurité de l’ONU pour traiter du Covid-19 ! Le monde traverse une crise exceptionnelle et aucune réunion internationale ne se tient ? Absurdité de la coopération internationale.

 

Réformer l’ONU

Trump en est en partie responsable tout à son isolationnisme et à une calamiteuse gestion du virus dans son pays. Toujours est-il que cette crise sanitaire mondiale démontre l’impérieuse nécessité d’une gouvernance mondiale. Outre son absence de régulation, l’une des faiblesses de la mondialisation repose sur son absence de réelle gouvernance.

Demeure donc la réforme de l’existant, à savoir l’ONU. Révision de sa structure, de ses pouvoirs comme l’autorise l’article 109 de sa Charte. L’humanité est prête à accepter des idées et des évolutions nouvelles.

La première réforme sera celle de la composition du Conseil qui doit représenter plus justement les peuples du monde, alors qu’aucun membre de l’Afrique et de l’Amérique du Sud ne figurent encore en son sein.

Ensuite, celle de ses pouvoirs qui sont limités à la paix et à la sécurité et qu’il faut donc étendre au climat, aux risques industriels, biologiques pandémiques, à l’espace, sachant que des agences onusiennes existent déjà.

Le droit de veto devra être supprimé et la majorité devenir la règle.

Et pourquoi ne pas imaginer, dans le futur, l’élaboration d’une Constitution mondiale établie par l’Assemblée Générale qui n’agira plus par voie de recommandations prises à la majorité des deux tiers mais à la majorité des voix. Puisque nous sommes tous membres d’une même civilisation, renforcer l’ONU est le seul moyen de parvenir à une gouvernance mondiale.

La solidarité au sein des nations comme entre les peuples est le meilleur moyen de combattre les peurs qui sont nées de la formidable accélération du changement et du peu d’espérance dans le futur de nos concitoyens. La solidarité, c’est aussi le meilleur moyen de combattre le repli sur soi, l’isolement, le rétrécissement culturel, la défiance de l’autre, le refus du moindre risque, en un mot, la « fin de l’histoire » dont se nourrissent les populismes et les « apprentis-sorciers » de l’enfermement.

Dans l’incroyable bouleversement que nous subissons, le Président Macron devra faire sien ces mots de Victor Hugo, dans Les Misérables (chapitre XI) « tenter, braver, persister, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait, affronter la puissance injuste, tenir bon, tenir tête. Voilà l’exemple dont les peuples ont besoin et la lumière qui les électrise ».

 

Michel Scarbonchi

Ancien député européen