Opinion Paris 2024
16H39 - vendredi 29 mars 2024

Pros mais amateurs – Dans les yeux de Paris 2024, la chronique #7 de Frédéric Brindelle

 

Ils collectionnent les titres de gloire tout en attisant les rancœurs.
Ces millionnaires mercenaires, picorant les contrats de maillots en maillots, sans prendre le temps d’en savourer leurs couleurs, semblaient bien, jusqu’à maintenant, étrangers à l’esprit Olympique. L’observateur plus ou moins informé, n’en démordait pas : « Ces footballeurs ultra sollicités, assis sur des valises de billets, ne peuvent envisager s’installer 15 jours dans une chambre de bonne, au cœur du village des athlètes smicards ». Comment les deviner assis autour de gigantesques tablées, dans le réfectoire universel, où pâtes et haricots verts se partagent entre l’assiette de l’haltérophile Ouzbek, de l’escrimeur panaméen ou du water poloïste Hongrois. Les footeux n’auraient-ils donc rien en commun avec les Jeux de Coubertin ?

Eh bien nous nous méprenions. Car depuis plusieurs semaines, toutes les stars de l’équipe de France de football se répandent dans les médias pour pouvoir participer aux Jeux Olympiques. L’important, c’est de participer pour Rabiot, Griezmann, Tchouaméni, Hernandez, Dembélé et même… Kylian Mbappé !  Ces jeunes garçons starifiés, vénérés par la planète entière, s’accrochent aux symboles qui les berçaient quand enfants ils se voyaient gagner des coupes et des médailles. Jouer pour leur pays, sans soucis d’argent, de contrat, de sponsoring, défiler sur la Seine avec Riner, Manaudou, Larroque, Foppa, les plongeurs, les archers… Porter autour du cou la médaille d’or dans le Parc des Princes décoré par les 5 anneaux… Toutes ces images les font chavirer.

Quelle bouffée d’oxygène ! Les valeurs fondatrices de notre société conservent bel et bien une prédominance sur le fric, la frime, l’image. Enfin nous pouvons encore l’espérer.

Longtemps le professionnalisme a heurté les penseurs et les fabricants du mouvement olympique. Le tennis, devenu par l’entremise de sa multinationale l’ATP, un conglomérat de stars très chaudement rémunérées, n’avait plus sa place. Il fallut attendre Séoul 1988 pour le retrouver au programme. Un retour timide, incarné par des médaillés dits de « second rang », sacrés grâce au désintérêt des vainqueurs de Roland Garros ou autres Wimbledon de l’époque. Et puis les années passèrent, Nadal, Federer et Djokovic se sont pris aux Jeux, galvanisés par leurs rêves de gamin. Espérons qu’il en sera de même pour les très nobles golfeurs, réintégrés seulement en 2016, dont l’engouement pour la grande fête sportive tarde à se révéler.

Les cyclistes du Tour de France et de Paris Roubaix ont dû eux aussi, pendant longtemps, tirer un trait sur les Jeux. La course sur route n’accueillait que les amateurs occidentaux et les très professionnels communistes, officiellement amateurs, du bloc de l’Est. A partir de 1996, les pros obtinrent le droit de s’engager. Une réussite ! Même si la configuration Olympique modifie complètement les stratégies habituelles. Les meilleures nations ne peuvent aligner que 4 représentants dans la course en ligne, aucune stratégie d’équipe ne ressemble à celles égrainées tout le reste de la saison.

Le détonateur de l’intégration du sport business dans l’olympisme restera inévitablement le débarquement des Américains à Barcelone en 1992. Les milliardaires basketteurs de NBA imaginent le concept de « Dream team ». Jordan, Johnson, Bird, Barkley et consorts triomphent. Ils affichent une bouille lumineuse sur le podium, auréolés de leur inestimable médaille d’or.

Fifa story

Alors pourquoi nos footballeurs stars demeurent les grands exclus de la fête ? Comme souvent, l’imbroglio tient à la vénalité de ces véritables « chefs d’État bis » que sont les présidents de fédérations internationales. La FIFA, vertueuse fédération internationale de football, rogne sur tout ce qui amoindrit ses marges et profits.

Pour rien au monde elle ne tolérerait la modification de ses calendriers qui vampirisent la sphère médiatique. Donc elle n’intègre pas dans son business plan, la programmation du tournoi olympique. Charge aux fédérations nationales de football de se débrouiller avec les joueurs de catégorie espoir pour représenter au mieux leurs couleurs aux Jeux. Comprenons les grands clubs, qui déboursent des sommes faramineuses pour rémunérer les joueurs toute l’année. S’ils autorisaient leurs vedettes à jouer le tournoi olympique, ces derniers devraient enchaîner ces prochains mois, le championnat national, la coupe d’Europe, puis les championnats d’Europe ou d’Amérique des nations avant de tenter l’aventure olympique, dont l’issue tombe quasiment la même semaine que la reprise du championnat national. Cela signifie aucune vacances, énormément de sollicitations physiques et mentales, une situation dangereuse pour le joueur et suicidaire pour son club.

Ces fameux présidents influents, cravatés, âgés, ornés de montres de luxe, fidèles clients des hôtels 5 étoiles, imposent leurs caprices au mépris du sportif. D’ailleurs quand celui-ci ambitionne de prendre les destinées de son sport pour en améliorer le fonctionnement, il trouve face à lui lors des élections, ce fameux président, génial chef de réseau, qui conserve son siège avec un pourcentage « Poutinien ».  Mais certains anciens sportifs commencent à trouver la parade et le sport se prend à espérer des cadences plus humaines.

Cette formule olympique du football, qui s’adresse principalement aux « espoirs de moins de 23 ans » laisse toutefois 3 places par équipe, à des « séniors ». D’où le défilé de noms, Varane, Benzema et tous ceux qui n’auront pas été retenus par Didier Deschamps pour participer à l’Euro en Allemagne (du 14 juin au 14 juillet 2024). Positivons !

De belles histoires s’écrivent en pareil cas. En 1984, lors de l’unique titre olympique de l’équipe de France de football, un génie nommé José Touré trouvait enfin une juste récompense internationale. Le « Pelé » français devait succéder à Michel Platini dans le registre du joueur français iconique (Kopa, Zidane, Mbappé). La malchance ou le manque de sérieux le priva de tous les évènements où la France écrivit ses grandes heures et obtint ses premiers titres. Appelé par le sélectionneur Henry Michel, Touré conquit cette mythique médaille d’or à Los Angeles aux côtés des Ayache, Xuereb et autres Bijotat. L’histoire reste, à jamais, gravée dans nos cœurs.

Pour 2024, 40 ans plus tard, et si Benzema remportait enfin un titre légendaire avec les bleus ? Il ne compte que la peu prestigieuse Ligue des Nations et des titres chez les jeunes. Là encore l’idée séduit.

Quant à Mbappé, son aura trônera inévitablement sur Paris 2024. En cas d’absence sur le terrain, voici un rôle que nous proposons de le voir tenir, un rôle à la hauteur de ce qu’il incarne dans le monde entier : dernier relayeur de la flamme.

 

Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »