Opinion Paris 2024
08H59 - lundi 25 mars 2024

La France est-elle une nation sportive ? Dans les yeux de Paris 2024, la chronique #4 de Frédéric Brindelle    

 

En tout cas, la promotion de l’activité physique et sportive trône en Grande Cause Nationale pour cette année 2024. Enfin !

Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports, des Jeux Olympiques et Paralympiques enchaîne les inaugurations, les partenariats, les conférences de presses. Les initiatives à vocation promotionnelle du sport fleurissent dans nos villes et nos campagnes, à la manière des rassemblements du téléthon. Dès qu’il faut faire une vente de gâteaux, une course à pied primée par le nombre de tours réalisés, un spectacle de danse avec les enfants, une collecte géante, un « vide grenier », la France n’hésite pas à s’engager pour la bonne cause. Les associations exhibent leur bonne volonté, les bénévoles « sans qui, rien n’aurait pu se faire ce soir, encore merci à eux ! » repartent fièrement, t-shirt offert sur le poitrail.

Le prochain week-end de Pâques saluera comme il se doit la perspective de Paris 2024 avec des initiatives dans toute la France.

L’ensemble des actions ministérielles pour notre cause nationale répond à trois objectifs :

« Continuer à ancrer le sport au cœur des politiques publiques et du pacte républicain, fédérer tous les acteurs mobilisés pour la promotion de l’activité physique et sportive et inciter les Français à la pratique en multipliant les occasions de faire du sport. » C’est tellement vaste et politiquement correcte, qu’on ne sait par quoi commencer.

Les Ligues, le CNS, les comités, les CROS, les CDOS, les fédérations, la DRAJES, l’ANS, le CNOSF, le CPSF (vérifiez, tout existe !), tout ce que la France compte d’acronymes et de fonctionnaires certifiés catégorie A, B,C… mobilisent la population pour honorer l’objectif.

Pourtant nous traînons encore certaines manies peu convaincantes. A l’école primaire, les instituteurs, tous « sportifs émérites », imaginent des sessions révolutionnaires : Frisbee, acrosport, tchoukball, course d’orientation, rugby, parce qu’il y a des valeurs… alors que d’autres pays initient l’enfant à la gymnastique, l’athlétisme, la natation, parce que l’accès aux piscines n’y pose aucun souci.

A l’heure du bilan, nous regrettons que les jeunes français peinent à faire des roulades, à synchroniser leurs mouvements, à nager, à courir longtemps.

Heureusement le programme devient plus « olympique » au collège. Mais nous déplorons alors la découverte par nos adolescents de l’outil épanouissant et motivant :  l’écran ! Il permet le développement du sport, pardon, du e-sport… Bravo à Kevin, 12 ans, 100 kilos, champion d’Europe de « Formula one ».

En conclusion, nos jeunes ne pratiquent pas assez, les études le martèlent.

Heureusement il y a nos clubs sportifs. Ceux qui quémandent des installations climatisées ou isolées pour s’entraîner, dans des créneaux horaires adaptés aux petits et aux grands. Ces clubs redoutent les déplacements pour se rendre à une compétition, à cause d’un prix de l’essence qui plombe leur budget, d’un manque de transports en commun le dimanche. Leurs entraîneurs rêveraient de compter sur l’ensemble de l’effectif de l’équipe plus qu’un match sur deux, parce que les enfants de divorcés, majoritaires, visitent leur autre parent quelques heures le week-end, à l’autre bout de l’hexagone.

Les clubs courent les sponsors et subsistent grâce à la générosité de « Karine Coiffure » de « La Ronde des Pains », installés à portée de vue du gymnase. La municipalité les délaisse, regrettant la suppression des anciens impôts locaux. Certaines mairies parviennent à braquer les propriétaires de la ville avec le bazooka de l’impôt foncier mais les caisses peinent à se remplir.

Bon, soyons positifs ! Le sport captive un plus large public que par le passé. Les femmes actives et libérées envahissent les salles en session nocturnes. Les anciens se retrouvent sur un tapis de renforcement musculaire, entre deux pots de l’amitié. Les messieurs expérimentent les dernières technologies pour raconter, preuves à l’appui, leurs exploits dans les soirées « qui a la plus grosse perf ? ».

Et notre industrie du sport se porte à merveille selon l’Union Sport et cycle, interlocuteur des entreprises de la filière sport et loisirs, du cycle et de la mobilité active.

Les grandes entreprises saisissent l’opportunité. Le MEDEF renforce son comité sport, présidé par la cheffe d’entreprise ex-athlète de haut niveau, Dominique Carlac’h. Des salles de sports permettent aux employés de soigner leur santé sur le lieu de travail, la RSE bat son plein. Le personnel bouge, s’entretient et entretient la fibre familiale de la boîte.

Reste à évoquer l’engouement populaire de la nation. Les stades de football sont bourrés d’ultras idiots qui monopolisent une partie du budget réparation de nos clubs déjà étouffés par la fiscalité à la française. Heureusement que le Qatar maintient le PSG à hauteur des grosses machines anglaises, espagnoles ou allemandes en Coupe d’Europe.

Nos grandes villes suffoquent à l’idée de compter plusieurs équipes de sports collectifs. En conséquence, nos meilleurs footballeurs, basketteurs, volleyeurs, handballeurs, hockeyeurs partent jouer à l’étranger.

Aux Jeux Olympiques, la France fait généralement partie des dix meilleures nations. Nos escrimeurs, judokas, nageurs, archers, kayakistes suent à grosses gouttes pour y triompher. Malheureusement, beaucoup de prétendants risquent de finir « tricards » anonymes.

Les audiences télé surfent sur les grandes finales de nos équipes. Quelques médias novateurs installent des feuilletons fédérateurs dans notre quotidien (biathlon, golf, moto, tennis). Mais plus on aime, plus il faut payer d’abonnements pour les suivre. La fidélisation peine à s’opérer.

En parcourant les rues d’Allemagne, de Chine, d’Espagne, du Canada, du Brésil, de la Scandinavie, de Grande-Bretagne ou d’ex-Yougoslavie, j’ai pu nous comparer. J’ai vu ces grands parcs constellés de terrains ou d’installations sportives, qui ne respectaient pas toujours les mesures administratives de risques de blessures mais qui méritaient d’exister. J’ai vu ces grandes Arena dédiées exclusivement au sport et à leur club, jamais obligés de déménager dans la salle polyvalente pour cause de salon de l’immobilier. Des enceintes sportives accessibles aux banlieusards, obligés de repartir à 23h à la fin du spectacle, avec leur voiture. Ces monstres bannis des grandes enceintes parisiennes que nos fans garent avec un peu de chance, pour la modique somme du double du prix des places du match.

Alors sommes-nous une nation sportive ? 

Nos athlètes, toujours à la pointe de la lutte contre le dopage, hissent bien élégamment notre drapeau dans des conditions légales. En revanche, je ne suis pas impressionné par notre passion collective, par notre aptitude à favoriser la pratique, par notre mode de vie.

A d’autres coins de la planète, il y a bien longtemps que le sport trône en cause nationale.

 

Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »