
Le 30 octobre 2025, l’Assemblée nationale a adopté, à une voix près (scrutin public n° 1234), une résolution proposée par le Rassemblement national pour dénoncer l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
Le texte, purement déclaratif et dépourvu de valeur législative, a néanmoins provoqué une onde de choc politique. Son adoption, rendue possible par le vote favorable de quelques députés divers droite – dont Vincent Descoeur, élu de la 1ère circonscription du Cantal –, prend une dimension symbolique majeure : celle d’un réveil du sentiment de dignité nationale face à ce que beaucoup perçoivent comme un déséquilibre historique entretenu au détriment de la France.
Vincent Descoeur, député depuis 2017, a quitté Les Républicains le 11 juin 2024, dans la foulée de l’annonce par Éric Ciotti d’une alliance stratégique avec le RN en vue des législatives anticipées. Il avait alors dénoncé une décision « inacceptable », un « coup de couteau dans le dos » et une « stratégie dévastatrice » contraire à ses « valeurs humanistes de droite républicaine » (communiqué de presse du 11 juin 2024). Candidat sans étiquette (divers droite) aux législatives de 2024, il s’est présenté comme le défenseur d’une droite républicaine et a précisé qu’il ne reprendrait pas sa carte LR tant qu’Éric Ciotti resterait à sa tête.
Ce départ s’inscrivait dans une série de ruptures internes à LR après les européennes de 2024 où le RN avait obtenu un score historique, provoquant un basculement stratégique que plusieurs élus, dont Descoeur, ont refusé au nom de la cohérence républicaine.
Un accord hérité de la décolonisation
Signé six ans après l’indépendance de l’Algérie, l’accord du 27 décembre 1968 (JO du 1er janvier 1969) visait à organiser la circulation, le séjour et l’emploi des ressortissants algériens en France. À l’époque, des centaines de milliers d’ouvriers algériens travaillaient déjà dans les usines et les chantiers français. Le texte devait stabiliser cette immigration tout en préservant les liens économiques et familiaux entre les deux pays ; liens qui, notons-le, profitent encore aujourd’hui aux échanges commerciaux bilatéraux.
Cet accord accorde aux ressortissants algériens un statut dérogatoire par rapport au droit commun des étrangers, tel que codifié dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) : délivrance facilitée de certificats de résidence d’un an ou de dix ans, regroupement familial assoupli, accès simplifié à l’emploi salarié et renouvellement quasi automatique dans de nombreux cas (art. 1 à 10 ; avenants mineurs de 1985, 1994 et 2001 – JO 2002).
Résultat : les Algériens ne sont pas soumis aux mêmes règles que les autres étrangers présents sur le territoire français. Ce régime d’exception, qui date d’un autre temps, n’a jamais été profondément révisé. Depuis les années 2000, plusieurs responsables politiques, de droite comme de gauche, le jugent anachronique et contraire au principe d’égalité devant la loi. Toute remise en question se heurte cependant à la sensibilité mémorielle des relations franco-algériennes et à la crainte de raviver les blessures de la colonisation.
Un malaise profond dans la relation franco-algérienne
Au-delà des aspects administratifs, ce texte concentre aujourd’hui un ressentiment croissant d’une partie des Français. Beaucoup ne comprennent plus qu’un accord censé incarner l’amitié franco-algérienne continue d’accorder des avantages particuliers à un pays dont certains dirigeants tiennent régulièrement des discours hostiles à la France, l’accusant de colonialisme perpétuel ou de racisme d’État.
Ces tensions diplomatiques récurrentes nourrissent le sentiment que la France subit davantage qu’elle ne choisit sa relation avec l’Algérie. À cela s’ajoute le comportement d’une frange minoritaire de ressortissants ou de Français d’origine algérienne, de partis politiques de gauche, d’associations et de syndicats qui, au nom d’un récit victimaire ou communautaire, dénigrent ouvertement la République tout en bénéficiant de ses droits et de sa protection. Une contradiction qui alimente, chez nombre de citoyens, un sentiment d’humiliation et d’injustice.
La remise en question de l’accord traduit donc aussi une exigence de dignité nationale : refonder la relation sur le respect mutuel et la réciprocité plutôt que sur la repentance.
Pourquoi certains électeurs de gauche peuvent comprendre ce vote
Au-delà de la droite, ce ressentiment traverse aussi une partie de la gauche républicaine. Lorsqu’elle reste fidèle à ses racines universalistes, celle-ci peut légitimement s’interroger sur la persistance d’un accord qui établit un régime d’exception pour une nationalité donnée. L’égalité de traitement entre tous les étrangers, principe fondamental du droit républicain, semble ici compromise. Dénoncer cet accord ne revient pas à stigmatiser mais à revendiquer une justice commune qui ne distingue pas selon l’origine, à l’image de Jean-Pierre Chevènement qui, en 2001, plaidait pour une révision des accords bilatéraux au nom de l’égalité (rapport PS-Sénat 2010).
Certains y voient aussi une question sociale : dans un contexte de pénurie de logements (2,4 millions de demandes HLM en attente en 2024 – Fondation Abbé Pierre) et d’accès difficile aux services publics, le maintien de privilèges historiques accordés à un seul pays, le regroupement familial algérien représentant environ 15 % des flux (OFII 2023), peut nourrir un sentiment d’injustice parmi les classes populaires, souvent déjà fragilisées.
Ce n’est pas de la xénophobie mais une revendication d’équité et de cohérence, valeurs historiquement ancrées dans la gauche sociale et républicaine.
Enfin, une partie du peuple de gauche, notamment en milieu rural, ne supporte plus la confiscation morale exercée par une élite urbaine qui assimile toute critique des déséquilibres migratoires à une dérive d’extrême droite. Ce réflexe d’auto-censure a fini par couper la gauche populaire de la réalité du terrain.
Les risques d’une confusion politique
Soutenir un texte issu du Rassemblement national n’est pas anodin, mais encore faut-il savoir ce que l’on soutient. Le RN défend depuis quarante ans le principe de préférence nationale, c’est-à-dire la priorité donnée aux citoyens français et non aux étrangers dans l’accès à l’emploi, au logement ou à certaines aides publiques (programme RN 2022-2025).
Cette position, en soi, n’introduit aucune distinction entre Français « de souche » et Français naturalisés. Elle établit une hiérarchie entre nationaux citoyens et non-nationaux, non entre individus selon leur origine.
Certains observateurs, notamment issus du monde universitaire, interprètent cette doctrine comme une vision ethnoculturelle de la France (travaux de Nonna Mayer). Cependant, cette lecture relève davantage de l’analyse sociologique que du texte politique lui-même et traduit souvent un biais idéologique, hérité d’une pensée qui soupçonne toute affirmation nationale d’être porteuse d’exclusion.
Ce réflexe intellectuel, ancré dans une partie de la gauche universitaire, tend à moraliser le débat au lieu de le rationaliser. Or, de nombreux Français, de gauche comme de droite, expriment avant tout un désir de justice, de cohérence et de respect réciproque, pas un rejet de l’autre. Réduire cette exigence de réciprocité à un réflexe identitaire est une erreur d’analyse autant qu’un déni démocratique.
Ce que ce débat révèle de notre époque
Le vote du député cantalien Descoeur agit comme un miroir de la société française. Il révèle la fatigue démocratique d’un pays qui doute de lui-même, qui n’ose plus affirmer sa culture ni son autorité et qui s’interroge sur ce que signifie encore « être Français ».
Il montre aussi la recomposition du champ politique : une partie de l’électorat, de gauche comme de droite, se retrouve aujourd’hui sur des positions communes de souveraineté, d’ordre et d’équité, alors que les anciens repères s’effacent. Dans le Cantal, territoire enraciné et attaché à la République, ce vote suscite moins la polémique que la réflexion. Il met en lumière la recherche d’une cohérence nationale, loin des dogmes partisans.
Mais encore il pose une question essentielle : la fermeté républicaine peut-elle encore s’exprimer sans passer par le prisme du RN ? Si la réponse est non, c’est la démocratie elle-même qui se trouve appauvrie et cela tient en grande partie à une gauche moralisatrice qui, depuis des années, confond la défense de l’universalisme avec une posture morale disqualifiant toute interrogation sur la souveraineté, l’identité ou la réciprocité.
À force de traiter ces sujets comme suspects, elle a abandonné le terrain du réel à ceux qu’elle prétend combattre. En désertant la réflexion sur la nation et le respect de la France, elle a laissé à l’extrême droite le monopole du discours de fierté nationale. C’est sans doute là la plus grave faute politique de la gauche contemporaine.
Pour une gauche républicaine lucide
On peut contester un accord inégalitaire sans cautionner la méthode ou le discours du Rassemblement national. L’enjeu, pour la gauche républicaine, est de retrouver sa voix propre : celle qui unit la rigueur juridique, la laïcité et la solidarité sans renoncer à la fierté nationale.
Refuser le dénigrement de la France n’est pas une dérive droitière ; c’est une exigence républicaine. La France n’a pas à s’excuser d’exister. Elle doit simplement veiller à rester fidèle à son idéal : une patrie de justice et d’égalité tant que de respect et de dignité.
C’est à cette hauteur de vue que le débat sur l’accord franco-algérien devrait se tenir. Et c’est à ce niveau que la gauche, si elle veut redevenir audible, devra renouer avec ce qui l’a toujours fondée : la fierté d’une République juste et forte, capable d’aimer sans se renier.
Thierry Gibert
Agé de 53 ans, Thierry Gibert vit à Aurillac dans le Cantal. Délégué Départemental de l’Éducation Nationale du Cantal, il est formateur « Valeurs de la République et Laïcité » en région Auvergne-Rhône-Alpes, responsable syndical départemental, président de l’association Union des famille laïques du pays d’Aurillac, fondateur du collectif citoyen En Avant Aurillac. Il s’exprime à titre personnel dans les colonnes d’Opinion Internationale.


















