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Corinne Evens ou la Goralska attitude

Il faudrait plus d’un seul portrait pour dessiner cette femme dans toutes ses dimensions. Mathématicienne, artiste, femme d’affaires et d’ambition, elle s’épanouit dans l’action et dans la conception, pas dans la représentation. Corinne Evens touche à tout mais pas seulement du bout des doigts. Elle sait retrousser ses manches. Pas question pour elle seulement de perpétuer une lignée. Elle préfère  explorer de nouvelles directions, développer des tendances qui collent à ses convictions, et inventer un nouveau monde, comme rêve de le faire Alice du pays des merveilles : un monde qui aura du sens, notre monde de demain. Son objectif : construire des ponts. Entre passé et futur, entre la terre et les humains, entre les humains eux-mêmes, entre Pologne et peuple juif, entre Israël et Palestine… Au point de fusion entre art, politique et affaires, Corinne Evens porte un regard lucide et généreux sur le monde et l’humanité.

 

Corinne Evens a créé le concept de la femme Goralska qu’elle incarne personnellement. Elle le décline déjà dans une joaillerie tendance et bientôt dans des résidences. Avec « goral », qui en hébreu signifie le destin, et « ska », pour terminer en slave au féminin, Goralska est en soi déjà tout un programme.

Originaire de Pologne, vivant entre la France, la Belgique et les États-Unis, Corinne Evens nous en dit plus de ces « femmes de destins », de ses projets, d’elle-même, du monde, de l’harmonie…

À quoi ressemble cette femme que vous avez par « Goralska » conceptualisée ?

La femme Goralska est toujours en mouvement, en construction. Sa liberté, elle la prend. Sans attendre qu’on la lui donne. Elle aspire à s’épanouir tout en servant le monde. Responsable, elle se sent le droit d’agir, de réfléchir et d’exprimer ses opinions. Audacieuse dans le choix des objectifs qu’elle se fixe, elle est tenace dans leur poursuite. La femme Goralska bouge avec son environnement. Il la façonne. Elle le façonne.

Vous qui appartenez à une famille de diamantaires, comment vous en distinguez-vous ? Quelle est votre liberté ? Votre Goralska attitude ?

Ma famille a évolué à chaque génération. Chacun a apporté sa touche, selon l’époque, les circonstances. Mes arrière-grands-parents étaient dans l’argenterie. C’est un de mes grands-oncles, alors qu’il vivait au Brésil, qui s’est lancé dans le diamant et en a appris la taille. Quand, à la fin de la guerre, il est venu à Anvers, il a introduit mon père dans ce milieu, très fermé. Mon père a commencé par importer des diamants bruts avant d’établir des tailleries. J’ai travaillé avec lui les dix dernières années de sa vie. On avait prévu ensemble d’étendre nos affaires à la joaillerie. Lui n’en a pas eu le temps. Mais après son décès, j’ai arrêté le commerce et réalisé ce rêve de créer des bijoux.

Entre le commerce, la taillerie et la joaillerie, il y a du chemin, comment en êtes-vous arrivée à créer vous-même des bijoux ?

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Je suis très créative. J’ai toujours dessiné. J’ai même réalisé des films. Le design de bijoux me vient tout simplement. Mes bijoux expriment mes idées, ma conception de la vie et ma vision du monde. Venant de l’univers du brut, de la matière première, j’ai lancé plusieurs collections autour des quatre éléments. C’est une manière de replacer l’homme dans l’environnement, au cśur de la nature. Je vois en ces bijoux non pas le luxe de l’objet – d’ailleurs, je ne produis pas que du luxe et propose aussi de la street joaillerie – mais la force de la matière. Ce sont des matériaux qui ont mis des milliers, des millions, voire des milliards d’années pour devenir ce qu’ils sont. Je m’intéresse par ailleurs aux cultures des régions où ils se sont formés. En les trans-formant, les glorifiant, j’entends construire un pont entre ces matières premières, leur environnement culturel et ceux qui portent les bijoux. La Goralska que je suis apporte ainsi au monde son petit grain d’harmonie.

Vous êtes en train de développer les résidences Goralska, quelle est la finalité de cette « déclinaison » du concept Goralska ?

Comme je l’ai dit, une « Goralska » est une femme responsable de sa vie et de la cité. Cette cité désormais globale. La citoyenne d’aujourd’hui se soucie donc du monde. Elle est consciente, et concernée, de ses réalités, sans forcément s’engager dans des actions humanitaires ni même de charité. Et elle voyage, la « Goralska ». Car elle est libre de bouger. L’univers de la femme Goralska m’a inspiré ces résidences conçues pour répondre aux besoins des personnes, femmes, hommes et enfants, en transit. Pour donner du confort à la mobilité. Notre devise le dit bien : « Cosy, Homy, Nomade ». On y trouvera des salons de thé, des magasins où se vendront des produits équitables qui, pour boucler la boucle, viendront de régions minières – Namibie, Afrique du Sud… – si possible. On exposera des artistes, proposera des conférences et des forums de discussion. Ce seront des lieux animés. Et très hospitaliers. Le premier ouvrira courant mai à Paris, quai Bourdon, avec une vue imprenable et unique, sur le port de l’Arsenal. D’autres rapidement suivront à Paris encore et à Bruxelles, dans le quartier européen.

Vous avez aussi créé le prix de la femme Goralska, quel en est le propos ?

Il est d’honorer l’action d’une femme liée à une terre, à une communauté, qui s’efforce d’y améliorer les conditions de vie. Chaque membre du jury, pour l’instant composé uniquement de femmes – mais cela peut changer –, et présidé par madame Monique Canto-Sperber, proposera des candidates. Puis on délibèrera. Le prix sera remis dans le courant du mois d’octobre.

 

La politique selon Corinne Evens

 

Vous intéressez-vous à la politique et à l’économie ?

L’économie est une nécessité. Je suis une femme d’affaires. Et je milite pour que l’impact investment et le social business prennent le pouvoir dans l’économie en train d’être réinventée, notamment par les jeunes et le numérique.

Cela dit, la montée des populismes et de l’extrême droite m’inquiète. Les vieux démons ressurgissent et de nouveaux apparaissent. L’Europe est en guerre civile latente. On arrive certes toujours à éteindre les feux mais seulement parce que nous sommes de plus en plus sophistiqués et que des personnalités arrivent à se dresser efficacement contre eux.

À qui pensez-vous par exemple ?

Angela Merkel est formidable.

C’est une femme Goralska ?

Oui, absolument. Goralska, mais pas féministe.

Que faire contre cette montée de l’intolérance et des haines ?

L’éducation à la paix est la priorité. Elle seule permet de transformer la violence que l’on porte en soi en quelque chose de positif. Elle seule permet de construire.  Je dirige la Fondation Evens, créée par mes parents, mon frère et des amis proches. Nous śuvrons dans toute l’Europe pour l’éducation à la paix, aux médias, et le soutien à la société civile. La Fondation décerne aussi un prix de l’art et un de la science dans les neurosciences. C’est notre Fondation qui a inventé le concept d’interculturalité, critiqué par certains, et notamment en France, mais qui est une valeur de dialogue entre les Européens issus de cultures différentes auxquelles ils sont attachés mais qui se sentent Européens. L’an passé, et j’en suis très fière, nous avons primé une Maison des cultures et des expressions située dans la région de Venise dont la créativité et l’inventivité sont la plus belle réponse sociale à qui voit le monde s’effondrer : Artway of Thinking.

D’un point de vue plus politique, que pensez-vous de la Pologne, d’où vous êtes originaire et dont de nombreux Européens (les Polonais eux-mêmes : ils étaient 250 000 à manifester samedi 7 mai) critiquent le gouvernement conservateur ?

Je suis une femme passerelle et je me préoccupe de rapprocher par exemple les juifs et la Pologne. Je préside l’Association européenne du Musée de l’histoire des Juifs en Pologne qui a śuvré à la création du musée Polin, à Varsovie.

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Les Polonais ont pratiquement découvert la Shoah à la fin de l’ère soviétique. On leur a enseigné dans les écoles socialistes que seuls les communistes avaient été assassinés dans les camps de concentration. Ils ressentent le besoin d’explorer l’histoire de leurs Juifs, on pourrait dire : leur histoire juive. La présence millénaire des Juifs a marqué leur culture. Leur quasi-absence aujourd’hui (ils étaient plus de 3 millions en 1939, ils sont environ 8 000) n’est donc en rien anodine.

Les Polonais en sont conscients. Ils sont nombreux chaque année à assister au Festival de culture juive de Cracovie. La municipalité de Varsovie, avec l’État polonais, soutient le Musée d’histoire du peuple juif. Donc oui, le judaïsme et son histoire ont un public en Pologne. Même Andrzej Duda, le président actuel, a compté, avant son mandat, parmi les visiteurs du musée Polin. Il y a certes un mouvement vers l’extrême droite et le conservatisme en Pologne, mais les choses peuvent encore changer dans le bon sens.

Vous avez aussi contribué à l’implantation d’un complexe industriel à Bethléem en Palestine…

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En effet, le Bethlehem Multidisciplinary Industrial Park, en territoire palestinien. Né des volontés réunies des présidents Shimon Peres, Mahmoud Abbas et Nicolas Sarkozy. Il s’agit de contribuer à l’équilibre de la région. Ce complexe industriel doit aider au développement de l’économie palestinienne et à la création d’emplois. En montrant qu’ils peuvent eux aussi avoir une industrie prospère, les Palestiniens retrouveront un sentiment de dignité. Ils ont besoin des deux, d’une économie saine et de fierté nationale, pour créer un État pérenne. Or seul un État pérenne pourra construire la paix : je suis pour un État palestinien comme je suis pour l’État hébreu. Et rien n’est plus important que de construire la paix.

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