Opinion Territoires
08H36 - lundi 10 novembre 2025

Aurillac, miroir des contradictions françaises sur l’éloignement des délinquants étrangers

 

Aurillac, miroir des contradictions françaises sur l’éloignement des délinquants étrangers

À Aurillac, paisible préfecture du Cantal, un trafic de stupéfiants en plein centre-ville a récemment été démantelé par la police [1]. Deux individus ont été interpellés : un Pakistanais de 35 ans et un Afghan de 29 ans. Dans l’appartement servant de plaque tournante, les forces de l’ordre ont saisi une importante somme d’argent liquide et diverses drogues. Le premier a écopé de trente mois de prison ferme, assortis d’une interdiction du territoire français pour cinq ans. Le second, déjà condamné par le passé, était incarcéré pour d’autres délits et sera rejugé le 3 novembre ON A LE RESULAT ? pour des menaces proférées en juin contre des agents de la préfecture d’Aurillac.

 

Une justice ferme sur le papier mais fragile dans les faits

Mais une peine de trente mois ferme ne se traduit pas nécessairement par trente mois derrière les barreaux. Entre réductions automatiques de peine, aménagements possibles et incertitudes liées à l’expulsion, rien n’assure que ce trafiquant quittera effectivement la France. En effet, seules environ 14 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont réellement exécutées sur les 140 000 prononcées en 2024, à peine 20 000 ont abouti à un éloignement effectif [2]. Huit fois sur dix, ces mesures restent lettre morte.

 

Les obstacles à l’expulsion des récidivistes

Le cas de l’Afghan illustre une autre faille majeure du système. Pourquoi cet homme, déjà condamné, se trouvait-il encore sur le territoire ? La réponse tient à la politique d’expulsion vers l’Afghanistan : depuis la prise de pouvoir des talibans en 2021, ce pays est jugé trop dangereux pour y renvoyer des ressortissants, même déboutés de l’asile [3]. Le taux d’expulsion y est proche de zéro, permettant à des récidivistes de rester et de commettre de nouveaux actes, comme ces menaces contre des agents publics. Au lieu d’un éloignement ferme, c’est une spirale de récidive qui s’installe, menant à un nouveau passage devant la justice française en novembre.

 

Un coût exorbitant pour la société

Le coût pour la société est exorbitant. Une journée de détention en France s’élève en moyenne à 105 euros [4]. Pour trente mois, cela représente plus de 94 000 euros d’argent public, sans compter les frais d’enquête, de justice, de soins et d’expulsions souvent infructueuses. Pendant ce temps, les commerçants voient leur quartier se dégrader, les agents publics subissent des menaces et les habitants assument la facture d’une impuissance collective.

 

Une spirale d’impuissance alimentée par les chiffres 

Ce n’est pas un accident. C’est le reflet d’une mécanique grippée. À Aurillac, les mis en cause pour trafic de stupéfiants ont bondi de 133 % en 2024, passant de 15 en 2023 à 35, malgré des démantèlements récurrents : au moins une dizaine depuis 2019 dont quatre rien qu’en 2025 [5][6].

Cette persistance illustre une spirale d’impuissance où les enquêtes se multiplient sans endiguer le flux. Par exemple, en 2024, le tribunal d’Aurillac a traité des affaires judiciaires complexes liées au trafic, tandis qu’en 2023, un réseau reliant la Seine-Saint-Denis à Aurillac a conduit à deux condamnations à 10 ans de prison. En 2022, un trafic local a été démantelé et en 2021, trois personnes ont été placées en détention pour trafic, avec cinq autres condamnées pour un réseau d’héroïne vers Aurillac. En 2020, un réseau Bordeaux-Aurillac a également été neutralisé [10][11][12][13][14].

Chaque année, environ 140 000 OQTF sont délivrées mais moins de 20 000 sont appliquées [7]. Pour les peines inférieures à deux ans, la majorité des condamnés évitent même l’incarcération.

Et pour les Afghans, la situation est encore plus critique, avec des expulsions quasi inexistantes en raison de l’instabilité du pays. Ce constat s’inscrit dans un contexte européen plus large : si la France expulse peu (11,4 % des OQTF en 2024), des pays comme l’Allemagne négocient directement avec les talibans pour faciliter les retours, soulignant les disparités et les défis communs face à l’immigration irrégulière [8][9].

  

Une ville qui mérite mieux 

Aurillac, ville de familles, de travailleurs et de retraités, pas si tranquille que certains veulent le faire entendre, surtout en période électorale, mérite mieux que cette spirale d’impuissance. Ses habitants n’ont pas à tolérer des trafiquants s’installant dans leurs rues, des menaces contre les services publics, des peines fermes sur le papier seulement et des expulsions fantômes. Ils attendent légitimement que la loi soit appliquée avec rigueur et efficacité.

 

Le piège du deux poids, deux mesures

Au cœur du problème réside un deux poids, deux mesures qui exaspère : tandis que des délinquants étrangers condamnés persistent sur le territoire, d’autres, intégrés et respectueux des lois, peinent à obtenir un droit de séjour ou de travail. Cette incohérence alimente une colère justifiée et érode la confiance entre citoyens et État.

 

Restaurer la crédibilité de l’action publique 

Ce n’est pas un réquisitoire contre les institutions mais un constat lucide. L’exemple d’Aurillac reflète une difficulté nationale : un pays qui peine à faire respecter ses propres décisions. Ce n’est pas une question idéologique mais de crédibilité, de cohérence et de confiance publique. Tant que ces contradictions perdureront, le fossé entre les citoyens et l’action publique ne fera que s’élargir. Il est temps d’agir pour restaurer l’efficacité de la loi et protéger les territoires comme le Cantal.

 

Thierry Gibert

Agé de 53 ans, Thierry Gibert vit à Aurillac dans le Cantal. Délégué Départemental de l’Éducation Nationale du Cantal, il est formateur « Valeurs de la République et Laïcité » en région Auvergne-Rhône-Alpes, responsable syndical départemental, président de l’association Union des famille laïques du pays d’Aurillac, fondateur du collectif citoyen En Avant Aurillac. Il s’exprime à titre personnel dans les colonnes d’Opinion Internationale.

Thierry Gibert

Thierry Gibert

 

Références

[1] : La Montagne, « Aurillac : démantèlement d’un trafic de stupéfiants en centre-ville », octobre 2025. [2] : Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), Bilan statistique 2024 des éloignements, ministère de l’Intérieur, 2025. [3] : Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), Rapport sur la situation en Afghanistan, 2021. [4] : Direction de l’administration pénitentiaire, Rapport annuel 2023, ministère de la Justice, 2024. [5] : SSMSI, Statistiques de la délinquance enregistrée à Aurillac, 2024. [6] : La Montagne, « Aurillac : quatre démantèlements de trafics de stupéfiants en 2025 », octobre 2025. [7] : SSMSI, Statistiques des OQTF 2024, ministère de l’Intérieur, 2025. [8] : Le Monde, « Immigration : les politiques européennes face aux expulsions », septembre 2024. [9] : Deutsche Welle, « Germany resumes deportations to Afghanistan », août 2024. [10] : La Montagne, « Aurillac : défis judiciaires au tribunal pour des affaires de stupéfiants », 2024. [11] : La Montagne, « Trafic de stupéfiants entre Seine-Saint-Denis et Aurillac : deux condamnés à 10 ans », octobre 2023. [12] : La Montagne, « Aurillac : démantèlement d’un trafic local », juin 2022. [13] : La Montagne, « Cantal : cinq condamnés pour trafic d’héroïne vers Aurillac », septembre 2021. [14] : La Montagne, « Démantèlement d’un réseau Bordeaux-Aurillac », juillet 2020.