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12H46 - jeudi 28 avril 2016

Retour sur le premier tour des élections péruviennes

 

Le premier tour des élections présidentielles et législatives péruviennes a vu la victoire du « fujimorisme ». Avec 71 des 130 sièges au Congreso de la República – le Parlement monocaméral péruvien – Keiko Fujimori s’est d’ores et déjà assuré le contrôle absolu du Législatif. Elle pourra nommer les directeurs de la Banque centrale et de la Cour des comptes ; et si elle trouve des alliés, elle désignera aussi l’Ombudsman et les membres du Tribunal constitutionnel. Sa victoire au second tour du 5 juin lui accorderait un pouvoir total, c’est une invitation à l’autoritarisme par la concentration des pouvoirs. Avant le 5 juin, retour sur quelques leçons de ce premier tour.

Manifestation contre la commission électorale péruvienne, Lima, mars 2016 Crédit photo : Art DiNo/Flickr

Manifestation contre la commission électorale péruvienne, Lima, mars 2016
Crédit photo : Art DiNo/Flickr

La tentation autoritaire

Alors que le vote est obligatoire au Pérou, c’est l’abstention – cumulée au vote blanc et nul – qui a remporté le premier tour de ces élections. 36 % des 22 millions d’électeurs ont ainsi manifesté leur rejet des candidats traditionnels interchangeables, leur déception d’une offre programmatique pauvre, et leur désaffection d’un processus électoral qui les a privés de deux de leurs candidats. Les élections péruviennes ont même été qualifiées de « semi-démocratiques » par le secrétaire général de l’Organisation des États américains suite aux tribulations de la commission électorale.

Ces 36 % représentent un réservoir de votes considérable pour un second tour qui s’annonce extrêmement polarisant. Puisque les deux candidats en lice se sont fait les thuriféraires de l’orthodoxie économique, c’est l’opposition entre le fujimorisme et l’anti-fujimorisme qui définira le vainqueur de la présidentielle.

KeikoKeiko Fujimori (droite, 39 % au premier tour), fille du « dernier samouraï » (ainsi s’est surnommé lui-même l’ex-dictateur Alberto Fujimori), est à la tête d’un parti politique mêlé à des affaires de corruption et dirige un courant de pensée qui a défendu le coup d’état de 1992 ainsi que les crimes et violations de droits de l’homme des années 1990. Pour elle, la stérilisation systématique forcée de 300 000 paysannes et indigènes, ne constitue qu’un dérapage du « programme de santé reproductive » mis en place par son père.

 

Pablo

Face à elle, Pedro Pablo Kuczynski – PPK (droite, 21 % au premier tour) aura cependant du mal à incarner l’anti-fujimorisme. Non seulement dans les élections de 2011 il avait soutenu Fujimori, mais il prévoit aujourd’hui, s’il est élu, d’améliorer les conditions de détention de l’ancien dictateur, tout en revendiquant son héritage économique. Avec son arrogance passablement raciste, incarnation des élites liméniennes déconnectées du pays, PPK peinera à rallier les Péruviens. Ces derniers, par l’abstention et le vote pour de la gauche (18 %), ont montré une certaine volonté de changement par rapport au modèle économique primo-exportateur qui creuse les inégalités et criminalise les mouvements sociaux : ces quinze dernières années 235 manifestants sont morts au cours de charges policières !

L’affrontement entre Keiko Fujimori et PPK se présente comme le combat entre le messianisme populiste autoritaire et la technocratie ultralibérale.

Le retour de la gauche sur l’échiquier politique

Après trois décennies la gauche péruvienne semble de retour. Attaquée par la guérilla maoïste du Sentier lumineux, écrasée par le régime autoritaire d’Alberto Fujimori, la gauche survivait aux marges de la vie et de la représentation politiques. En 2011, l’élection d’Ollanta Humala avait réveillé un espoir de reconstitution, mais son brusque revirement vers le centre-droit, balayant et/ou « trahissant » ce projet, avait fait déchanter.

FrenteAujourd’hui, Verónika Mendoza n’est pas passée au second tour, mais sa formation politique, le Frente Amplio, est appelée à exercer un rôle de contrôle et d’opposition au sein du Parlement. Elle et sa vingtaine de députés pourront chercher des alliances avec Acción Popular, dont ils partagent le programme social, de défense des libertés civiles, et la volonté de repenser le modèle de croissance économique. Si on peut difficilement envisager que le Frente Amplio rallie les deux tiers des députés nécessaires pour modifier la Constitution, il pourra cependant impulser une loi d’aménagement territorial incluant la consultation des populations indigènes, et il travaillera sans doute au renforcement de l’organe de surveillance environnementale, car le pays est frappé par des désastres écologiques. Frente Amplio et Acción Popular sont aussi favorables à la légalisation de l’avortement « thérapeutique » et au mariage pour les couples de même sexe – une vraie révolution dans ce pays conservateur ! – ce qui leur a valu les foudres des églises catholique et évangélique.

Ces deux formations politiques ont prouvé que dans cette « démocratie sans partis » il y avait de la place pour des propositions politiques hétérodoxes, proposant une rupture avec le statu quo : n’en déplaise à la droite ces formations ont réussi, en très peu de temps et avec peu de moyens, à inclure durablement dans le débat politique une nouvelle vision du développement national et des programmes favorables à une redistribution plus juste des richesses. Ces deux partis devront se consolider pour 2021, et surtout réorganiser le centre et la gauche en vue des élections municipales et régionales qui approchent.

Le modèle économique questionné mais pas remis en cause

Les marchés sont rassurés. À première vue – avec deux candidats de droite au second tour – c’est le statu quo qui l’a emporté : le modèle économique extractiviste et primo exportateur, qui stagne aujourd’hui, serait le grand gagnant de ces élections.

Or, c’est sans compter avec la sociologie et la cartographie électorales. Car dans les régions minières et exportatrices (les plus pauvres du pays), ce modèle est fortement rejeté. Ces régions, pour l’essentiel dans le Sud et le centre du Pérou, se sont refusées à Keiko Fujimori et à PPK. Au contraire, elles ont donné leur vote au Frente Amplio, dont la candidate a reçu la visite inattendue de l’ambassadeur états-unien, voulant s’assurer que les intérêts de l’Union seraient garantis si jamais elle était élue. De même, la région minière de Cajamarca, où le mégaprojet Conga est implanté (la mine d’or à ciel ouvert la plus grande d’Amérique), a voté majoritairement pour Democracia directa, formation de gauche antisystème qui puise ses origines dans le Parti communiste et les « rondes paysannes », des organisations d’autodéfense du monde rural, au cœur des mobilisations sociales.

Minas Conga, la mine d’or à ciel ouvert la plus grande d’Amérique, Cajamarca – Creative Commons

D’après l’analyste Victor Vich, la récente campagne électorale a permis un ébranlement du « discours hégémonique » en matière économique. Hier, les candidats n’envisageaient même pas la possibilité de renégocier les contrats miniers et gaziers défavorables au Pérou (exportateur de gaz, le pays connaît le prix du gaz le plus élevé d’Amérique du sud !). Aujourd’hui, la droite néolibérale et intransigeante de Pedro Pablo Kuczynski est amenée à faire des concessions à ce sujet si elle souhaite l’emporter au second tour. Désormais, la question de la renégociation de ces contrats est au cœur du débat, c’est une ouverture dans un pays où le consensus était favorable à l’inversion privée, d’où qu’elle vienne et quelles qu’en soient les conséquences.

Par ailleurs, le cycle de croissance dû au prix élevé des matières premières s’essouffle, et le Pérou ne croît plus à 6 % par an comme ce fut le cas dans les années 2000. Les prévisions de la Cepal (Commission régionale de l’Onu pour l’Amérique latine et les Caraïbes en matière économique) ne sont pas optimistes pour les années qui viennent. Et ce d’autant plus que l’impact social et environnemental de l’ouverture sans restrictions aux investissements étrangers a établi, au Pérou, un état de conflictualité sociale permanent.

D’après un sondage de l’institut GFK, 69 % des Péruviens attendent un changement ou, au moins, des améliorations apportées au modèle économique. Il est question de vaincre la dépendance de l’économie nationale à la conjoncture internationale et aux équilibres du marché. Le Pérou aurait plutôt besoin de diversifier son économie et de bâtir des institutions plus solides.

La commission électorale péruvienne continue à faire des siennes. Dans un revirement tragicomique elle a décidé d’appliquer l’ancienne interprétation de la loi électorale : le seuil de 5 %, que les partis devaient dépasser pour assurer leur inscription, ne sera pas majoré de 1 % par membre d’une coalition électorale. Conséquence : le maintien au Congreso de la República, de certains partis, notamment l’Apra (la social-démocratie).

Une embuscade a eu lieu, dans le centre-sud du pays, contre des troupes militaires à la veille du premier tour. Elle a été attribuée au « Sentier Lumineux ». Cependant, il ne s’agit pas de la guérilla historique, mais des guérilleros reconvertis au trafic de drogue : depuis 2000 le Pérou est devenu le premier producteur de cocaïne au monde ! Les affrontements mortels, entre militaires et narcotrafiquants, sont fréquents dans cette zone, mais ils font très rarement la une des journaux. À la veille du première tour (dans un pays où un seul groupe médiatico-industriel possède 85 % de moyens de communication) la couverture excessive de cette affaire a surtout réveillé la crainte du « communisme » dans l’électorat péruvien.

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