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07H00 - jeudi 24 octobre 2019

« Non, je n’ai jamais soutenu les crimes commis par Michaël Harpon » : entretien exclusif avec Hadama Traoré

 

C’est un homme en colère que nous avons rencontré chez son avocate, Maître Yaël Scemama. En colère mais déterminé. Lorsque s’est présentée l’opportunité de rencontrer Hadama Traoré, mis en garde à vue le 12 octobre pour apologie de terrorisme puis relâché 24 heures après, celui sur lequel nous avons écrit plusieurs éditos au vitriol, le pluralisme des idées et notre éthique personnelle nous ont conduits à lui demander une interview. Entretien exclusif, tendu, sincère, sans complaisance avec un homme cultivé et énervé. Une interview relue par Hadama Traoré et son avocate.

 

Comprenez-vous la réprobation générale qu’a  suscité votre appel à manifester le jeudi 10 octobre, quelques jours après le quadruple assassinat dans la préfecture de police de Paris ?

Non je ne le comprends pas. J’ai été sali. Pourquoi les policiers ne m’ont pas gardé en garde à vue plus longtemps, sans aucune poursuite pour le moment ? Tout simplement parce que je n’ai jamais appelé à soutenir l’auteur de tels crimes. J’ai appelé à soutenir un homme que la vindicte populaire a fait terroriste. J’ai appelé à un rassemblement parce que j’avais établi des faits qui prouvent qu’il n’a pas commis un attentat terroriste (d’ailleurs l’attentat n’a pas été revendiqué) mais qu’il a pété les plombs parce qu’il se sentait discriminé et que dans sa vie personnelle un basculement a dû se produire.

 

Et les Allahu akbar prononcés la nuit précédente ? Et les 33 sms « à caractère strictement religieux » échangés dans les minutes qui ont précédé le crime, comme l’a rapporté le procureur anti-terroriste le 5 octobre ? Et le mode opératoire, l’égorgement, qui est une signature djihadiste ? Et l’imam fiché S qui l’aurait endoctriné, exclu depuis de la mosquée de Gonesse ? Tous ces faits, vous n’en parlez jamais. La combinaison de ces faits a fait penser à un attentat terroriste.

Crier Allahu akbar ne veut pas dire qu’on va commettre un acte terroriste le lendemain. Ensuite, moi, je ne prends pas pour argent comptant les paroles d’un procureur. Et la veuve de Michaël Harpon a été libérée dans les heures qui ont suivi sa garde à vue. Ce n’était pas un attentat en équipe. [NDRL : cinq autres gardes à vue consécutives aux crimes de la préfecture se sont conclues mardi 15 et mercredi 16].

La question de la folie meurtrière d’un homme se pose encore et j’accuse les médias et les politiques de l’avoir condamné pour terrorisme islamiste alors qu’ils n’avaient aucun élément vérifié et confirmé pour le dire.

 

Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? C’est vous le juge des faits ?

Non, mais moi, contrairement à vous les journalistes et les politiques, j’ai enquêté sur sa vie culturelle et cultuelle, sur sa vie sociale et sur sa vie professionnelle. Il se trouve que je soutiens depuis des années des malentendants. J’ai donc fait un appel à témoins dès que le crime a été commis le 3 octobre. Plusieurs personnes sont venues me voir, des gens très proches de lui.

Mieux, une policière qui travaillait avec Michaël Harpon depuis plus de dix ans, est venue chez moi à Aulnay. Elle m’a confié que Michaël Harpon, qui a commencé tout en bas de l’échelle, qui était un crack en informatique, s’était vu refuser une promotion en juin, notifiée par le cabinet du préfet de police. Et qu’il vivait comme une injustice profonde ce plafond de verre qui lui était opposé. En juillet, Michaël Harpon s’est confié à plusieurs responsables religieux de Gonesse et leur a dit qu’il commençait à craquer. En août, il a commencé à passer une formation de VTC car il était trop déçu par son boulot. Le mercredi 2 octobre, la veille du meurtre, il est allé voir sa collègue qui lui a annoncé qu’elle prenait sa retraite dans un an, ce qui a liquéfié Michaël Harpon : il se voyait perdre son seul soutien interne. Cette policière a confié, le lendemain du crime, à la psychologue du service, que Michaël Harpon souffrait de discriminations et qu’il n’en pouvait plus. Cette personne a-t-elle été auditionnée par la police judiciaire ?

Sur le plan de sa vie personnelle, Michaël Harpon, semblait dans une impasse.

Bref, on ne sait pas ce qui s’est passé dans la tête de Michaël Harpon le jour du crime mais ces faits sont des indicateurs de la faiblesse, de la fragilité qui habitaient Michaël. Je ne justifie pas son acte, je le condamne ! Mais moi j’ai cherché la cause.

 

Les causes plutôt ! Et les imams salafistes qui l’ont endoctriné, qui ont profité de ses faiblesses pour le radicaliser ?

Ce n’est pas si simple. Michaël Harpon s’est converti en 1997 et a commencé à pratiquer l’islam en 2001. Il a étudié la religion de façon très approfondie. J’ai interrogé son professeur de cours d’arabe qui est à Barbès. Michaël Harpon était si doué qu’il donnait lui-même des cours d’arabe et de religion à des malentendants. Ce professeur a-t-il été entendu ?

Pour moi, l’islam n’a rien à voir dans son geste. Il faut chercher du côté professionnel et personnel. Ses signes d’appartenance religieuse n’ont rien à voir avec le fait de commettre un attentat terroriste.

Les responsables de la mosquée de Gonesse ont tenu une conférence de presse pour dire qu’il ne s’agit pas d’une mosquée salafiste.

Pour manifester la vérité judiciaire, il faut l’intention, le fait et le droit. Dans tout ce que vous me dites, c’est peut-être la réalité mais il n’y a pas de revendication religieuse. Rien n’établit cette intention.

Or vous en avez fait un terroriste et vous, les médias et les politiques, m’avez accusé d’apologie de terrorisme. J’ai été mis en garde à vue pour apologie du terrorisme. C’est scandaleux alors que les causes professionnelles et personnelles des crimes de Michaël Harpon n’ont pas été explorées par les médias.

 

Vous avez affirmé que Michaël était victime de discriminations.

Et vous qu’il était un terroriste.

 

Vous vous êtes concentrés sur un seul faisceau d’indices, d’ordre  social ? Vous êtes l’enquêteur et le juge, Monsieur Traoré.

Moi, au moins j’ai enquêté.

 

Pour passer à l’acte, il faut avoir le sentiment exacerbé d’être victime et avoir été endoctriné. C’est le cas de la plupart des auteurs d’attentats terroristes. Il faut les deux.

Tous les médias ont affirmé qu’il était terroriste. J’ai peut-être été trop vite en besogne en organisant ce rassemblement mais je n’ai pas condamné cet homme comme vous l’avez fait.

Etait-il un musulman pratiquant ? Oui. Est-ce qu’il refusait de serrer la main d’une femme ? Oui. Mais Michaël Harpon n’était pas un extrémiste animé de revendications religieuses.

 

Mais est-ce qu’il n’était pas radicalisé ?

J’espère que l’enquête répondra à cette question. Mais ce n’est pas sa radicalisation supposée qui expliquerait qu’il soit passé à un acte terroriste. J’ai réuni suffisamment d’éléments pour l’affirmer et je viens de vous les livrer.

 

La France va mal

 

Vous dites sans cesse que nous sommes en guerre…

Non, je parle de guerre psychologique.

 

Vous avez dit « en guerre », pas en « guerre psychologique ». Et vous avez ajouté : « nous sommes en guerre et elle commence jeudi matin [le 10 octobre, jour de votre rassemblement ensuite annulé]. Bref, sommes-nous en guerre ?

Les politiques et les médias veulent nous mettre dans une ambiance de guerre. Vous créez une société anxiogène. Moi j’apporte de l’amour, de la dignité, du vivre-ensemble. Moi je n’instrumentalise pas les peurs.

Nous sommes dans une dictature. Je subis un harcèlement judiciaire depuis trois ans qui est inadmissible. Je parle devant mon avocate : j’ai gagné tous mes procès. Je reçois des PV hallucinants dans ma commune. Ces intimidations ne me feront pas reculer.

Je rappelle à Monsieur Castaner que l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 stipule : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »

 

Ne faites-vous pas des victimes de la société des bombes à retardement ?

Jamais je n’ai tenu de discours victimaires. J’ai horreur des victimes. Les pro-palestiniens et les autres professionnels de la victimologie me détestent. Je n’ai jamais eu de haine dans mon cœur.

 

Que dites-vous à un jeune qui prétend que la charia est supérieure à la loi de la République ?

Ce sont des timbrés, ces gens-là. Toute personne qui est de la religion du Livre doit respecter les lois du pays dans lequel il vit.

On joue de nos différences pour nous diviser. Je rêve que le religieux soit cantonné dans le privé.

Je ne me suis jamais positionné comme Français de confession musulmane parce que je suis laïc, Monsieur.

 

C’est inexact. Vous vous êtes plus particulièrement adressé aux millions de musulmans qui étaient, selon vos dires, discriminés dans le lynchage médiatique et politique qu’a subi Michaël Harpon. Que pensez-vous de la laïcité ? Une femme voilée peut-elle être fonctionnaire comme au Royaume uni ?

On n’a pas la même histoire. Inutile de rentrer dans ce débat. Je suis tout simplement pour le respect de la loi de 1905. Il faut maintenir la séparation de l’Etat et des cultes. C’est notre histoire.

 

Il y a de plus en plus d’antisémitisme dans les banlieues. Beaucoup de juifs ont dû déménager.

Pour moi, C’est faux. Je ne l’ai pas vécu. Moi aussi j’ai déménagé de la cité des 3000. Il y a une synagogue aux 3000 qui n’a jamais été vandalisée. Nous-mêmes nous diabolisons les cités dont nous venons. L’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien est venue en France et ce n’est pas normal. Les juifs sont Français. Comme les autres. L’instrumentalisation politique et médiatique a fait que les juifs sont perçus comme nos ennemis. Mais moi je ne participe pas à cela.

La France est le pays d’Europe où il y a le plus de juifs et de musulmans. Nous vivons avec et c’est très bien comme cela. Nous sommes tous des Français et je n’en ai rien à cirer de nos origines respectives.

 

Vous condamnez l’antisémitisme ?

Bien entendu. Je le condamne fermement.

 

Beaucoup de jeunes manifestent une haine de la France : drapeaux, hymne national sifflés, etc.

Vous ne pouvez pas savoir combien j’aime la France. Et mieux, je vais vous dire, je connais l’histoire de mon pays. J’ai étudié son histoire. Je connais mon pays.

Je porte très bien toute l’histoire de toute la France sur mes épaules. J’espère que vous m’aurez compris : non, je ne suis pas un ver de terre comme l’a dit un peu vite Marine Le Pen. Je suis prêt à mourir pour la France. Je ne suis pas n’importe qui.

La politique fasciste qui n’a ni couleur ni drapeau, c’est l’idéologie d’une Marion Maréchal Le Pen. Elle croit dans le grand remplacement. Elle est très forte dans ses discours, Elle a mis la barre très haut. Je vais me dresser contre son idée de la France.

Je vous donne un autre exemple : certains dans les quartiers diabolisent la franc-maçonnerie. Moi je l’ai étudiée : d’opérative elle est devenue spéculative en 1724 avec les Constitutions d’Anderson. Elle a ses rites et moi je ne critique pas les confessions et les convictions de chacun. Mais je réclame le droit au débat et à être respecté comme vous.

 

Candidat à la présidentielle de 2022

 

Vous vivez à Aulnay-sous-Bois, vous avez monté une liste aux élections européennes. Serez-vous candidat aux municipales à Aulnay ?

Je suis candidat à l’élection présidentielle en 2022.

A partir du jour, en 2017, où j’ai pris conscience que je suis Français, je suis entré en politique. A partir du moment où j’ai fait remonter des revendications citoyennes dans la ville d’Aulnay-sous-Bois (un maire élu avec 14 000 voix dans une commune de 83 000 habitants, ce n’est pas une démocratie), j’ai perdu mon travail, mes indemnités, j’ai été diabolisé. J’ai reçu des menaces de mort. Mais je suis dans ma ligne et je conduirai cette révolution que je porte.

 

Où voulez-vous aller ?

Mon rêve est d’être président de la République française.

 

Etes-vous candidat à la mairie d’Aulnay-sous-Bois ?

Quinze sénateurs me soutiennent déjà pour la présidentielle.

 

Vous n’êtes donc pas candidat à Aulnay ?

Ça c’est juste une étape. Mais, oui, je suis candidat à Aulnay. Les Européennes étaient une première étape. Des Français de tout le pays ont voté pour nous. Mais mon objectif, c’est l’Elysée. Mon mouvement s’appelle « La Révolution est en marche ». J’irai jusqu’au bout.

 

Quel est votre projet ?

Un projet économique basé sur les propositions du Conseil Economique, Social et Environnemental, sur la promotion de l’eau, sur la valorisation des femmes, elles sont l’avenir de l’homme. Un programme également fondé sur l’intégration des étrangers et des handicapés.

Et d’en finir avec la dictature dans laquelle nous vivons. Elle s’appelle « République » mais c’est une dictature.

 

Un de vos fils conducteurs est de représenter les banlieues.

Non, la majorité silencieuse. Ne sous-estimez pas la majorité silencieuse et les réseaux sociaux. Il y a eu hier les gilets jaunes que vous n’avez pas vu venir. Vous ne verrez pas venir la Révolution que je porte. On fera le bilan en avril 2022. Voilà trois ans que je me prépare à répondre à des personnes comme vous.

 

Vous n’êtes pas le candidat des banlieues contre l’establishment ?

Je suis le candidat de la révolution qui va en finir avec cette dictature politique et médiatique qui nous oppresse.

Tous les citoyens devraient être mis sur un piédestal.

 

Qu’entendez-vous par dictature ?

La France va mal et il faut en finir avec le clientélisme et la peur. Le jour où l’on dépassera le débat sur les identités et les origines de chacun, on aura fait un grand progrès.

Je compare la France à la guerre en Yougoslavie. Après la mort de Tito qui fédérait des peuples différents, Milosevic a pris le pouvoir et une communauté a voulu écraser les autres. On va dans la même direction si l’on continue ainsi.

 

Vous détestez les policiers ?

Pas du tout. Dans mon mouvement, nous avons quinze policiers actifs. J’ai rencontré plus de cent cinquante policiers. Je ne suis pas contre la police. Je suis contre la gouvernance de la police qui, elle, conduit cette dictature que je dénonce.

La police connaît un taux de suicides hallucinant. Il faut réformer la police en profondeur.

 

Vous redemandez la démission de Christophe Castaner.

Bien entendu car il met tous les policiers dans le même sac.

 

Un vieux proverbe allemand nous dit que « c’est la tonalité qui fait la musique. » Vous avez donné l’impression de soutenir un criminel. N’êtes-vous pas dans un double langage ?

C’est un problème de communication sur lequel je travaille.

 

Y a-t-il un point que vous voudriez ajouter ?

Je tiens à m’excuser auprès des familles victimes de Michaël Harpon si mon initiative d’organiser un rassemblement a été mal interprétée.  Mais je regrette d’être dans un pays où l’on ne prend pas assez de recul.

 

Propos recueillis par Michel Taube

 

Directeur de la publication