Le site gouvernemental intitulé « Risques, prévention des risques majeurs » décrit les différentes étapes d’une gestion de crise. Cela va de sa survenance, en passant par l’activation de la cellule interministérielle de crise, sa gestion opérationnelle, le bilan et la sortie de crise jusqu’à la préparation de la prochaine crise. Cette cellule interministérielle est elle-même composée d’une cellule dite de « situation » qui dresse un état des lieux de la crise en s’intéressant à ses origines, à son impact matériel et humain ainsi qu’à ses conséquences potentielles, d’une cellule « anticipation » qui identifie tout événement pouvant compliquer la gestion de la crise et propose les actions pouvant être mises en œuvre, d’une cellule « décision » qui examine les propositions d’action produites par les cellules « situation » et « anticipation » et prend des décisions pour la conduite de la crise, enfin d’une cellule « communication » qui élabore un plan de communication adapté et pilote l’ensemble des actions du dispositif de communication.
En conclusion, le paragraphe intitulé « veille » retient l’attention :
« Les crises y lit-on, apparaissent rarement sans prévenir et peuvent le plus souvent être anticipées. Pour ce faire, des moyens humains et techniques sont déployés pour effectuer une mission de veille. Les autorités publiques et les opérateurs sont ainsi équipés d’outils de veille performants et adaptés à chaque type de risque. En outre, la diffusion d’une culture du risque, grâce à des campagnes nationales de sensibilisation, permet de renforcer la vigilance collective et de détecter des signes avant-coureurs. »
Dès lors, soit la crise sanitaire d’aujourd’hui est apparue sans prévenir et n’a pas été anticipée, soit les moyens humains et techniques ont été défaillants et les outils dits performants et adaptés n’étaient ni l’un ni l’autre. Je ne doute pas que ces différentes cellules soient composées de hauts fonctionnaires et de spécialistes de toutes disciplines, scientifiques, militaires, universitaires etc. Qu’est-ce qui leur a donc manqué ?
L’hiver dernier, le ministère de la Défense a lancé un appel public pour constituer une Red Team qui aurait pour mission d’imaginer et de créer des scénarios futuristes et disruptifs au profit de l’innovation de défense. Placée sous l’égide de diverses directions des armées et de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie, ses travaux auraient pour objectif d’orienter les efforts d’innovation du ministère des Armées en imaginant des capacités militaires disruptives. Pour ce faire, elle ferait appel à des auteurs de science-fiction. Il y a fort à parier que les grandes armées du monde, au premier chef desquelles l’armée américaine, ont recours à des idées similaires tant les romans ou scenarii de certains films de science-fiction peuvent parfois et même souvent tomber juste dans les mondes futurs qu’ils décrivent. Nombreux sont les romans de science-fiction bâtis sur des univers post-apocalyptiques. Les causes de ces univers chaotiques sont variées : guerre nucléaire (bien que cette préoccupation semble être passée au second plan), naturelles ou écologiques (astéroïde, tsunami, submersion des terres, nouvelle ère glaciaire…) industrielles (pollution à grande échelle) avec toujours les conséquences sociales qui en résultent (guerre de tous contre tous) mais aussi biologiques, souvent avec l’apparition d’une pandémie destructrice. Ces mondes dévastés sont l’occasion pour leur concepteur de développer l’idée d’un nouveau départ pour l’humanité quand ils n’apparaissent pas comme un moyen de la régénérer. Les créations littéraires et cinématographiques sont nombreuses. De La Peste écarlate de London publiée en 1912, en passant par Je suis une légende de Richard Matheson publiée en 1954. Dans ce livre, une bactérie infecte l’humanité et la transforme en créatures proches des vampires. Ses versions cinématographiques, le Survivant (1971) avec Charlton Heston ou le film éponyme avec Will Smith sorti en 2007, ont d’une certaine manière gommé la dimension vampirique des créatures au profit d’une approche plus scientifique : la recherche effrénée de l’anticorps. Il faut citer Les Yeux des ténèbres, publié en 1981 dans lequel l’écrivain Dean Koontz imagine qu’un virus créé dans un laboratoire chinois (soviétique lors de la première édition) dans la banlieue de la ville de Wu-Han, à l’origine pour éliminer des dissidents, menace l’humanité toute entière. Surprenant ! Ou encore l’Armée des douze singes de Terry Gilliam etc.
Si les questions philosophiques posées par ces œuvres sont loin d’être inintéressantes, avec souvent le besoin de création d’un ennemi de l’extérieur ou de l’intérieur ou encore une fascination pour le « survivalisme », le survivant étant un nouveau Robinson Crusoé retrouvant l’état de nature, les fictions qui conduisent à de telles situations mériteraient d’être prises au sérieux par les gouvernements tout comme l’armée a besoin d’imaginer des scénarios disruptifs. Quand ce ne sont pas des savants fous ou des dirigeants paranoïaques qui sont à l’origine de ces pandémies, ce sont les animaux. J’en reviens au site gouvernemental. « Les crises apparaissent rarement sans prévenir et peuvent le plus souvent être anticipées. » Je lisais dans un quotidien national que dans son rapport sur « les tendances globales en 2025 » paru en 2008, le NIC, le centre d’analyse prospective de la CIA et de la communauté du renseignement américain, avait prévu « l’émergence d’une maladie respiratoire humaine hautement transmissible et pour laquelle il n’y aurait pas de contre-mesure adéquate et qui pourrait déclencher une pandémie mondiale.. » Si une telle maladie surgit, « elle apparaîtra probablement dans une zone densément peuplée, où les animaux et les hommes vivent à proximité les uns des autres, comme en Chine ou en Asie du Sud-Est. » Science-fiction ou prospective ?
A toutes les étapes de la gestion de crise et notamment au niveau de la veille, devraient être présents les meilleurs auteurs de science-fiction auxquels on demanderait moins d’imaginer la survie de l’espèce que les conditions les plus imprévisibles d’une catastrophe. Aucune école grande ou petite n’enseigne hélas l’imagination. Pourtant, j’ai toujours considéré cette faculté humaine comme un outil de connaissance. En période de crise, plus que jamais, le pouvoir a besoin d’imagination. Mais là nous sommes loin de la politique. Alors que la loi sur l’état d’urgence prévoit des volets sanitaires et économiques urgents à mettre en œuvre, peut-être faudra-t-il plus d’imagination que de mesures techniciennes ou bureaucratiques pour surmonter cette crise terrible.
Encélade