
Opinion Internationale : bonjour Sophie Bauer, merci d’avoir accepté de nous répondre. Vous êtes chirurgienne thoracique et cardiovasculaire libéral, présidente du Syndicat des Médecins Libéraux (SML) depuis fin 2022, conseillère ordinale de l’Ordre des médecins de Seine-et-Marne, vice-présidente du CTS 77, présidente de la CPTS Melun-Val-de-Seine, et cofondatrice de l’Institut Women Safe & Children.
L’Assemblée nationale, après avoir adopté le volet recettes, vient d’entamer l’examen des dépenses dans le Projet de Loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS). Dans un édito de la Rédaction, nous alertons les Français sur les risques que font courir le PLFSS aux Français et plus particulièrement aux professionnels de santé, avec aussi une tribune du Dr Dominique Bellecour, Président de l’Union de la Médecine Esthétique du SML sur ce « populisme sanitaire ».
Dans la newsletter du SML, vous qualifiez le PLFSS de « torchon antidémocratique et antilibéral dont seule une IA en pleine hallucination pourrait être fière ». Pourquoi une réaction aussi vigoureuse ?
Parce que ce PLFSS, non content de s’attaquer à la médecine libérale qu’il met en danger, nie les principes fondateurs de la Sécurité sociale. Il frappe sur tout, d’abord les patients, et surtout les plus malades d’entre eux qui auront à payer le plus de franchises. Sur les médecins avec une atteinte grave à leur indépendance de prescription, sur l’empathie qu’ils peuvent avoir avec leurs patients par une suspicion généralisée diffusée par le politique. Enfin sur une vision purement administrative du soin. Dans son « économique générale », et les guillemets s’imposent, ce PLFS nie le fait que la médecine libérale est un moteur économique majeur. Plus largement, la santé est devenue la première industrie mondiale, ce qui explique peut-être les coups de boutoir que nous subissons des financiers que nous avons supplantés.
Même le Conseil national de l’ordre des médecins est vent debout contre le PLFSS 2026.
Je précise que le SML a toujours été, depuis sa création en 1981 par Dinorino Cabrera, un syndicat porteur de propositions. Lorsque nous disons NON, c’est que le torchon brûle.
Concrètement, quels points vous font bondir dans le PLFS ?
Tout d’abord, la tentative de nous transformer en collecteurs de fonds pour l’Assurance maladie. C’est une négation du colloque singulier, ce contrat entre un médecin et son patient qui n’a pas à être parasité par une mission fiscale. Cette idée a été écartée en commission des affaires sociales, mais rien ne dit qu’elle ne reviendra pas.
Ensuite, l’obligation de consulter le Dossier Médical Partagé à chaque visite, sous peine d’amendes pouvant aller jusqu’à 10 000 € par an (2 500 € par dossier). Le DMP est aujourd’hui un fourre-toutinexploitable. Sa consultation se fera au détriment du temps patient. On marche en arrière : nous avons soutenu le dispositif des assistants médicaux qui était une idée SML. Et voici que nous voyons revenir à la charge l’administration dans toute sa vision qui exclut totalement le soin et qui est une vision purement administrative du patient.
Nos griefs ne s’arrêtent pas là : les coupes réglées proposées dans le PLFSS contre les secteurs 2 et 3sont une véritable déclaration de guerre contre la médecine libérale. Je rappelle que les compléments d’honoraires avaient été ouverts sous les années Barre pour retenir les médecins en France faute de tarifs Sécu adaptés à la technicité et à la charge mentale de leur mission. Beaucoup d’actes techniques sont rémunérés aux mêmes tarifs qu’il y a quarante ans ! Une révision est certes en cours mais, dans le contexte actuel, nous craignons le pire !
Quant à l’attaque contre le secteur 3, – moins de mille médecins en France -, il est prévu, tenez-vous bien, de rendre non remboursables leurs prescriptions (médicaments, imagerie, examens, avis) ! C’est une rupture du contrat social : les patients cotisent, ils doivent être remboursés. C’est totalement nouveau et inéquitable.
Les patients n’ont pas été oubliés par le PLFSS ?
En effet, on veut nous imputer l’explosion des arrêts de maladie, notamment pour souffrances au travail. Mais en s’attaquant à nous, on s’attaque à nos patients.
On nous reproche la multiplication des arrêts maladie et donc des indemnités journalières liées à ce dérapage de santé mentale de la population française. Mais c’est la réalité : le médecin se retrouve de plus en plus face à des patients qui évoquent parfois un risque suicidaire s’ils reprennent trop vite le travail. Depuis les suicides à France Télécom, personne ne prend cela à la légère. Il existe des outils d’évaluation, mais notre rôle n’est pas de soupçonner par principe tous les patients. Lorsqu’une ministre clé de la macronie vous explique dans un livre comment obtenir un arrêt de travail pour « baby blues », on marche sur la tête.
Vous savez, un des plus grands médias de France, ce sont les cabinets médicaux : les patients nous parlent et se confient dans ce colloque singulier avec leur médecin. Nous en avons tiré une bonne connaissance de la société française et le diagnostic est dur : santé mentale, paupérisation, dégoût à l’endroit des politiques, incompréhension devant le prix de l’énergie si chère alors que nous la produisons en France à bas coûts…
Or sur les ALD (affections longue durée), le PLFSS prévoit la sortie de certaines formes de dépression légère des ALD. C’est paradoxal : on proclame la santé mentale comme grande cause nationale mais on retire 100 % des soins concernés par certaines affections.
Le SML soutient le mouvement de grève des médecins radiologues. La discussion sur le PLFSS se tient dans un climat très tendu parmi les professionnels de santé. Le mouvement de grève lancé par la FNMR (Fédération nationale des médecins radiologues) s’annonce très suivi ce lundi 10 novembre 2025 dans le secteur libéral. Pour Sophie Bauer, présidente du SML, « le combat des radiologues est juste. Le SML a refusé de de signer les baisses demandées par l’Assurance-maladie. Car baisser autoritairement les tarifs tout en demandant aux radiologues de garder leurs machines douze ans au lieu de sept, alors que l’innovation améliore diagnostic et pronostic, est inentendable. Parler de « rentes » alors que les plateaux coûtent des millions d’€ et doivent être renouvelés est déconnecté. La France compte un parc de scanners et de machines, certaines très performantes, et beaucoup très anciennes. » Et la chirurgienne de conclure : « qui va financer le renouvellement du parc technique, gage d’une prévention efficace ? Les radiologues eux-mêmes. A-t-on déjà oublié les leçons du Covid et le coût sanitaire des retards de prise en charge des maladies ? On rabote, on freine l’innovation, on plonge les Français dans la souffrance et on creuse les déficits ! »
Pourquoi, selon vous, ces coups de boutoir répétés contre la médecine libérale ?
Parce que, politiquement, s’attaquer à la médecine libérale est devenu un marqueur de gauche : étatisation du système, médecins et patients moins libres. Dans une Assemblée sans majorité, certains textes ne passent qu’avec l’appoint de la gauche. La médecine libérale est prise en otage et devient une victime collatérale de ces faux-équilibres.
Nous dénonçons l’étatisation accélérée de la Sécu qui tue le paritarisme : la lettre d’orientation ministérielle préalable aux négociations conventionnelles, la nomination du directeur général de la CNAM par le ministre, puis la LFSS 2024 demandant de façon autoritaire 300 M€ « d’économies » ciblées sur l’imagerie.
Dans la même veine, lorsqu’il a pris ses fonctions, le Premier ministre Sébastien Lecornu a annoncé dans sa déclaration de politique générale des maisons France santé. Mais figurez-vous que le gouvernement lui-même, inspiré par la logique d’Emmanuel Macron depuis son élection en 2017, a déposé un amendement au PLFSS par lequel l’exécutif récupérerait les CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) qui sont des objets associatifs principalement libéraux et gérés par les professionnels libéraux pour en refaire des outils administratifs et étatisés. Donc évidemment le SML est complètement opposé à cette vision.
Ce PLFSS est insincère : l’ONDAM de ville à + 0,88 % est intenable avec le vieillissement et les maladies chroniques (on était plutôt à + 4–5 % les années passées). Côté établissements, + 1,6 %, sous-évalué lui aussi, ne permet ni d’embaucher ni d’augmenter les salaires. Et pendant ce temps, on débloque des budgets faramineux à l’IA hospitalière, avec parfois des start-up dont on ne connaît ni les outils ni la pertinence.
Au final, permettez-moi de reprendre les termes solennels du Conseil national de l’Ordre des médecins: « Au-delà des chiffres, la confiance entre patients, médecins et République est remise en cause. Le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 ne représente pas seulement une tentative de dérive gestionnaire, il marque un tournant alarmant pour l’équilibre du système de santé français, fondé sur la confiance entre les patients-citoyens, leurs médecins et les institutions de la République. L’intérêt du patient est relégué derrière la logique financière. [..].

Que demandez-vous aux parlementaires ?
Ce texte a été préparé dans la précipitation avant le dernier changement de gouvernement. Je tiens de source sûre que c’est l’une des raisons du refus de rempiler du Dr Neuder qui ne voulait pas porter ce projet inique.
On nous dit que la copie serait « modifiable », mais dans les faits, très peu d’ouvertures sont proposées : on nous explique que « c’est pour notre bien ». Non : ni pour le nôtre, ni pour celui des patients, ni pour l’équilibre des établissements.
Nos projections montrent que 40 % des cliniques privées basculeront en déficit grave si ce texte est voté en l’état.
C’est pourquoi nous appelons le Parlement à rejeter ce PLFSS en bloc.
Les économies de santé ne peuvent se faire que par la prévention. Et c’est pourquoi il est urgent de changer d’échelle sur la prévention. L’activité physique adaptée peut réduire massivement diabète et maladies cardio-vasculaires, parfois en deux ans, et diminue d’environ 40 % l’incidence des cancers. Ajoutez le sommeil et la nutrition, vous sauvez la Sécu et sa solidarité.
Sur la santé mentale, nous plaidons là aussi pour une vraie prévention plutôt que des mesures comptables type ALD, y compris des approches non médicamenteuses (activité physique adaptée, prise en charge du sommeil, méditation de pleine conscience, nutrition) qui ont fait leurs preuves.
Enfin, arrêtons de jeter la suspicion sur nos professions : certaines dispositions du projet de loi de lutte contre les fraudes fiscales et sociales, déposé par le gouvernement au Sénat le 14 octobre, sont un véritable scandale. La « mise sous objectifs » (déclarer à l’avance un quota de jours d’arrêt) est aberrante. Il existe déjà un outil : la mise sous entente préalable (MSAP), où les médecins-conseils contrôlent les arrêts d’un praticien. Sur 100 000 libéraux, les vrais fraudeurs sont très rares. Sanctionner toute une profession à cause de quelques brebis galeuses, cibler 1 500 à 2 000 médecins pour l’exemple, c’est injuste et inefficace.
Si le PLFSS passait en l’état, comme nous ne pourrons plus soigner les gens, il faudra faire passer au plus vite la loi sur la fin de vie et sur l’euthanasie active.
Propos recueillis par Michel Taube




















