La chronique de Patrick Pilcer
09H27 - mardi 13 mai 2025

Emploi des seniors : l’initiative du gouvernement améliore la situation, mais… La chronique de Patrick Pilcer

 

Le Gouvernement multiplie les annonces sur les pistes d’amélioration de l’employabilité des plus de 55 ans. Il est, en cela, parfaitement lucide.

Le gouvernement a raison de s’attaquer à ce qui reste un point noir de notre modèle social. La France éjecte ses talents expérimentés bien plus tôt que ses voisins : à 60 ans, seuls 39 % des Français travaillent, contre 65 % en Allemagne, 69% en Suède. C’est un gâchis économique, un défi démographique, une erreur collective.

Si nous voulons diminuer nos déficits, rendre plus pérenne notre système de retraite, augmenter notre PNB, améliorer notre pouvoir d’achat, renforcer notre souveraineté économique, l’une des politiques fortes à construire porte sur l’emploi des Seniors.

La ministre du Travail, Astrid Panosyan Bouvet, a absolument raison de « prendre le taureau par les cornes » pour modifier les mentalités et faire avancer notre pays dans le bon sens.

Son initiative, en lien étroit avec les partenaires sociaux, se décline sur plusieurs axes. D’abord un meilleur dialogue social. Une négociation de qualité, avec des constats partagés, a toujours été un meilleur gage de réussite qu’un blocage entre employeurs et employés. Une meilleure préparation à la deuxième ou troisième partie de carrière. Plus d’entretiens professionnels tout au long de la carrière. Une meilleure prise en compte de la pénibilité. Un contrat de travail adapté aux plus de 60 ans, appelé contrat de valorisation de l’expérience, assorti d’une baisse des cotisations employeurs.

Tout cela va dans le bon sens et devrait permettre à bien plus de nos Seniors de rester dans la vie active.

Des mesures qui vont dans la bonne direction parce qu’elles sont pleines de bon sens. Absolument.

Oui, mais…

Car il y a un mais. Il y a le bon sens, mais aussi cette maxime ancestrale, le mieux est souvent l’ennemi du bien. Manque une mesure, sur la formation, et une  très grande vigilance, sur celle sur les retraites progressives !

Sur la formation, la révolution IA n’est pas suffisamment prise en compte. Les systèmes d’intelligence artificielle sont en train de transformer complètement nos métiers et les tâches des salariés. Comme à chaque révolution technologique, cela va supprimer des emplois ici pour en créer beaucoup plus ailleurs. Encore faut-il que nos salariés soient prêts, formés pour les métiers de demain.

La spécificité de la révolution IA est qu’elle va transformer complètement la plupart des tâches de middle management. Beaucoup d’emplois de ce segment professionnel vont disparaître. Or, une grande partie de ces emplois sont tenus par des femmes. Si nous sous-estimons la vague IA qui arrive, nous aurons un véritable tsunami qui va laisser sur le carreau beaucoup de monde, et en particulier beaucoup de femmes.

Si nous ne formons pas bien mieux les plus de 45 ans aux nouveaux outils comme aux nouvelles possibilités qu’offre l’IA, nous aurons très vite un gouffre abyssal entre les attentes des employeurs et les compétences des employés, entre les besoins de nos entreprises et les capacités des salariés ou des demandeurs d’emplois. Pour les plus de 55 ans, c’est encore pire, car ils ne trouveront plus de travail, et une fois à la retraite, ils ne disposeront plus des outils pour comprendre le monde qui les entoure. Le décrochage numérique sera, pour eux, irréversible.

Or ce middle management, souvent tenu par des femmes, sera le plus exposé. Nous risquons une révolution sociale silencieuse, brutale, genrée, dans un monde où les familles monoparentales sont la nouvelle norme.

Il faut absolument que le Gouvernement impose une formation à l’IA, dans toutes nos entreprises, au titre de la formation continue. C’est important, nécessaire, urgent, d’apprendre à nos salariés une bonne maîtrise de l’IA générative, de leur apprendre à faire les bons « prompts », à aiguiser leur esprit critique pour ne pas prendre des vessies pour des lanternes, à ne pas halluciner quand ChatGPT, Perplexity ou Gemini hallucinent…

Il est vital d’ajouter au projet gouvernemental cet axe de formation obligatoire, prise en charge par les comptes de formation professionnelle. Cette initiative gouvernementale doit être plus qu’une question de comptes publics ou d’équilibre du système de retraite ; c’est aussi une question de cohérence nationale, de cohésion. Une question de plus pour l’amélioration de notre Vivre Ensemble.

De même, il est important de réfléchir à deux fois avant d’étendre la retraite progressive, aujourd’hui possible pour les plus de 62 ans, aux plus de 60 ans demain.

La encore, le mieux est souvent l’ennemi du bien. Là encore, tout part, comme toujours, de bons sentiments, d’une bonne intention, mais a-t-on bien réfléchi aux conséquences budgétaires, a-t-on eu une véritable étude d’impact ?

Pour les plus de 62 ans, cette mesure est une bonne chose. Il s’agit de garder l’expérience dans les entreprises tout en permettant aux futurs retraités de partir progressivement, entre 64 et 67 ans le plus souvent.

Mais est-ce aussi vrai pour les plus de 60 ans ?

Je vois deux risques majeurs dans cette mesure.

Premier risque. Cette loi pourrait permettre aux entreprises de faire cofinancer par les caisses de retraite leurs « placards ». Plutôt que de « virer » des seniors, de nombreuses entreprises les « placardisent », ce qui est moins couteux que de les virer, surtout à 62-64 ans, pour l’entreprise comme pour l’Etat. Mais quid à 60 ans, avec 4 à 7 ans avant la retraite effective complète ?

Avec cette loi, le « placard » serait pris en charge en partie par les caisses de retraite, et coûtera bien moins aux entreprises. Et en conséquence, bien plus au système de retraite.

Second risque. Les salariés actionnaires de leur entreprise de plus de 60 ans pourraient profiter aussi d’un effet d’aubaine, et ne plus se verser que la moitié de leurs émoluments, laissant l’autre moitié à la charge des caisses de retraite, thésaurisant cette autre moitié charges incluses dans la trésorerie de leur entreprise. Dans la même veine, les entreprises pourraient proposer à leurs salariés qui ne sont pas sur une base horaire une retraite progressive tout en augmentant leurs salaires. Cette augmentation de salaire serait en quelque sorte financée par les caisses de retraite. Le salarié serait augmenté, l’entreprise n’aurait plus qu’une partie du salaire à sa charge, et le restant, tout le restant, serait à la charge du système de retraite.

Le fameux « moitié moitié moitié » de la Vérité si je mens… Gagnant Gagnant Perdant en fait. Voilà une belle aubaine…

Deux risques majeurs qui, si cette retraite progressive est étendue aux plus de 60 ans, génèreront un coût important, un déséquilibre financier fort au moment où notre système de retraite a au contraire besoin de préserver son équilibre.

La balle va à présent être dans le camp des parlementaires.

A eux, dans leur grande sagesse, par conséquent surtout au Sénat, de bien étudier les impacts de chaque mesure. Ce n’est pas parce que les partenaires sociaux se sont accordés sur des éléments de réforme que tout doit être voté.

A eux de voter les premières mesures que j’évoquais, d’ajouter le nécessaire volet formation à l’IA, obligatoire pour tous, car, directement comme indirectement, cette révolution nous touche ou nous touchera tous.

A eux de rejeter cette extension de la retraite progressive car elle ne pourra que générer des déficits de financement colossaux dont la France n’a vraiment pas besoin aujourd’hui…

 

Patrick Pilcer
Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers

Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers
Patrick Pilcer, Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers