Opinion Paris 2024
08H10 - dimanche 24 mars 2024

Psychose quand tu nous tiens ! Dans les yeux de Paris 2024, la chronique #3 de Frédéric Brindelle

 

La France se prépare à accueillir la planète pour le grand rassemblement Olympique. L’enthousiasme imaginable d’un tel honneur trébuche sur des blocs de terreur, baptisés actes terroristes, pudiquement classés dans la catégorie « problèmes de sécurité ».

Le ministre de l’intérieur n’en dort plus et le confie stratégiquement lors d’entretiens médiatiques. Gérald Darmanin avance des chiffres : « 5000 islamistes sont susceptibles de passer à l’acte pendant les Jeux Olympiques ».  Comme il n’y a pas de gloire à vaincre sans péril, l’ambitieux ministre évènementialise son avenir de présidentiable sur ce défi estival qu’il relèvera avec panache. Merci pour le challenge mais en attendant, une majorité de nos concitoyens hésitent à participer à la fête, tergiversent face au risque.

Le fatalisme ambiant, bien campé sur le tatami olympique, pourrait affronter au tour suivant de la compétition, un dénommé « remord », puis s’il se qualifie en finale, la très réputée « colère ». Car nous donnons l’impression de créer nos propres faiblesses pour nous faire flageller dans l’approche sécuritaire de Paris 2024.

Gérald Darmanin sanctifie toujours plus sa tâche en regrettant les récentes sorties de prisons de condamnés pour terrorisme.

Ah Sacré France ! L’évidence ne la titille jamais, elle s’arc-boute sur sa conception aveugle de l’état de droit : « Comment ça ? Le journaliste d’Opinion Internationale remet en cause l’état de droit ? C’est quoi ce média ? »

Non, j’évoque, par souci du bon sens, l’état d’urgence, l’état d’exception, qui permettent à des milliards d’humains de célébrer fraternellement l’unique événement humaniste.

Quelle réponse devons-nous apporter à un ennemi qui revendique la destruction de notre civilisation ? Des solutions adaptées…

Quelques exemples… Les experts policiers confirment que l’outil « reconnaissance faciale » simplifierait la tâche pour protéger « Paris 2024 », mais que la Commission Nationale Informatique et Libertés s’y oppose : « Les enjeux de protection des données et les risques d’atteintes aux libertés individuelles que de tels dispositifs sont susceptibles d’induire sont considérables » rappelle la CNIL. Donc nous pourrions mais nous ne voulons pas.

Cela me rappelle mon passage au très valorisé service judiciaire des « cold case » à Nanterre. Appelé à éclairer une enquête, je questionne le policier m’auditionnant. Mon ADN, que la police avait relevé il y a plusieurs années, suite à une soirée pas franchement maîtrisée, présenterait quelques similitudes avec le coupable (qui n’est pas moi puisque nous n’avons pas le même ADN et que le sien a été relevé). En revanche, ce coupable pourrait être quelqu’un de ma famille, d’où ma convocation. Heureux de recevoir une écoute journalistique, mon interlocuteur me confie. « Vous êtes 150 personnes répertoriées dans notre fichier qui pouvez nous amener à cette possible correspondance. Vous pourriez être une centaine de moins si la CNIL acceptait que nous accédions à l’ensemble des données de l’ADN. Or nous ne pouvons pas, contrairement aux Etats-Unis. Du coup, si les codes matchent, on doit envoyer les analyses outre-Atlantique pour avancer. Ça coûte cher et ça prend un temps monstre ! » Nous pourrions mais nous ne voulons pas.

Le policier me demande donc de faire mon arbre généalogique. Enfant de divorcé, coupé d’une partie de ma famille, je m’aventure et bute inévitablement sur la génération de mes parents. En effet, mes grands-parents avaient, chacun de leur côté, enfanté à 10 reprises. L’entretien a duré sans pouvoir accoucher d’une fiabilité malgré ma volonté de coopérer. J’imagine que les 149 autres personnes interrogées auront pataugé aussi ! Une aiguille dans une meule de foin !

Le commissaire face à moi d’ajouter : « bien sûr si on avait l’ADN de tout le monde, au moindre crime ou viol, nous identifierions le coupable immédiatement. En fait notre travail dure 10 ans quand il pourrait se réduire à 10 jours ».

Je pense à ma voisine, offusquée par l’idée d’avoir porté un masque de protection pendant le Covid, angoissée par l’idée que l’autorité ait pu lui voler sa liberté. Elle qui ne ferait jamais de mal à un moustique, craint aussi d’être fichée. J’ai la faiblesse de penser qu’il est plus important de préserver les éventuelles victimes d’un « Michel Fourniret bis » que de soulager la phobie d’un honnête citoyen qui n’a rien à se reprocher.

Alors nous allons affronter le défi sécuritaire de nos JOP 2024 sans les moyens efficaces existants, au prix d’efforts onéreux qu’il faudra bien un jour rembourser.

Parmi les personnes susceptibles de passer à l’acte cet été, de nombreux mineurs, déjà identifiés par le milieu scolaire mais qui se baladent ostensiblement à la vue de nos forces de l’ordre.

Des fichés S, dont certains ont déjà intégré les forces de sécurité privées appelées à la rescousse. Mais Gérald Darmanin affirme procéder à 1 million de criblages pour s’assurer que le loup n’entre pas dans la bergerie. Economie quand tu nous tiens !

Et puis, nos forces de l’ordre s’assoiront sur leurs vacances d’été. En plus des Jeux Olympiques et Paralympiques elles interviendront pour les cérémonies anniversaires du débarquement, le Tour de France, les festivals… La cause nationale en vaut la peine, certes. Elle s’entend plus difficilement quand vous venez d’enchaîner les crises sociales sur les retraites, les agriculteurs, les gilets jaunes, les émeutes post-décès de Nahel, le confinement du Covid, le terrorisme, la lutte anti-drogue, etc.

C’est toute une génération de flics qui voit passer le mirage de leur vie tout là haut dans le ciel. Heureusement tout n’est pas perdu, ils auront vu les Jeux Olympiques à Paris. C’est Une fois tous les 100 ans.


Frédéric Brindelle

Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »