
Le 15 juillet prochain, François Bayrou ne présentera pas un budget de transformation, ni même de redressement. Il présentera un budget dont il sait pertinemment qu’il ne sera pas voté.
Et c’est précisément pour cela qu’il le propose. Oui, le Premier ministre parie sur le rejet de son propre budget. Un calcul cynique ? Non, pas uniquement. Un calcul lucide, de fin politique. Mais aussi une forme d’aveu : celui d’un pouvoir qui ne croit plus en sa capacité à transformer le réel, celui d’un premier ministre qui renonce à améliorer la vie de ses concitoyens.
Le budget du renoncement
Qu’a-t-on appris de la préparation budgétaire de ces dernières semaines ? Qu’il y aura des hausses d’impôts qui n’en porteront pas le nom, qu’il n’y aura aucune réforme d’ampleur de nos services publics, aucune hausse réelle des salaires et pensions, aucune mesure phare sur le logement. On tentera même de ressusciter l’ISF ; comme d’habitude, on prétendra que l’on peut prendre aux « riches » pour contribuer à l’effort budgétaire, mais la définition des « riches », nous la connaissons depuis Hollande.
Bref, rien pour améliorer le pouvoir d’achat des Français. Pire : la plupart des Français verront leur situation se dégrader. On demandera à tous de « se serrer la ceinture » parce que le Gouvernement n’arrive pas à réformer les dépenses de l’Etat !
Bien sûr, facialement, les dépenses pour les administrations et les services publics baisseront : le poids de la dette et les charges d’intérêt vont augmenter, l’inflation va faire croitre les coûts des achats de l’Etat, et donc les sommes que l’on pourra allouer aux services publics vont diminuer. Nous aurons moins d’argent pour la Police, pour la Justice, pour l’Armée, pour nos hôpitaux, pour nos écoles, pour nos universités, pour notre recherche. Nos services publics vont subir ce non-choix, alors qu’il aurait était tellement préférable de le décider, de choisir un cap, une politique, des priorités.
C’est donc une double peine pour les citoyens :
- Une pression fiscale stable en apparence, mais toujours croissante en réalité.
- Une dépense publique figée, mais de moins en moins efficace.
Le budget 2026, tel qu’il s’annonce, ne répond à aucune des priorités exprimées par les Français. Et surtout pas à la première : retrouver du souffle dans leur quotidien.
Un rejet sans conséquence ?
François Bayrou connaît la musique parlementaire. Il sait que dans ce contexte politique instable, de nombreux parlementaires – de la droite, de la gauche, comme du centre – rejetteront son texte. Et il l’anticipe. Mieux : il l’espère peut-être.
Car il n’agitera pas le 49.3. Bayrou n’engagera pas la responsabilité de son gouvernement sur ce budget. Il n’y aura donc pas de motion de censure, pas de chute, pas de changement de Premier ministre.
Le rejet de la loi de finances ne produira, en réalité, aucun effet institutionnel immédiat. Concrètement, les dépenses de l’État seront reconduites sur la base des douzièmes provisoires, équivalents à celles de l’année précédente. Ce rejet, loin de précipiter une crise, installe en réalité une forme nouvelle de stabilité… celle de l’inaction organisée.
Bienvenue dans la véritable « année blanche ».
L’immobilisme comme stratégie
En n’engageant pas sa responsabilité, Bayrou restera à Matignon sans rien proposer de neuf, sans rien risquer non plus. Il incarne, pour la première fois depuis longtemps, une forme assumée d’immobilisme politique. Non pas l’inaction par faiblesse, mais l’inaction par calcul, par choix. Il y aura beaucoup de discours, beaucoup de paroles. Les ministres seront envoyés sur tous les plateaux de télévision, et présents dans tous les magazines. Cela a déjà commencé. Ils trouveront de belles expressions, arboreront leur plus beau sourire. Mais ils n’auront aucune marge de manœuvre pour la moindre réforme de fond.
C’est une étrange stratégie. On ne tente plus de convaincre. On ne cherche plus à transformer. On attend que ça passe.
Mais pendant qu’on essaie que ça « passe », les tensions sociales monteront, la colère économique et sociale grondera, et la légitimité républicaine s’érodera. Les ferments d’une révolution… Toutes les grandes révoltes, y compris La Révolution de 1789, sont parties de l’exaspération fiscale…
Le vide de cap, l’usure du quotidien
Ce budget ne porte aucune vision. Pas même celle de l’austérité courageuse ou de l’effort collectif. C’est un budget neutre, incolore, inodore… et indigeste. Il ne choisit rien. Il ne trace aucun chemin. Il n’annonce rien aux Français, il n’envoie aucun signal aux enseignants, aux soignants, aux indépendants, aux premiers comme aux derniers de cordée, aux retraités, aux salariés du privé, ni aux jeunes. Il n’incite surtout pas à prendre des risques ou à investir en France. Quel gâchis !
C’est peut-être là le plus grand risque : le sentiment que plus rien ne se décide, que le pouvoir n’a plus prise, que le gouvernement gère, attend, amortit, mais ne construit plus rien. Et qu’il vaut mieux voir ailleurs si l’on veut avancer, développer, créer, innover, ou simplement avant qu’il ne soit trop tard…
Le pouvoir d’achat : le grand oublié
Et pourtant, les attentes sont claires. Les Français veulent vivre mieux. Ils veulent que le travail et le risque paient plus. Pas nécessairement plus richement, mais plus dignement. Avec un logement accessible, une énergie stable, un reste à vivre correct, des services publics qui fonctionnent. Et la fierté de vivre en France, le bonheur d’être Français. Ils ne supportent plus que ceux qui nous gouvernent leur demande de « se serrer la ceinture » parce qu’ils sont incapables de mieux gérer et de réformer.
Ce que réclament les citoyens, ce n’est pas une « société de la dépense », c’est une République de l’efficacité et du résultat.
Cela passe par des réformes, oui, mais des réformes lisibles, assumées, justes.
Cela passe par un budget qui tient compte de la vie réelle, pas d’un tableau Excel déconnecté.
Bayrou sans risque, République sans cap
En pariant sur le rejet de son budget sans engager sa responsabilité, François Bayrou fait un choix politique : garder Matignon à tout prix, quitte à renoncer à toute dynamique de transformation.
Mais la France, elle, ne peut plus se contenter d’un gouvernement immobile, d’un budget inerte, d’un non-projet. Le pouvoir d’achat ne se réglera pas par la patience, ni par le recyclage budgétaire.
À force de naviguer à vue, sans cap et sans courage, le gouvernement risque de perdre bien plus que des voix : il perd la confiance et prend le risque d’une révolte, voire d’une révolution.
Patrick Pilcer
Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers














