
La Fed, la banque centrale des Etats-Unis d’Amérique, a entamé mercredi 17 septembre un nouveau chemin de baisse des taux directeurs. La BCE, la Banque Centrale Européenne, a de son côté choisi, une semaine avant, de rester droite dans ses bottes.
À Francfort, on lutte contre les fantômes d’hier, pendant que Washington investit dans demain.
Il y a des dogmes qui persistent à Francfort. L’inflation, ce spectre qui hante la Banque centrale européenne depuis sa naissance, justifie-t-elle aujourd’hui un statu quo monétaire ? Depuis de trop longs mois, la BCE a choisi une voie résolument restrictive. Mais au lieu de protéger l’économie européenne, cette politique risque de la plomber, d’étrangler nos finances publiques et de compromettre notre avenir industriel.
Soyons clairs : oui, l’inflation devait être combattue après la flambée des prix énergétiques et alimentaires de 2021-2022. Mais cette poussée de fièvre de l’inflation était essentiellement due à la sortie de la pandémie du Covid 19, et non à une surchauffe économique profondément établie dans notre économie. Dans tous les cas, la dynamique a changé depuis de longs mois. L’inflation sous-jacente s’est nettement infléchie, les coûts de l’énergie se sont normalisés, la demande interne faiblit. Autrement dit, les conditions d’une stabilisation de l’inflation sur des niveaux modérés sont réunies. Pourtant, la BCE persiste et signe : ses taux directeurs sont maintenus à un niveau élevé, trop élevé, faisant de l’Europe une zone monétaire bien trop restrictive parmi les grandes économies développées, une zone économique à croissance extrêmement faible surtout.
Une charge écrasante pour les États
Première victime : les finances publiques. En France, la charge de la dette explose. Elle dépassera 60 milliards d’euros en 2025, soit l’équivalent du budget de la Défense ou de l’Éducation nationale. Chaque point de taux supplémentaire décidé à Francfort se traduit mécaniquement par plusieurs milliards de dépenses nouvelles pour notre Trésor public. Un « impôt invisible » payé par les contribuables français, sans débat démocratique, imposé par une institution indépendante mais sourde aux réalités économiques et sociales.
L’inverse est vrai également : chaque point de taux en moins est une bouffée d’oxygène pour les budgets des Etats de la Zone Euro.
Pour la France, la dette est d’environ 3 400 milliards d’euros. Nous allons refinancer dans les 12 prochains mois un bon huitième de notre dette, soit 425 milliards, auxquels il faut ajouter notre déficit soit environ 150 milliards. 1% de taux en moins sur ce financement, si nous faisons l’hypothèse d’une répercussion sur toute la courbe des taux, cela fait entre 5 et 6 milliards d’euros ! Encore plus si la baisse des taux s’accompagne d’une baisse des écarts entre la dette française et la dette allemande, le benchmark, le repère des obligations européennes, un écart de taux qui dépasse aujourd’hui les 80 points de base quand il était de l’ordre de 20 points de base avant la dissolution ratée… Ces 5 à 6 milliards d’euros, ce sont entre 15 et 20% de l’effort de réduction du déficit que va rechercher le prochain gouvernement, qu’il choisisse le budget socialiste ou celui du précédent gouvernement ! Bien plus que l’effort que le Gouvernement Bayrou demandait aux retraités…
Mais la BCE reste droite dans ses bottes. Au lieu d’aider à restaurer nos comptes publics, sa politique actuelle les aggrave. Pire, à mesure que la charge d’intérêt gonfle, la tentation de relever les impôts revient en France comme une vieille rengaine, et la promesse de baisser les dépenses reste un mot sans acte. Voilà comment une politique monétaire censée stabiliser se transforme en catalyseur d’instabilité budgétaire, à un moment crucial : faute de majorité parlementaire, le gouvernement pourrait être tenté de renoncer à la baisse des dépenses pour n’opter que pour la hausse des impôts. Pourtant, chacun sait que lorsque la France augmente ses impôts, elle augmente sa dépense publique par facilité, et donc son déficit, et donc sa dette… La logique devrait être inverse : essayons la baisse des impôts qui nous oblige à la baisse de nos dépenses publiques, et donc de notre déficit et donc de notre dette. Le choix d’un cercle vertueux plutôt que de rester dans le cercle vicieux habituel.
Un euro fort qui fragilise nos exportations
Deuxième effet pervers : l’euro. La politique monétaire européenne actuelle entraîne une appréciation de notre monnaie face au dollar. Or, contrairement aux États-Unis, notre économie est largement tournée vers les exportations industrielles. Airbus, Safran, nos champions de l’agroalimentaire ou du luxe : tous voient leur compétitivité rognée. Le produit français se vend plus cher en Chine, en Inde, aux États-Unis. À l’inverse, les importations américaines ou asiatiques deviennent moins coûteuses. Résultat : un déficit commercial qui se creuse, et des filières industrielles qui perdent des parts de marché. Là encore un cercle vicieux.
Comment justifier qu’une politique pensée pour « stabiliser » l’inflation finisse par affaiblir notre appareil productif et miner notre souveraineté économique ?
Entreprises et salariés pris en otage
Troisième conséquence, trop souvent passée sous silence : l’effet direct sur nos entreprises. Les charges d’intérêt flambent. Le crédit bancaire, qui reste la principale source de financement des PME et ETI en Europe, se fait rare, et surtout plus cher. Les marges se réduisent, la capacité d’investissement s’effondre, les bénéfices fondent, le chômage augmente à nouveau, l’impôt sur les sociétés diminue, les charges sociales aussi. Moins d’investissements, ce sont moins d’innovations, moins de croissance future, moins de créations d’emplois, moins de cotisations sociales, moins d’impôts, plus de déficit, plus de dettes… Cercle vicieux encore…
Et que dire des salaires ? Alors que les salariés réclament légitimement une compensation face à l’érosion de leur pouvoir d’achat, les entreprises se voient contraintes de geler les augmentations pour préserver leur solvabilité. La BCE, censée préserver la stabilité, devient en pratique un frein à la revalorisation du travail.
Une erreur stratégique européenne
Le paradoxe est cruel : alors que les États-Unis, sous la houlette de la Fed, et sous la pression de Trump, ajustent déjà leur politique pour soutenir la croissance, l’Europe reste enfermée dans une logique punitive. Résultat : une croissance atone, des finances publiques plombées, un chômage qui repart à la hausse. Surtout en France. Et demain, une récession fabriquée de toutes pièces.
La BCE a oublié sa mission première : favoriser la prospérité de la zone euro tout en maintenant la stabilité des prix. Elle se comporte comme un pur organisme technocratique, obsédé par des indicateurs du passé, incapable de lire l’avenir. En refusant d’anticiper le ralentissement économique déjà à l’œuvre, elle condamne l’Europe à être le maillon faible de la compétition mondiale.
Il est temps de réagir
Ce débat ne peut plus rester confisqué par quelques banquiers centraux. Les dirigeants politiques européens doivent reprendre la main. Car ce sont nos citoyens qui paient la facture : contribuables étranglés, salariés bridés, entrepreneurs découragés. La France, première victime d’une charge d’intérêt difficilement soutenable, doit exiger une inflexion.
Il est urgent que la BCE abaisse ses taux, qu’elle cesse d’ériger l’austérité en dogme. Faute de quoi, l’Europe continuera de décrocher, de perdre ses usines, ses emplois et sa souveraineté.
Fitch a dégradé la note française, et Francfort alourdit la charge de notre dette. Mais ce n’est pas Fitch qui condamne notre avenir : ce sont les décisions d’une BCE qui a perdu le sens du réel.
Patrick Pilcer
Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers, auteur de « Ici et maintenant – lecture républicaine de la Torah » (préface du Grand Rabbin de France, Haïm Korsia, éd. David Reinharc).














