Ensemble contre le coronavirus
11H42 - mercredi 11 mars 2020

Coronavirus : la bourse ou la vie ? L’édito de Michel Taube

 

« La mort d’un homme est une tragédie. La mort d’un million d’hommes est une statistique », aurait dit Joseph Staline, qui en matière de statistiques macabres, savait de quoi il parlait ! Avec le coronavirus, nous pourrions suivre un cheminement intellectuel de même ordre pour nous habituer et accepter le phénomène naturel et ancestral de la pandémie. Et nous devrions le faire d’autant plus volontiers que le Covid 19 est finalement un virus assez bénin pour la grande majorité des personnes infectées, et qu’il nous permet de nous préparer à ce qu’aurait pu être, et sera peut-être un jour le cas, une dissémination planétaire d’un virus aussi mortel que le choléra ou Ebola, condamnant à mort les ¾ des personnes infectées.

Covid 19 n’est ni Ebola ni la bonne vieille grippe, qui malgré les 5000 victimes qu’elle fait chaque année en France (les « bonnes » années), est pour le moment tellement plus mortelle que ce Coronavirus qui provoque la mise en quarantaine de nouveaux pays comme l’Italie ou de territoires quasi confinés comme la Corse et l’effondrement des Bourses, en attendant peut-être celle de l’économie.

Mais les dirigeants de la planète sont-ils devenus fous au point de sacrifier leur économie pour une « grippette », comme on l’entend encore dire ?

 

Et si l’on parlait du scénario catastrophe ?

Sous toutes réserves dues largement à la méconnaissance du virus et à l’évolution constante de la situation, osons quelques projections… Une personne atteinte du coronavirus le transmet en moyenne à 2,2 personnes (1,3 pour la grippe et 6 pour la rubéole). Le temps d’incubation, d’abord estimé à deux à trois semaines, a été revu à la baisse : six jours en moyenne. Cela signifie donc que, sans mesures prophylactiques, si l’on place un individu malade dans un local clos, parmi 100 personnes saines, on se retrouvera avec 3,2 malades en six jours (2,2 en plus du 1er sujet), 7,6 en 12 jours et 24 en 18 jours. Dans cette logique purement théorique, où tout le monde serait en contact avec des personnes infectées, 24 % de la population pourrait être touchés. La France, comme tant d’autres pays, se prépare à la possibilité d’entrer en phase de croissance exponentielle de l’épidémie, comme la Chine et l’Italie avant elle.

Une autre approche arithmétique consiste à partir des chiffres de la grippe : le coronavirus étant 1,7 fois plus contagieux que la grippe saisonnière, qui touche chaque année en France environ 2.500.000 personnes, le calcul donnerait 1,7 x 2.500.000, soit 4.250.000 de personnes infectées par le coronavirus, rien qu’en France, dont près de 12 à 14 % seraient plus sévèrement atteintes sur le plan pulmonaire, et devraient être hospitalisées, la moitié en soins intensifs. Compte tenu de la mortalité du coronavirus, estimée à 2,6%, cela nous donnerait (en théorie) plus de 90.000 morts, voire plus encore : au pic de l’épidémie, dont on ne sait quand il se produira, nos infrastructures hospitalières seraient en risque de saturation, en particulier s’agissant des soins intensifs (environ 240.000 lits adultes et 5000 en soins intensifs sont disponibles). En Italie, l’effet de cette saturation dans certaines zones a fait passer la mortalité de 2,6 % à 3,9 %. Le nombre de décès dépasserait alors 150.000, voire davantage, du fait d’autres pathologies affectant certains patients, et qui ajoutées au coronavirus, ne pourraient plus être parfaitement prises en charge par des hôpitaux débordés. Aussi impressionnant que soit ce chiffre, il ne représente pas même 0,25 % de la population. Au Moyen-âge, la peste noire avait tué de 30 à 50 % de toute la population européenne en cinq ans.

 

Tout faire pour ralentir la propagation du virus, mais à quel prix ?

Le 9 mars, sur l’antenne de BFMTV, le ministre des Solidarités et de la santé, Olivier Véran, a fait montre de pédagogie et de transparence, utilisant même le croquis pour expliquer l’évolution de l’épidémie et la réponse que le gouvernement entend lui apporter. Le pire est devant nous, car « l’épidémie peut s’arrêter quand 10, 20, 30, 40, 50 % de la population sont devenus immunocompétents, c’est-à-dire qu’ils ont été eux-mêmes infectés », explique le ministre, lui-même médecin.

Elle « peut » s’arrêter, mais ce n’est pas certain. Elle peut aussi repartir, surtout dans une hypothèse basse, celle de 10 % de la population touchés, soit près de sept millions de personnes. C’est plus que l’hypothèse des 4.250.000 que nous avions retenue par comparaison avec la grippe. Sauf que si l’on sait qu’une grippe saisonnière s’éteint d’elle-même au printemps, rien ne permet pour l’instant d’affirmer cela du Covid19.

On peut se consoler en excluant les porteurs sains, en particulier les enfants, des estimations de mortalité du virus (2,6 %), ou miser sur une résorption de sa propagation au printemps, il n’empêche que la comptabilité morbide du phénomène donne un bilan inquiétant, surtout pour les octogénaires. Le risque de succomber au coronavirus demeure faible pour les autres, sauf s’ils sont particulièrement fragiles ou atteints d’autres pathologies.

Pourtant, si chaque mort est un drame, la responsabilité des politiques est de gérer l’intérêt général, en l’espèce de lisser l’épidémie, comme l’a illustré Olivier Véran avec son graphique, afin d’éviter l’effondrement du système de santé et celle de l’économie.

Toutes les mesures d’hygiène individuelles et collectives préconisées par les services sanitaires peuvent ralentir la diffusion du coronavirus, d’éviter que des millions de personnes en soient infectées. Mais jusqu’où doivent aller les mesures de précaution ? Peut-ont imaginer d’interdire tous les rassemblements publics, voire de mettre les transports collectifs à l’arrêt ? Il est vrai qu’une consigne comme se tenir à plus d’un mètre de son voisin est inapplicable dans un bus ou un métro bondé. Et pourtant, même en Italie, les gouvernants n’ont pas pris la responsabilité de les arrêter, tant les transports sont vitaux à l’économie.

La réalité est que les citoyens devancent d’eux-mêmes les consignes de prudence et que les rues de Milan (mais aussi de Paris !) sont presque désertes depuis quelques jours.

Si la vie économique et sociale tourne au ralenti, la conséquence peut en être une récession mondiale, à côté de laquelle la crise de 2008 ne serait qu’une… grippette ! Plus que jamais, diriger, c’est choisir, et placer le curseur au bon endroit, entre mesures sanitaires et sauvegarde de l’économie.

Plus qu’avec les gilets jaunes ou la retraite, Emmanuel Macron joue peut-être son quinquennat dans sa capacité à gérer cette crise, tout comme Donald Trump, et de nombreux autres dirigeants de la planète. En Italie, la fronde contre l’exécutif monte fortement ! En France, hors l’extrême droite, l’heure semble être à l’union sacrée. C’est plus tard que les comptes se feront.

 

De précieuses leçons pour l’avenir

Ainsi que nous l’indiquions en introduction, cela aurait pu être bien pire. Par le passé, d’autres virus, plus contagieux, et surtout bien plus mortels, ont eu des effets dévastateurs à des époques où la mobilité n’avait aucune commune mesure avec cette de notre XXIème siècle mondialisé.

La première leçon devra être tirée très rapidement, car le Covid 19, qui peut muter et devenir plus inoffensif comme plus dangereux, risque fort de revenir dès l’année prochaine. Espérons qu’un vaccin sera opérationnel d’ici là. Notre système de santé, et toute notre stratégie de prévention, nos comportements, notre vie sociale devront être adaptés sans tarder.

Comme le disait la ministre des Sports Roxana Maracineanu, le huis clos pourrait devenir la « doctrine d’organisation » du sport professionnel. À plus long terme, ce sont certains aspects de la mondialisation qui pourraient être remis en cause, conduisant éventuellement à relocaliser certaines productions, pour le plus grand bien de l’environnement, et des emplois en France. Comme l’a dit le ministre de l’Économie Bruno Le Maire « Il y aura, dans l’histoire de l’économie mondiale, un avant et un après coronavirus ».

L’heure n’est ni aux incantations rassurantes ni au catastrophisme générateur de panique. Au contraire, nier des données sanitaires et économiques intangibles ne conduirait qu’à aggraver la défiance des Français envers les pouvoirs publics. Alors que les bourses s’effondrent dans le monde, les choix que feront les exécutifs s’avèreront cruciaux. Personne ne veut avoir à choisir entre la bourse et la vie, si évident que soit ce choix.

 

Michel Taube

 

Directeur de la publication