Edito
15H54 - lundi 24 novembre 2025

Rudy Casbi : « L’hydrogène reste encore et toujours la promesse inachevée d’un monde décarboné »

 

Rudy Casbi : « L’hydrogène reste encore et toujours la promesse inachevée d’un monde décarboné »

« Les utopies ne sont souvent que des vérités prématurées », écrivait Alphonse de Lamartine. Depuis plus de deux décennies, l’hydrogène est célébré comme le carburant du futur. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) en a fait la clef de voûte de la neutralité carbone d’ici 2050. Mais derrière les promesses, le constat est brutal : le secteur stagne. En Europe, moins de 2 % de la production énergétique provient de l’hydrogène “vert”. Aux États-Unis, les géants de la tech qui avaient annoncé des investissements massifs reculent. En Afrique, la promesse d’une filière créatrice d’emplois et d’infrastructures tourne au mirage faute de financement. Comme le rappelle Jacques Attali, économiste français «le diable se cache dans les détails», et la politique énergétique en regorge.

Produire un kilo d’hydrogène vert — issu de l’électrolyse de l’eau alimentée par des énergies renouvelables — coûte encore entre 3 et 6,5 euros, selon l’AIE, contre moins de 2 euros pour l’hydrogène “gris” tiré du gaz naturel. Le différentiel de coût explique à lui seul l’inertie du marché. Et si les ambitions sont mondiales, les subventions ne le sont pas : 70 % des aides publiques sont concentrées en Europe, tandis que l’Asie investit désormais davantage dans le nucléaire de nouvelle génération.

 

Une décennie d’erreurs politiques et industrielles

Albert Einstein rappelait que « la folie, c’est de faire toujours la même chose et d’attendre un résultat différent ». Depuis 2010, les gouvernements ont multiplié les annonces sans bâtir d’infrastructures robustes. L’Europe a financé plus de 250 projets pilotes sans créer de véritable filière industrielle intégrée. Aux États-Unis, les effets d’aubaine liés à l’Inflation Reduction Actont attiré des capitaux, mais les projets se concentrent sur la production — non sur la distribution. En Afrique, les plans hydrogène au Maroc, en Namibie ou au Kenya peinent à trouver leurs acheteurs.

Le problème est systémique : pas de vision commune, pas de standard mondial, pas de coordination entre États, investisseurs et chercheurs. Le résultat est cruel : les dix dernières années ont vu plus d’un million d’emplois potentiels s’évaporer dans les secteurs de la chimie, de la logistique et des énergies renouvelables. Lionel Jospin, ancien Premier ministre, l’avait dit avec justesse : « L’énergie, c’est la politique à l’état pu . Et tant que la politique restera divisée, l’hydrogène restera une utopie technologique.

 

Le coût du renoncement : marchés en berne et promesses envolées

Sur les marchés financiers, la désillusion est palpable. Plug Power a perdu environ 75 % de sa capitalisation depuis 2021, Ballard Power Systems près de 65 %, pendant que les majors pétrolières engrangent des profits records. Les investisseurs institutionnels ont reculé, faute de visibilité réglementaire. En Bourse, l’hydrogène est devenu un pari spéculatif, quand il devait être une révolution industrielle. Selon Hydrogen Europe et l’AIE, plus de 400 000 emplois directs pourraient être créés d’ici 2030 si une feuille de route cohérente voyait le jour. À l’inverse, l’inaction actuelle menace des milliers d’emplois dans les filières industrielles déjà engagées dans la transition.

Selon John Maynard Keynes, économiste britannique, «le capital est un animal peureux». L’hydrogène illustre cette maxime : sans cadre politique clair ni modèle économique stable, les capitaux s’enfuient vers des actifs plus rassurants — pétrole, data centers, IA. Le coût du renoncement, ici, n’est pas seulement écologique : il est financier, humain et civilisationnel.

  

Ce qu’il faudrait changer : une gouvernance mondiale de l’hydrogène

« Partout où il y a de la volonté, il y a un chemin », disait Goethe, écrivain allemand et humaniste. L’hydrogène souffre d’un mal structurel : son absence de gouvernance mondiale. L’Europe finance ses “vallées hydrogène”, la Chine construit ses usines d’électrolyseurs, l’Afrique cherche ses partenaires… mais personne ne coordonne les efforts.

Il est temps de poser les bases d’une Alliance mondiale de l’hydrogène, sur le modèle du GIEC : États, entreprises et société civile réunis pour harmoniser les labels, mutualiser les investissements, partager les données et auditer les résultats. Selon McKinsey & Company, cabinet de conseil international en stratégie fondé aux États-Unis et considéré comme l’un des plus influents au monde, un plan mondial de 250 milliards d’euros sur dix ans suffirait à rendre l’hydrogène compétitif d’ici 2035.

L’historien israélien Yuval Noah Harari écrit : «ce n’est pas la technologie qui sauvera le monde, mais la conscience de ceux qui l’utilisent ». L’hydrogène ne manquera pas d’ingénieurs, il manquera d’architectes du sens.

 

Reprendre la main : société civile et secteur privé, même combat

L’économiste français Frédéric Bastiat déclarait « quand l’État faiblit, la société doit agir ». Les grands États ne bougeront pas seuls. C’est désormais à la société civile, aux entrepreneurs, aux collectivités et aux chercheurs de bâtir des coalitions d’action. Des startups comme Lhyfe en France, Nel Hydrogen en Norvège ou HDF Energy en Afrique de l’Ouest montrent la voie. Elles prouvent qu’un modèle décentralisé — financé par des partenariats public-privé et soutenu par les consommateurs eux-mêmes — peut réussir là où les plans étatiques ont échoué.

Mais il faut aussi tirer les leçons du passé. Le philosophe américain George Santayana nous avertissait: « Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le revivre. » La décennie 2020–2030 ne peut pas répéter les erreurs de la décennie précédente. Elle doit être celle du courage politique, de la coordination industrielle et de la conscience collective.

 

Vers un nouvel humanisme énergétique 

Le philosophe Henri Bergson écrivait : « L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire ». L’hydrogène ne décollera que si l’humanité comprend qu’il ne s’agit pas d’une technologie, mais d’une civilisation énergétique à inventer.

Le XXIᵉ siècle ne sera pas celui du pétrole, ni du vent, ni du lithium : il sera celui de l’énergie intelligente, coopérative et humaine.

L’Europe peut reprendre le leadership moral et technologique de cette bataille. À condition d’unir ses forces à celles de l’Afrique, des États-Unis et de l’Asie, et de cesser de rêver seule.

L’hydrogène n’est pas un échec : c’est un rendez-vous manqué avec notre propre courage.

  

Rudy Casbi

Entrepreneur et spécialiste de l’hydrogène

 

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