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11H09 - mardi 18 juin 2019

Le Sultanat de Brunei, au-delà des préjugés

 

Le sultanat de Brunei est récemment entré par effraction dans l’actualité mondiale, notamment suite à l’appel au boycott des palaces parisiens Le Meurice et Le Plazza Athénée lancé par George Clooney et Elton John pour protester contre leur propriétaire Hassanal Bolkiah, le roi de ce micro-Etat. L’homme le plus riche du monde en 1997 (selon Forbes) a défrayé la chronique et nous l’avons à dessein nourrie au nom de l’universalité des droits de l’homme.

Le mot Charia a largement été utilisé pour stigmatiser le cadre légal que cet Etat souverain souhaite appliquer sur son territoire. Qu’en est-il en réalité ? Pour bien comprendre ce qui est en jeu dans cette histoire, il est utile et nécessaire de déconstruire les faits qui ont légitimement créé de l’émotion, en particulier en Occident.

Cette minuscule monarchie islamique d’un peu plus de 400 000 âmes, adossée aux rivages de Bornéo, a décidé en 2013 de mettre progressivement en application la loi islamique. En ce début d’année 2019, la « deuxième étape » de la mise en œuvre de la législation, qui inclut coups de fouets pour les délinquants, amputations pour les voleurs et lapidations pour les adultérins, est discrètement entrée en application par le biais des hududs (limites). Ces derniers sont, en droit musulman, les peines légales prescrites par le Coran ou la Sunna  (voie immuable édictée au Prophète Mahomet) : le juge ne peut pas les moduler car elles sont ordonnées par Dieu, contrairement aux peines qui restent modulables par la juridiction (ta’zîr).

 

Sens et portée de cette décision

Ce principe de non-modularité se retrouve également dans les charges de la preuve qui s’imposent au parquet pour assoir et valider la condamnation. Il faut ainsi quatre témoins présents physiquement lors de l’acte ou que l’accusé avoue son crime. En dehors de ces conditions formelles, les éléments de preuves modernes tels que les tests ADN ou les enregistrements audio-vidéos ne sont pas recevables. Autant dire que cette Loi est inexécutable d’autant qu’elle ne produira pas non plus de jurisprudence.

Ceci explique les ressorts de politique interne de cette décision prise par le monarque qui souhaite en réalité renforcer sa légitimité au sein de la société où les conservateurs musulmans sortent renforcés ces dernières années et où le pays a connu une récession économique relative. Brunei n’est pas le seul pays à être touché par une vague de repli et de conservatisme, les résultats des dernières élections en témoignent sur le Vieux Continent.

S’il n’est pas question de minimiser toute atteinte aux principes de liberté et d’égalité où qu’ils soient malmenés dans le monde, il est juste cependant de recontextualiser les faits d’une part et de traiter avec la même exigence de responsabilité les différents pays qui y contreviennent, d’autre part.

L’homosexualité est par exemple encore un crime ou un délit dans plus de 70 pays dans le monde où la prégnance de l’Église ou de l’Islam est très forte. Elle mène ainsi à la prison voire à la mort dans bon nombre de pays où nous aimons à passer nos vacances : l’Égypte, la Tanzanie, le Kenya et même le Mexique, sous ces des cieux plus lointains. Ceci dit, il est vrai que l’homosexualité n’est passible de la peine de mort que dans des pays arabo musulmans.

Ainsi, que dire de ces pays où la charia la plus stricte est en application y compris ces fameux hududs, avec lesquels nous entretenons des relations fortes ? L’Arabie Saoudite ou les Émirats Arabes Unis à qui nous vendons notre image avec le Louvre et la Sorbonne qui lui servent de cache sexe, mettent en œuvre la même législation.

Contrairement à ces deux derniers pays, le sultanat de Brunei est connu et reconnu dans le monde comme un havre de paix et de tolérance. Le système éducatif y est performant et l’État providence parmi les plus développés, malgré la chute du prix du pétrole qui infléchit son niveau de croissance. Une politique de préservation de l’environnement est à l’œuvre depuis longtemps, notamment dans la perspective de reconversion économique qu’il prépare, pour substituer à l’or noir, l’or vert émeraude des vastes forets que les touristes apprécient.

 

Préserver nos intérêts

Pour nous autres Français, il est opportun d’interroger notre position vis-à-vis de ce pays. La France est la patrie des droits de l’Homme et sa voix compte dans le concert des nations. C’est pourquoi il nous est impératif de défendre les droits de l’homme partout où ils sont en jeu, mais dans le même temps de défendre nos propres intérêts stratégiques et commerciaux. De la même manière que nous montrons du respect vis-à-vis des monarchies du Golfe, il est utile de préserver notre relation avec ce micro-Etat dont le positionnement géostratégique est crucial. L’année passée, nous avons sur le plan économique vendu pour près de 400 millions d’euros d’exportations vers Brunei à qui nous avons par ailleurs livré une demi-douzaine d’Airbus A 320.

Nos chefs pâtissiers parmi les plus prestigieux, véritables ambassadeurs d’une certaine idée de la France à l’international, travaillent dans les deux palaces du sultan. Christophe Michalak et Cedric Grolet, tous deux champions du monde de pâtisserie, continuent de faire briller notre influence dans le monde à partir de ces deux lieux qui ont été l’objet d’appels au boycott.

Enfin sur le plan, diplomatique, maintenir un lien exigent avec le sultan, c’est se garantir une influence potentielle auprès des dirigeants chinois avec lesquels il entretien d’excellents rapports. En effet, Brunei, en tant que membre de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), est un allié majeur dans la gestion des tensions qui existent autour de la mer de Chine sur laquelle Pékin souhaite affirmer son leadership alors que près de la moitié des échanges maritimes mondiaux y

N’oublions pas que Brunei est l’endroit où l’indice du Bonheur Intérieur Brut est parmi les plus élevés au monde. Cet Etat mérite non seulement le respect mais également que l’on aille le découvrir au-delà des stéréotypes positifs ou négatifs que la frénésie de l’information continue participe à construire.

Allez donc, à l’occasion d’un vol pour Sidney ou Singapour, faire escale deux ou trois jours à Bandar Seri Begawan, éprouver l’hospitalité légendaire de son peuple, fruit d’un mélange de cultures malaise et chinoise. Laissez-vous gagner par le calme de la forêt primaire de Bornéo, aux portes de la ville. L’atmosphère y est un pur enchantement.

Au fond, le développement des échanges est le meilleur moyen d’espérer pour la France convaincre le Sultanat de ne pas appliquer la charia, donc la peine de mort, et de comprendre en même temps les subtilités de ce Royaume fascinant.

 

Michel Taube

Directeur de la publication

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