La chronique de Patrick Pilcer
13H39 - jeudi 6 février 2025

L’œil du macronisme était dans la tombe et regardait Bayrou… Suis-je le gardien de mon frère ? La chronique de Patrick Pilcer

 

La France dispose à présent d’un budget. Ouf !

La doxa générale affirmait devant tous les micros que si le budget n’était pas voté, la France sombrait dans le chaos. Dont acte, nous disposons d’un budget, mais un mauvais budget, un budget de gauche qui alourdit les taxes, impôts et contributions sans diminuer les dépenses publiques.

Le gouvernement a beau dire, diminuer la hausse des dépenses, cela ne s’appelle pas une baisse des dépenses.

Bien sûr le maquillage et les cosmétiques sont abondamment utilisés : en pourcentage, les dépenses publiques rapportées au PIB stagnent, en théorie. Mais en valeur, les dépenses augmentent encore.

Surtout, les prévisions de croissance et de recettes fiscales ne seront pas au rendez-vous. Le gouvernement Bayrou prévoit 0,9% de croissance alors qu’il est plus que probable que nous soyons entre 0,5 et 0,7%, au mieux. Autant dire que notre déficit ne va pas diminuer véritablement et qu’il va se situer, fin 2025, entre 6 et 6,5%.

Certes il fallait un budget, mais fallait-il pour autant un Budget qui frise l’insincérité ?

Fallait-il surtout un budget qui enterre tous les acquis de la politique économique d’Emmanuel Macron ? On peut critiquer la présidence Macron sur de très nombreux points, et je suis loin de m’en priver, que ce soit sur l’incohérence de sa politique étrangère, sur son attitude vis-à-vis du Qatar, sur sa méthode « jupitérienne » de gouvernance, et bien sûr sur l’absurdité du timing de la dissolution. Mais force est de constater qu’Emmanuel Macron avait remis l’économie française sur les rails d’une croissance plus saine, d’une meilleure compétitivité, d’une souveraineté économique en voie de restauration, avec enfin une trajectoire vers le plein-emploi.

Eh bien c’est fini, le budget Bayrou enterre cette dynamique économique. Il enterre, en fait, le macronisme. Bayrou c’est le retour de l’époque François Hollande.

Bien des mesures du budget Bayrou partaient d’une analyse pertinente.

Prenons les mesures sur l’apprentissage ou sur le coût du travail. Ces mesures traduisaient un grand nombre de constats et de recommandations de la Cour des comptes, dans ces différents rapports « travail et emploi » de ces dernières années. Sans recul, le ministère du Travail pouvait légitimement penser que traduire les recommandations en mesures budgétaires faisait sens.

Mais le rôle d’un responsable politique à la tête d’un ministère est justement de prendre du recul par rapport à son administration, de ne pas raisonner en silo, de ne pas réfléchir selon une lecture uniquement comptable et administrative, mais d’analyser la situation dans toutes ses dimensions, comme le font les chefs d’entreprise et les ingénieurs. D’ailleurs même la Cour des Comptes a modifié sa politique de recrutement et sort du tout ENA pour intégrer des profils d’ingénieurs. Il est temps.

Bien sûr la hausse du nombre d’apprentis et d’alternants a considérablement augmenté et pèse sur les postes budgétaires du travail et de l’emploi. Mais si on prend du recul, apprentissage et alternance permettent une bien meilleure insertion des jeunes dans le monde du travail. Cela leur permet de financer leurs études et leur apporte un meilleur pouvoir d’achat. L’un des problèmes importants, source de déficit, de notre économie est le faible taux d’emploi, la faible participation des moins de 25 ans et des plus de 55 ans à la vie économique. Apprentissage et Alternance corrigent cela.

Aujourd’hui, il y a bien trop d’étudiants, quel que soit leur cursus, qui ne parviennent même plus à manger convenablement, à se loger, à étudier dans des conditions de vie décentes. C’est une honte pour notre pays ! Pour eux, entrer dans un système d’alternance ou d’apprentissage, c’est étudier mieux, c’est vivre mieux.

Et chacun y trouve son compte, entreprises comme étudiants. Plutôt que de multiplier les bourses, les aides et transformer les étudiants en assistés, dès le démarrage de leur vie d’adulte, l’Etat devrait poursuivre l’effort et faciliter l’apprentissage et l’alternance. Mieux vaut loger cette dépense publique au sein du budget du ministère du Travail, que de le transvaser dans un poste budgétaire lié aux aides sociales. Il s’agit en fait d’une dépense d’investissement au sens éthique du terme et non d’une dépense sociale.

Le raisonnement est très similaire sur le coût du travail, et ici aussi c’est le pouvoir d’achat qui trinque. Là notre pays part d’un coût du travail tellement supérieur à celui de ses principaux partenaires économiques qu’il ne devrait pas y avoir photo. Et bien si, le budget Bayrou préfère renoncer. Il augmente le coût du travail.

En pleine crise économique, avec des défaillances d’entreprise qui explosent, avec une hausse forte du chômage, ce budget va à contresens, il va amplifier la destruction d’emplois. Non seulement la hausse des cotisations votée par le Parlement ne rapportera pas les montants prévus, mais en plus ces nouveaux chômeurs viendront grossir les rangs des demandeurs à France Travail, l’ancien Pôle-emploi.

Quand on sait l’inefficacité de cet organisme, on ne peut que s’interroger. Plutôt que d’augmenter le coût du travail, le ministère n’aurait-il pas dû réformer drastiquement France Travail, voire le privatiser ? En quoi les dépenses publiques dans France Travail sont-elles nécessaires ? La « Rue Cambon » pointe pourtant régulièrement les défaillances de cet organisme. C’est là qu’une vraie réforme s’impose, c’est là qu’on peut réduire l’inefficacité de la dépense publique, pas en augmentant le coût du travail qu’il faut au contraire diminuer, et c’est là qu’on attend vraiment les responsables politiques !

J’ai ciblé les mesures sur le travail, mais je pourrais aussi bien cibler les mesures contre la rentabilité des entreprises, et sur toutes celles qui touchent encore et encore à notre pouvoir d’achat.

Car terrible point noir de ce budget : rien n’est fait pour améliorer le pouvoir d’achat des Français, l’une de leurs principales préoccupations. Pire, on le rogne ! Et la grogne des fins de mois difficiles va se faire entendre !

Déjà sur le régalien, avec Darmanin et Retailleau, le gouvernement Barnier puis celui de Bayrou avaient pris la perpendiculaire des années Macron version Castaner, Belloubet ou Dupont Moretti en remettant du « bleu » dans les rues, en soutenant les policiers et gendarmes, en veillant à faire appliquer les sanctions, en cherchant à restaurer l’état de droit, en remettant en fait la Mairie au milieu du village. Malgré les avertissements forts du regretté Gérard Collomb, nous étions dans le déni de réalité.

Avec les mesures économiques contenues dans le budget Bayrou, à présent adopté par le Parlement, c’est toute la politique économique du Président, son seul succès, qui est enterrée. Pire, pour s’assurer la bienveillance des députés socialistes, le gouvernement Bayrou a fait la part belle aux mesures de gauche, avec les éléments de langage classiques sur la justice fiscale et sociale, dans un pays pourtant parmi les plus redistributifs, les plus égalitaires.

Les députés dits macronistes le sentent bien, c’est la fin d’une époque, peut-être d’une simple parenthèse, et pour les prochaines élections, ceux qui viennent de la gauche font les yeux doux à leurs anciens amis, et ceux qui viennent de la droite de même. Mais ni le PS ni le centre ni la droite n’ont besoin d’eux. Bayrou vient aussi de leur tirer une balle en pleine tête et de les enterrer, ni vu ni connu.

Mais après tout, comme Cain devant le corps de son frère Abel, Bayrou est-il le gardien de son frère ?

 

Patrick Pilcer
Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers

Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers
Patrick Pilcer, Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers