Opinion Territoires
16H00 - vendredi 3 octobre 2025

Un Sommet de l’élevage sans bovins : la fragilité d’une puissance agricole.

 

Un Sommet de l’élevage sans bovins : la fragilité d’une puissance agricole

Un Sommet de l’élevage sans vaches : le scénario paraissait impossible. Pourtant, la décision est tombée : du 7 au 10 octobre prochain, aucun bovin ne foulera les allées de la Grande halle d’Auvergne, près de Clermont-Ferrand. La dermatose nodulaire contagieuse, maladie virale qui s’étend déjà à plusieurs régions françaises, a contraint les organisateurs et les syndicats d’éleveurs à annuler la présence de leurs animaux.

Ce choix, dicté par la responsabilité sanitaire, est aussi un acte de solidarité. Les représentants des races Charolaise, Limousine, Aubrac et Salers ont préféré renoncer collectivement, afin de ne pas faire courir de risques supplémentaires aux cheptels. Or derrière ce consensus se cache une profonde inquiétude : comment imaginer un « Sommet de l’élevage » sans son cœur battant, sans les concours de bovins qui attirent chaque année des milliers de visiteurs et de délégations étrangères ?

 

Une filière sous pression

Cette absence symbolise la fragilité d’un secteur agricole déjà en tension. Dans des départements comme le Cantal où l’élevage laitier et allaitant structure plus de la moitié de l’économie agricole, chaque crise sanitaire agit comme un séisme. Après la fièvre catarrhale ovine en 2015, après les épisodes d’ESB, après l’influenza aviaire qui a frappé durement les éleveurs de volailles, voici une nouvelle alerte qui cloue au sol les éleveurs bovins.

Ces maladies, souvent importées par le jeu des échanges internationaux, rappellent combien la mondialisation des flux peut devenir un facteur de vulnérabilité. Une vache infectée en Italie, un troupeau contaminé en Grèce et c’est toute l’Europe de l’élevage qui tremble. Or la France, puissance agricole, ne peut se contenter de subir.

 

Un Sommet de l’élevage sans bovins : la fragilité d’une puissance agricole

Le Massif central en première ligne

Au-delà des chiffres, il faut mesurer l’impact moral et territorial de cette décision. Dans le Massif central, les bovins ne sont pas seulement des animaux de rente ; ils façonnent les paysages, maintiennent la vie des villages et incarnent une culture rurale séculaire. Voir les concours charolais, salers ou limousins annulés, c’est comme si un pan de cette identité était effacé.

Les éleveurs le disent ; ils vivent dans un climat anxiogène, partagés entre la peur de voir leur cheptel décimé et la crainte de perdre une vitrine commerciale essentielle. Le concours national charolais, qui devait se tenir au Zénith d’Auvergne, est rayé du calendrier. Les pertes financières pour l’organisation se chiffrent à 200 000 ou 250 000 euros mais le coût réel est ailleurs ; dans la perte de confiance, dans le sentiment d’impuissance et dans la question lancinante de l’avenir du métier.

 

Une vitrine internationale fragilisée

Le Sommet de l’élevage n’est pas un salon local ; il est une vitrine mondiale de la génétique française. Chaque année, des délégations venues d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine parcourent les allées de Cournon pour acheter des reproducteurs, découvrir les meilleures lignées charolaises, limousines ou salers. C’est cette excellence qui fait de la France l’un des leaders de l’élevage bovin mondial.

Cette année, ces acheteurs étrangers ne verront que des boxes vides. L’image est dure, presque humiliante pour un pays qui revendique la souveraineté alimentaire et une agriculture d’excellence. La génétique française conserve son potentiel mais comment maintenir cette place si la moindre alerte sanitaire paralyse toute la filière ?

 

Un enjeu européen et politique

L’épisode du Sommet 2025 pose une question politique de fond : jusqu’à quand l’Europe agricole acceptera-t-elle de réagir au coup par coup ? Depuis trente ans, les crises sanitaires se succèdent et chaque fois, ce sont les éleveurs qui paient la facture. La Politique agricole commune (PAC) soutient les revenus mais elle n’a pas encore su construire une véritable stratégie de prévention sanitaire à l’échelle du continent.

La dermatose nodulaire n’est pas la première alerte et elle ne sera pas la dernière. Il faut investir massivement dans la recherche vétérinaire, renforcer les contrôles aux frontières, mutualiser les systèmes de surveillance et accompagner les éleveurs dans la gestion des risques. Faute de quoi, l’Europe agricole sera toujours en retard d’une crise.

 

Un signal pour l’avenir

Le Sommet de l’élevage 2025 restera un lieu d’échanges, de conférences et d’innovations. Les ovins, les équins, les caprins seront là et les visiteurs trouveront toujours un espace de rencontre mais cette édition amputée restera dans les mémoires comme un signal d’alarme.

Il ne s’agit pas seulement de sauver un salon ; il s’agit de préserver un patrimoine vivant, une filière stratégique, un modèle rural qui fait la richesse et la diversité de la France. Les éleveurs du Massif central, du Cantal à la Haute-Loire, savent que leur avenir dépendra de notre capacité collective à protéger leurs troupeaux.

Le message est clair : protéger nos élevages, c’est protéger nos campagnes, nos exportations et, au fond, une part essentielle de l’identité française.

 

Thierry Gibert

Agé de 53 ans, Thierry Gibert vit à Aurillac dans le Cantal. Délégué Départemental de l’Éducation Nationale du Cantal, il est formateur « Valeurs de la République et Laïcité » en région Auvergne-Rhône-Alpes, responsable syndical départemental, président de l’association Union des famille laïques du pays d’Aurillac, fondateur du collectif citoyen En Avant Aurillac. Il s’exprime à titre personnel dans les colonnes d’Opinion Internationale.

Émeutes à Aurillac : le Cantal reflète la montée en puissance du désordre national. Tribune de Thierry Gibert

Émeutes à Aurillac : le Cantal reflète la montée en puissance du désordre national. Tribune de Thierry Gibert