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07H33 - mercredi 6 novembre 2019

Le chemin de Cocherel. Chronique de la nouvelle époque de Jean-Philippe de Garate

 

Nommer cela de l’apparat n’est pas approprié. Tout juste parle-t-on de « plan com ».

Disons-le tout net : il est difficile, même pour les moins exigeants, de déceler l’élégance, le naturel, a fortiori la simplicité, dans ces manières de se produire en public de nos dirigeants actuels. Les convois présidentiels, voire ministériels, qui bloquent nos villes des jours durant, les lourds budgets consacrés à des « événements » en réalité sans existence, la représentation ininterrompue, écœurante, renvoie fatalement à de sévères comparaisons.

On comprend au passage pourquoi l’inculture élevée au Panthéon du moment, interdit toute référence, tout parallélisme.

Certains se rappellent pourtant un général arrivant de Colombey. Un politique pas moins exposé aux attentats que les autres… Deux voitures, deux Citroën DS, l’une pour lui et son Premier ministre, l’autre pour la sécurité, avec cinq motards en forme de V inversé pour précéder le convoi. Et c’est tout.

Mais il existe plus sobre encore. Plus républicain, au sens romain. Ni garde du corps, ni véhicule. Taxi, les soirs de fatigue, métro le plus souvent. Ses vêtements fatigués, les poches pleines de mégots, l’homme à la moustache tombante occupait deux méchantes pièces rue d’Orsel, sur le flanc de la colline de Montmartre, meublées d’un lit, d’une table et d’une chaise, trouvés dans une brocante. Les livres jonchaient le sol. Ils disparaissaient, donnés à ses visiteurs, après lecture.

L’homme, onze fois Premier ministre, avait dirigé la France pendant – excusez du peu – Verdun (1916), et après avoir réussi la performance de réconcilier un temps Etat, Eglise, incroyants et croyants. Il demeurerait dans l’Histoire l’homme de la réconciliation entre France et Allemagne. Il est vrai : trois quatre millions de morts, mutilés, invalides et amputés, autant de veuves et orphelins, de chaque côté du Rhin, ce fleuve devenu la fosse commune la plus remplie de la terre, ça suffisait peut-être…

A l’heure des rodomontades des uns des autres, de l’outrance et autres « plans com » débiles, il est peut-être utile de peser le danger des formules et mesurer l’inconséquence des mots à l’aune des tombes, cimetières militaires ou civils. L’homme qui prenait le métro ne s’y était pas trompé, et l’Histoire l’a reconnu : il demeure le seul ministre des Affaires étrangères à avoir son monument devant le Quai d’Orsay.

Le vieil homme se savait condamné – il meurt l’année suivante – mais prit le train pour Berlin en 1931 pour rencontrer le chancelier Brüning et le président v. Hindenburg et sauver ce qui pouvait encore l’être. Le temps du voyage, parce que l’éternel noctambule ne parvient décidément pas à dormir, il demande de la lecture à un de ses proches, Jean Luchaire, à moins que ce soit Pierre Brossolette : un roman policier.

Il a voulu la paix, et la Société des Nations qu’il a portée à bout de bras, sera la mère de l’ONU et du multilatéralisme. Multilatéralisme : en français, cela signifie la fin de la diplomatie secrète et le choix définitif de la paix. Nous lui devons clairement les décennies sans conflit -hormis l’Irlande et les Républiques slaves du Sud- en Europe (1945 -202.), paix dont certains de nos contemporains ont perdu le goût.

Mais la plus belle leçon qu’il nous ait laissée demeure le chemin de Cocherel. Prenons-le avec lui.

Un après-midi des années vingt, cet homme qui déteste la chasse mais doit, politique oblige, sacrifier à ce rite, se perd quelque part dans la forêt normande. Il abandonne son fusil non chargé sur la souche d’un chêne. La journée est belle, les marronniers et les noisetiers arborent des feuilles brûlées par le soleil ; l’homme recherche la fraîcheur. Un ru, puis un ruisseau : l’eau le guide. Il aperçoit une clairière.

Éblouissement. Les feuillages, les frondaisons s’écartent et le soleil de l’après-midi découvre les premières maisons d’un village, dont le silence n’est troublé que par l’eau d’un moulin. Si le coup de foudre existe, cet éternel célibataire, qui ne déteste pas les femmes, l’éprouve pour cette bourgade. « Houlbec-Cocherel » à l’étymologie traduisant sa position :  ruisseau en creux, ravine – avec un moulin à eau… et une auberge.

Il s’y présente comme « Monsieur Martin » et prend une chambre. Des mois durant, il y prend racine, mais l’anonymat dure moins que celui-ci qui pêche à la ligne et partage les canons… de cidre avec les braves villageois. C’est ici qu’il a voulu reposer.

Comme ce temps nous manque ! Que faut-il faire pour renvoyer nos importants à leur étiage ? L’ENA au-delà de Strasbourg ! à Oulan-Bator ! Il est possible que notre monde succombe à Thanatos, mais laissez-nous le temps de reprendre le chemin de Houlbec-Cocherel ! C’est ici que repose Aristide Briand (1862-1932), qui n’aimait que la vie et que vous avez oublié, hormis sur votre GPS : « avenue A. Briand, homme d’Etat, apôtre de la paix ». Un homme libre.

 

 

Jean-Philippe de Garate

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