
Dans une tribune* remarquable, l’ancien ambassadeur d’Israël en France dresse plus qu’une défense d’un orchestre : c’est une leçon adressée à un pays qui a perdu le sens des nuances.
Daniel Saada n’a pas simplement répondu à un communiqué syndical. Il a réintroduit de la vérité là où l’idéologie a pris toute la place. En réagissant aux propos de la CGT-Spectacle appelant au boycott de l’Orchestre philharmonique d’Israël, il n’a pas fait œuvre de diplomatie mais de pédagogie : rappeler ce qu’est cet orchestre, d’où il vient, ce qu’il symbolise.
La mémoire contre l’amnésie
Créé en 1936 par Bronisław Huberman pour sauver des musiciens juifs chassés d’Europe par le nazisme, l’Orchestre philharmonique d’Israël est né d’une idée de résistance. Avant même la création de l’État, il incarnait déjà la culture comme refuge, la musique comme défi face à la barbarie. C’est cette histoire que Saada oppose à la légèreté d’un communiqué syndical qui voit dans cet orchestre non pas des artistes mais des « relais de l’armée israélienne ». Une simplification grotesque, symptomatique d’un mal plus profond : la perte du sens et de la mémoire.
Le précédent Barnavi
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un diplomate israélien ou ancien ambassadeur interpelle la gauche française sur ce terrain. Élie Barnavi, autre figure respectée de la diplomatie et de la pensée israélienne, avait déjà répondu en 2022 aux propos de Philippe Martinez, alors secrétaire général de la CGT, qui revenait d’un séjour en Cisjordanie en parlant d’« apartheid ». Barnavi, historien autant qu’homme de paix, rappelait alors que la confusion volontaire entre critique politique et délégitimation d’un État nourrit une vieille tradition française : celle qui, de l’antisionisme militant à l’antisémitisme ordinaire, sait changer de visage sans jamais vraiment disparaître.
La tragédie d’aujourd’hui, le pogrom commis par les islamistes du Hamas et leurs alliés le 7 octobre 2023, n’a fait que révéler la fragilité morale d’un discours occidental qui, depuis des années, banalise la haine d’Israël tout en se disant humaniste. Saada s’inscrit dans cette lignée d’hommes lucides qui refusent de voir la victime inversée, la barbarie déguisée en résistance et qui rappellent que la culture, l’art et la musique furent toujours, pour le peuple juif, les armes du vivant contre le néant.
Le boycott comme miroir de notre temps
Car c’est bien de cela dont il s’agit. Derrière cette tribune se profile une question plus vaste : comment en est-on arrivé, en France, à ce que certains se croient investis du droit moral de boycotter un orchestre, un livre, un film, selon l’origine de ceux qui les produisent ? Daniel Saada ne parle pas seulement d’Israël ; il parle d’une France où la culture devient un champ de bataille idéologique, où la pensée manichéenne remplace l’esprit critique, où l’on se croit « engagé » quand on dresse des listes d’interdits.
La décence contre l’idéologie
Ce que Saada rappelle, avec une ironie douce mais ferme, c’est que l’orchestre qu’on veut censurer fonctionne en coopérative autogérée, modèle que bien des syndicalistes pourraient admirer s’ils prenaient le temps de le connaître mais non : l’étiquette « israélien » suffit désormais à disqualifier. Nous sommes entrés dans une époque où le mot Israël déclenche les passions, non la réflexion. Et c’est précisément ce qu’un diplomate qui connaît la France a voulu dénoncer : l’abdication de la raison face à l’idéologie.
La culture comme ultime refuge
Ce texte, au fond, ne parle pas de politique étrangère. Il parle de nous. Il nous tend un miroir. À force de diaboliser, de boycotter, de rejeter, nous oublions ce que la culture a toujours su faire : relier, élever, humaniser.
Ce qu’a fait Saada, c’est réintroduire un peu de décence dans un débat défiguré par les postures.
Et il faut l’en remercier.
Thierry Gibert
Agé de 53 ans, Thierry Gibert vit à Aurillac dans le Cantal. Délégué Départemental de l’Éducation Nationale du Cantal, il est formateur « Valeurs de la République et Laïcité » en région Auvergne-Rhône-Alpes, responsable syndical départemental, président de l’association Union des famille laïques du pays d’Aurillac, fondateur du collectif citoyen En Avant Aurillac. Il s’exprime à titre personnel dans les colonnes d’Opinion Internationale.


















