Chaque président de la République cherche à laisser une empreinte symbolique forte qui marque son époque. Chacun souhaite que perdure au-delà de son temps politique un héritage sociétal pour les générations futures.
Valery Giscard d’Estaing eut l’IVG, immense progrès pour la liberté des femmes. Grâce à Simone Veil, Jacques Chirac et Pierre Simon, Giscard a fait progresser la société et a contribué grandement à la pleine liberté pour chaque femme de disposer de son corps. François Mitterrand, grâce à Robert Badinter, porta l’abolition de la peine de mort, progrès majeur pour l’humanité et pour la dignité. François Hollande, lui, choisit le mariage pour tous, élargissant le champ des droits civiques et sociaux, là aussi un progrès notable contre les discriminations, encore si présentes dix ans plus tard.
Autant de marqueurs puissants, synonymes d’avancées humanistes, de progrès et de vie.
Le locataire actuel de l’Elysée cherche depuis longtemps le marqueur de son passage au pouvoir suprême. Trop tard aussi pour une pyramide au Louvre, un centre d’art contemporain ou un musée quai Branly…
Lui qui a eu peur de manifester contre la haine des juifs et pour la République ne pourra être fier de son image, à jamais absente, au milieu du Peuple Français. Mitterrand, pourtant gravement malade, aura eu la sienne lors de la grande manifestation contre l’antisémitisme, déjà, en 1990, après la profanation du cimetière de Carpentras. Mitterrand savait comprendre la France, son temps, son Peuple…
Emmanuel Macron semble vouloir associer durablement son nom à la réforme sur la fin de vie.
Une adaptation de la loi Claeys-Léonetti est certainement nécessaire aujourd’hui pour mieux protéger le personnel médical contre une judiciarisation excessive, contre les risques de recours d’une partie des familles des malades. Mais cela doit-il passer par cette loi en voie d’adoption au Parlement ?
Apaiser les souffrances, traiter la douleur, mieux accompagner dans la dignité de chacun la maladie, mieux encadrer ce moment crucial avec humanité, cela fait bien évidemment partie des grands progrès que notre Société doit accomplir. La grande majorité des Français en est convaincue.
Mais alors il faut d’abord mettre le paquet sur l’amélioration des soins palliatifs. Et parallèlement, également dans le planning familial, dans les soins psychiatriques, etc… Il faut investir massivement sur la Recherche, mieux traiter la douleur, mieux soigner, et trouver ! Trouver les médicaments, les vaccins, les thérapies qui nous guériront et dont on meurt aujourd’hui ! Le choix est sur les moyens que l’on alloue, pas forcément sur une loi que l’on vote.
Le rôle des pouvoirs publics est d’agir, non pas pour aider à mourir, pour supprimer, mais pour aider à vivre, pour guérir. Le rôle d’un président est de trouver les voies et les moyens pour que ce qui sera faisable après-demain le soit dès demain.
Là, un président aurait un marqueur fort, un héritage pour les générations futures : trouver un vaccin ou un traitement contre les cancers, contre la maladie d’Alzheimer, contre la maladie de Charcot. La lutte contre le coronavirus a montré que ce que nous croyions impossible était en fait possible si on y mettait les moyens. Ce président resterait à jamais dans l’Histoire, celle qui dure et se transmet.
Choisir cette loi actuelle sur la fin de vie, comme marqueur sociétal, est un symbole qui interroge par sa nature même.
Alors que ses prédécesseurs avaient choisi de célébrer la vie et la liberté, voilà un président qui pourrait rester associé à un débat tourné vers la mort. Au moment où il est clair que le macronisme ne perdurera pas après la fin du quinquennat, que les Français attendent désespérément que la page se tourne, Macron a choisi : il avait le choix entre la Vie et la Mort, ses prédécesseurs ont tous choisi des symboles de vie, il choisit la Mort.
Certes, nul ne conteste l’urgence d’améliorer les conditions de la fin de vie, de respecter les volontés individuelles, de soulager efficacement les douleurs insupportables. Mais tout ne peut passer par la loi quand l’essentiel est déjà dans les usages. Eriger cette loi en symbole majeur d’un double quinquennat suscite un trouble profond. Ce choix ne marque-t-il pas aussi une époque confrontée à la difficulté de penser positivement l’avenir, d’offrir des horizons plutôt que de gérer la fin des parcours, d’être habité par une philosophie de Progrès ?
Améliorer avec dignité la fin de vie, bien sûr, mais améliorons d’abord la vie dans la dignité, à chaque étape de la vie. Cette démarche nécessite expérience, nuance, subtilité et humanisme. Elle ne peut servir à libérer des lits, à choisir si l’on continue de traiter un patient très âgé avec des médicaments très couteux. Elle ne peut être l’alibi d’une logique comptable et budgétaire. L’Humanisme devrait permettre de soigner aussi bien un malade de 90 ans, avec 5% de chances de vivre six mois de plus qu’un adolescent en urgence absolue au pronostic vital engagé. L’Etat n’a pas à choisir, il doit sauver l’un et l’autre. La dignité, c’est aussi cela. La Dignité ne saurait devenir un étendard simpliste, une sorte d’emblème politique facilement brandi.
Inutile d’évoquer ici le délit d’entrave d’introduit le projet de loi : un médecin qui empêcherait ou tenterait d’empêcher quelqu’un de réclamer l’aide à mourir serait sanctionnable… quid de la protection des personnes vulnérables ? comment, en même temps, prévenir contre les risques de suicide ? Doit-on arrêter collectivement et individuellement, de protéger les personnes fragiles ? quid du serment d’Hippocrate ?
La grandeur d’un homme d’État ne se mesure-t-elle pas, justement, à sa capacité à proposer des marqueurs positifs et tournés vers la vie, vers l’espérance, vers le progrès humain ? Macron a su en dessiner certains, notamment sur l’économie, le climat et l’Europe, mais ils restent, à ce stade, bien trop abstraits pour marquer durablement les esprits.
Les déficits abyssaux, comme la perte de maitrise de nos dépenses publiques, ont gravement nui au bilan des deux quinquennats. Le « en même temps », qui peut se concevoir dans la sphère économique, avec une politique à la fois sociale et libérale, perd toute crédibilité en matière régalienne ou en diplomatie. Cette déclinaison, en dehors du champ économique, a rendu Macron inaudible sur tous les sujets.
Face à l’Histoire, il serait regrettable que ce double quinquennat se résume à un symbole qui, malgré son importance éthique indéniable, soit davantage associé à la mort qu’à la vie. Si la lutte contre la souffrance est un noble combat, ne perdons pas de vue que les véritables avancées historiques sont celles qui célèbrent la vie, la dignité, la liberté. Le véritable progrès n’est pas de faciliter la mort mais de permettre de vivre le plus longtemps possible en bonne santé.
Macron devrait y réfléchir : quels symboles souhaite-t-il léguer à la France et aux générations futures ? La question mérite d’être posée, sereinement, et débattue publiquement.