Afriques demain
Opio Derrick Hosea, ou l’Afrique des lumières

Rarement le mot grâce s’emploie au sujet d’un homme. C’est pourtant bien ce qui émane du regard ouvert, lumineux, de Opio Derrick Hosea quand, l’air confiant et heureux, il vous sourit droit dans les yeux.

On dit que la sagesse et la sérénité se glanent au fil de l’expérience – elles seraient donc une affaire d’âge et de maturité. Et l’on reproche à la jeunesse de s’emballer, s’impatienter – elle pècherait par légèreté, inconscience, voire naïveté. Opio Derrick Hosea casse tranquillement tous ces clichés. Et ce n’est pas seulement à cause de son passé, ni d’ailleurs grâce à lui. Même si… et nous y reviendrons.

Sa fiche signalétique ? Derrick est né en Ouganda en 1988. Titulaire de diplômes, de premier cycle en droit de l’université Makarere de Kampala et de deuxième cycle en gestion et comptabilité de l’université de Buckingham au Royaume-Uni. Gagnant du grand prix 2015 des African Rethink Awards. Membre du LAB, Land of African Business. Président-directeur général et fondateur de Onelamp. Et fondateur aussi de l’Institut de droit familial d’Ouganda, qui facilite l’accès des femmes et jeunes à la justice. Quel âge a-t-il déjà ? Vingt-huit ans ? D’accord, et à part ça ?

Lui et sa sœur jumelle ont grandi avec un cousin dans un village chez leur grand-mère. Cette grand-mère à qui il doit tant. Professeur, elle lui a transmis l’amour du livre et de l’étude. Et il lui en fallait, autant que de l’endurance pour prendre chaque matin le chemin de l’école. Près de dix kilomètres à parcourir à pied. Ses efforts ont payé puisqu’il finit le primaire, premier de son district. Pour le collège, il n’a alors que l’embarras du choix. Le King’s College Budo de Kampala, la capitale, meilleur internat du pays, l’invite à rejoindre ses rangs. Là encore, il affirme avoir eu de la chance. Une tante se charge de régler ses frais de scolarité. La prochaine étape sera plus brillante encore que la première – il n’en tire pourtant aucune gloire : il termine le secondaire premier de tout le pays. « Je n’aurais jamais pu atteindre ce niveau si je n’avais pas étudié dans la meilleure école. Je dois ça à ma tante. Je lui en suis reconnaissant. Très même », insiste-t-il.

Grâce à ces résultats, il obtient une bourse pour l’université qui couvre entièrement ses frais. Son ambition de toujours est enfin à portée de main : étudier le droit. Dès la deuxième année, il intègre un deuxième cursus. « En plus », précise-t-il en riant. En plus, évidemment. Ainsi pour compléter sa formation de juriste, il prépare une maîtrise gestion et comptabilité, qu’il passe aussi avec succès. Il est temps maintenant de définir son avenir.

Avec la ferme intention d’améliorer les conditions de vie dans son pays, il choisit l’entreprise sociale. Et pourquoi pas la politique ? En tant qu’entrepreneur, il pense avoir plus de pouvoir pour agir sur le monde. Souvent les politiques, dit-il, une fois élus perdent le fil de la réalité. Alors que l’entreprise s’y tient, elle, des deux pieds. Et Derrick croit possible l’avènement d’un monde où « entreprendre » ne rimera pas seulement avec profit mais avec équité et solidarité. Il y œuvre personnellement. Et comment, s’il vous plaît ?

L’idée flottait dans l’air du temps. On peut le supposer car il en est souvent ainsi avec les idées de génie. Et Derrick s’en est emparé pour lui donner corps et vie. Le nom de son projet, Onelamp, ne cherche pas l’effet marketing, il dit simplement ce qu’il est. Son objectif est de fournir une lumière propre et bon marché à des foyers africains, dans des villages reculés privés d’électricité. Beaucoup trop ne disposent encore que de lampes à pétrole, dont ils limitent au maximum le temps d’utilisation, car le pétrole coûte cher. Et pas seulement financièrement. Respirer ses émanations équivaudrait à fumer deux paquets de cigarettes. Puis il y a aussi le danger d’incendie. Derrick l’a vécu dans sa chair. Puisque sa maison a brûlé quand il était enfant alors qu’il étudiait à la lumière d’une telle lampe… Cela expliquerait-il ses choix ?

Lancé en 2014 dans le district de Torono, où 91 % de la population étaient sans électricité, le projet de Derrick de distribution de lampes à énergie solaire a connu un succès rapide. Dans les 300 premiers jours de son activité, Onelamp avait déjà impacté 5 000 foyers. Depuis, il s’est développé. Il fournit aujourd’hui des lampes à des bibliothèques scolaires de zones rurales reculées. Elles sont prêtées aux élèves pour « qu’ils puissent réviser chez eux » en toute sécurité. Son ambition est de toucher d’ici deux ans 113 écoles. Et s’il obtient le financement, il étendra son action à l’ensemble du pays, et pourquoi pas plus loin encore, au-delà des frontières. Lui qui affirme : « Mon intérêt dans la vie est de me lancer des défis énormes, apparemment impossibles, et de les dépasser », sera, n’en doutons pas, à la hauteur de celui-là.

Opio Derrick Hosea
Homayra Sellier
Sylvère-Henry Cissé
Dominique Attias
Corinne Evens
Gérard Idoux
Stéphanie Mbida
Fadia Otte
Maurice de Kervénoaël
Marie-Odile Vincent
Dominique Serra
Éric Bazin
Jean-Paul DELEVOYE