Edito
17H38 - mercredi 30 juillet 2025

Shein, bouc émissaire idéal d’une indignation sélective ? L’édito de Michel Taube

 

Shein, bouc émissaire idéal d’une indignation sélective ? L’édito de Michel Taube

À quoi s’attendaient les ONG Action Aid France et China Labor Watch, relayées sans nuance par Mediapart, en entrant dans les ateliers sous-traitants de Shein à Guangzhou ? À des ouvriers en baskets écoresponsables, casques antibruit sur les oreilles, glissant sur des trottinettes électriques jusqu’à une cafétéria dernier cri façon start-up californienne ? Non bien sûr. Mais alors pourquoi cette indignation théâtrale face à une réalité que tout le monde connaît, y compris ceux qui feignent aujourd’hui de la découvrir ?

Dans son long papier moralisateur, Mediapart se fait le porte-voix d’un rapport qui, sous couvert de révélations, enfonce des portes grandes ouvertes en utilisant une méthodologie discutable et orientée, avant même d’être entamée, uniquement à charge. Oui, les conditions de travail dans la fast-fashion sont dures, parfois indignes. Mais Shein n’est pas une anomalie, c’est un miroir grossissant d’un système mondialisé, auquel participent aussi bien Temu, Primark… et des fleurons français comme Kiabi, récemment épinglé pour ses pratiques au Bangladesh. Là-dessus, Mediapart est bien plus discret.

Ce qui dérange dans l’ascension de Shein, ce n’est pas tant la précarité des ateliers – qui est la norme dans l’industrie textile depuis des décennies – mais le fait que cette marque chinoise, portée par les algorithmes et l’ultra-réactivité, pulvérise la concurrence occidentale. Alors on la désigne à la vindicte, on s’indigne à bon compte, on dénonce son modèle… tout en fermant les yeux sur celui des autres.

Pourtant, Shein n’est pas la marque la plus opaque. Elle publie des audits, affirme rompre les contrats avec les contrevenants, met en place des crèches, forme ses sous-traitants, et – contrairement à d’autres – reconnaît les failles de son système. Elle mérite des critiques, mais certainement pas d’être seule clouée au pilori.

Quand Mediapart écrit qu’il ne s’agit pas d’une « brèche » mais d’une « version radicalisée du système », il vise juste. Mais pourquoi donc s’acharner exclusivement sur Shein si le mal est systémique ? Pourquoi ne pas nommer, exposer, accuser toutes les enseignes qui profitent des mêmes mécanismes ? Peut-être parce qu’il est plus facile, plus confortable, de cibler un symbole étranger que de regarder en face nos propres enseignes tricolores.

Moraliser le monde ne suffira pas à l’assainir. Et ce n’est pas en jetant l’opprobre sur un seul acteur – qui au moins tente de s’amender – qu’on règlera les dérives d’un modèle tout entier.

Edwy Plenel et ses disciples veulent-ils se racheter une morale après leurs sombres années Mao ?

 

Michel Taube

Directeur de la publication