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13H01 - lundi 25 décembre 2017

Noël à Doha : reportage de Michel Taube au Qatar dans le plus grand centre religieux chrétien dans le Golfe

 

En cette fin d’année 2017, les chrétiens sont de retour par milliers à Karakoch et à Mossoul en Irak. Les touristes se sont faits rares à Bethléem en Cisjordanie : les annulations de voyages se sont multipliées à la suite de la reconnaissance unilatérale de Jérusalem comme capitale d’Israël par les États-Unis et le Guatemala. A Paris, l’opinion publique se divise sur la célébration de « Noël » dans un pays laïc.

Pendant ce temps, il est une terre d’Islam qui accepte les chrétiens : le Qatar. Enquête dans un émirat contesté au cœur d’une communauté chrétienne expatriée et fervente, rassemblée pour la célébration de Noël.

Le Qatar est connu pour ses investissements stratégiques en France, notamment dans les médias français*, et dans le sport. Véritable cadeau de Noël pour la population qatarie et des expatriés aficionados, le PSG était de passage à Doha ces jours-ci pour fêter son titre de Champion d’automne et préparer le choc de son prochain huitième de finale contre le Real de Madrid…

Critiqué pour sa proximité supposée – et contestée par les autorités locales – avec les Frères musulmans, ce petit émirat, niché entre le Golfe persique et la péninsule arabique, vit sous le coup d’un sévère embargo décrété par l’Arabie saoudite et ses alliés** depuis le 5 juin dernier.

Noël à Doha, c’était déjà une façon de mettre en lumière – et de saluer – nos expatriés : les 5.000 à 10.000 Français vivant sur place sont loin de retourner en métropole pour cette fête de famille qu’est avant tout Noël***. Comme nous le confie Olivier Jouis, président de Français du monde – ADFE, principale association de Français de l’étranger à Doha, les Qataris ont un atavisme français certain : l’émir est parfaitement francophone et a certains de ses enfants dans le lycée français. C’est assez rare de la part d’un chef d’État pour que même le président Macron s’en soit publiquement félicité lors de sa visite au Qatar le 7 décembre dernier.

 

Un Noël en terre d’Islam

Est-ce l’effet de l’embargo vécu sur place comme une profonde injustice et comme une menace réelle sur la stabilité de la région et l’intégrité d’un État indépendant depuis moins de 50 ans ? Ce Noël 2017 aura été, de l’avis des chrétiens rencontrés sur place, d’une ferveur toute particulière…

Car on connaît moins du Qatar cette réalité, voulue par le père du Qatar moderne, l’émir Sheikh Hamad bin Khalifa An Thani, et renouvelé par son fils héritier à qui il a transmis le pouvoir en 2013 et actuel chef de l’Etat, le très francophone – et francophile – Tamim Ben Hamad Al-Thani : les chrétiens y sont libres de pratiquer leur culte, certes avec discrétion, mais aussi avec ferveur, comme nous en ont témoigné les Français, les Philippins et les Tamouls que nous avons rencontrés – et interrogés en toute liberté – sur place.

Dans cette ville – État qui brille toute l’année de ses 1.000 lumières et de son architecture futuriste, nous pensions y voir, comme à Paris, des opérations commerciales avec sapin de Noël et guirlandes destinées à attirer les expatriés restés sur place dans les nombreux malls… Il est vrai qu’à Noël les grands hôtels y organisent quelques uns de leurs plus grands événements de l’année : le Four Seasons attend par exemple plus de 500 expatriés en ce 25 décembre.

 

Modernité qatari

Mais, – et on en a presque perdu l’habitude en France – ce sont surtout des chrétiens croyants que nous avons rencontrés à Doha. Quelle singularité – quelle joie aussi – que de découvrir une communauté chrétienne plurielle et fervente au cœur du Moyen-Orient et en terre d’islam.

Nous le savons, à Doha, nous sommes en terre wahhabite traditionnelle. Mais à Doha, nous sommes aussi en terre moderniste, et d’un modernisme certes récent – il remonte aux années 90 – mais bien plus avancé que chez certains de ses voisins.

C’est notre conviction d’éditeur engagé, notre pari aussi, notre espérance en cette période de fêtes : la modernisation de l’islam va s’accélérer sur les ruines et les contre-feux du terrorisme islamiste et de ses racines idéologiques. Au Qatar et dans l’ensemble du Moyen-Orient.

C’est de l’alliage de ces deux dimensions – wahabisme et modernité – et qui ne peut se faire que pacifiquement et en douceur, par consensus en somme, bref à la qatari****, que les libertés progresseront dans cette région du monde. A cette condition de consensus, les extrémistes seront écartés du sens de l’histoire, d’une histoire actuellement en marche accélérée !

Cette fusion nécessaire est à l’œuvre au Qatar – nous voulions le vérifier sur place – comme dans l’ensemble de la région du Golfe de façon plus ou moins erratique selon les pays. Mais nous y reviendrons très prochainement…

Modernité qatari disions-nous ? Les femmes y furent les premières dans le Golfe à avoir le droit de vote (en 1999) et elles y exercent des fonctions électives et de dirigeantes d’entreprises. Nous connaissions cet indice clé.

Le droit des chrétiens d’exercer leur culte y est un second indice. Nous l’avons découvert sur place. Les chrétiens en terre d’islam donc… Les musulmans reconnaissent Jésus, mais aussi Moïse et Bouddha, comme des prophètes. Il nous paraissait donc naturel qu’ils reconnaissent le droit de leurs fidèles d’exercer leur culte librement.

 

Babel à Doha

Le Qatar n’a pas le monopole de la présence chrétienne. Selon les sources, on évalue à 1,5 millions les chrétiens présents dans la péninsule arabique. Ce sont, dans une grande majorité, des résidents originaires des pays de l’Asie du sud (Inde et Philippines), mais aussi des arabes chrétiens libanais, syriens et égyptiens, enfin des expatriés occidentaux. Tous les pays du Golfe hormis l’Arabie Saoudite (!), disposent sur leurs territoires d’églises pour la plupart récemment construites. Le plus grand centre religieux chrétien est à Doha.

C’est le père Rally Gonzaga qui nous a accueilli et nous a accordé une interview vidéo. La ferveur, en cette nuit de Noël, était palpable et sur tous les visages. Des milliers de fidèles se recueillaient devant la crèche du petit Jésus et pour célébrer la messe de minuit.

LES messes devrions-nous dire… Cet imposant centre religieux chrétien, c’est Babel à Doha : plus de 12 langues donnent lieu à autant de messes célébrées pour les résidents. Et dans des langues que nous ne connaissions pas : le tagalog (dialecte philippin malaisio-polynésien), le sinhala (pour les Sri Lankais), le konkani (une des 22 langues officielles en Inde).

Parmi ces messes, ils étaient presque 200 Français dans la chapelle à entendre la célébration du père Antonio Feghali, assisté du père Charbel Mhanna, tous deux Libanais, et venu pour le premier en catastrophe la veille pour épauler un diocèse surpris cette année par l’affluence.

Deux cent Français qui, de l’avis général, ont salué l’organisation et la sécurité renforcés. Car pour arriver sur place, il faut tout de même montrer patte blanche, sous le contrôle bienveillant et rassurant des autorités locales et du Capitaine et Sultan Eid.

Comme le dit Typhaine, dans l’interview vidéo qu’elle nous a accordée à la sortie de la messe, « l’espérance prend tout son sens ici à Doha en cette période si particulière ».

Et puis il y eut la messe indienne pour les tamouls dans l’Église de Notre-Dame-du-Rosaire qui peut accueillir 3.000 âmes. Les Indiens sont les plus nombreux parmi les travailleurs étrangers au Qatar. On sait que les Philippins sont dans leur immense majorité chrétiens mais les chrétiens indiens sont les plus nombreux dans cet Émirat. L’Église était pleine, la foule ne cessait d’affluer. Couleurs et sourires étaient dans tous les regards.

Ici à Doha, nous nous sommes dit : l’Église universelle est encore bien vivante.

D’ailleurs, la collecte effectuée par le diocèse pour la prochaine construction d’une Eglise maronite atteste du dynamisme des chrétiens sur place. Au final, et toutes choses égales par ailleurs, ce centre religieux qui accueille, sur le même terrain, des Eglises anglicane, copte, protestante et catholique, nous faisait penser à l’Esplanade des religions qui fait la fierté de Bussy-Saint-Georges dans la région parisienne. Presque au même moment, la première pierre d’une future mosquée y fut posée le 17 décembre.

 

L’an prochain à Doha

Rêvons un peu : et si dans un an, lors du Noël 2018, des communautés religieuses du monde entier, juifs, bouddhistes (il n’y a pas de temple hindou au Qatar malgré une communauté nombreuse), musulmans et chrétiens, laïcs et agnostiques, se retrouvaient pour revivre à Doha le fameux concert de Noël 2014, un des meilleurs souvenirs culturels de sa vie au Qatar selon Marie, une expatriée française ? Musique et foi pourraient communier pour bâtir une paix plus durable au Moyen-Orient…

 

Michel TAUBE

* Entre autres investissements stratégiques, le Qatar détient notamment des parts minoritaires dans Airbus, le groupe Accor et le groupe Lagardère.

** Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Bahrein, Egypte.

*** Une pensée pour notre petite Nour dont nous vivons le premier Noël éloigné d’elle depuis qu’elle a vu la lumière.

**** Les décisions se prennent ici au consensus dans les majlis, certains à l’architecture somptueuse, souvent après des heures de palabres entre sultans et famille de l’émir.

 

Remerciements à Ganesh Baral et Rohit Sharma pour les images.

 

 

Directeur de la publication

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