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08H20 - mardi 4 octobre 2022

Les admirations dangereuses. La chronique littéraire d’Anne Bassi

 

Jusqu’où peut-on aller par admiration ? C’est la question essentielle posée dans trois livres de la rentrée littéraire 2022.

Quelque chose à te dire (1) : Elsa Feuillet est une jeune autrice dont le modèle est une écrivaine confirmée, Béatrice Blandy. La première est timide et peu sûre d’elle. La seconde est fière et rayonnante.

June (2) :  June Mansfield a un coup de foudre pour Henry Miller « Il est celui qu’elle attendait, le futur Dostoïevski. (…) Un homme qui lui ouvrirait un nouveau monde, avec qui elle partagerait sa passion pour la littérature et le théâtre ; celui dont elle a toujours rêvé, celui qu’elle aimerait à la folie. » Elle perçoit immédiatement le génie de l’écrivain et décide de tout mettre en œuvre pour le faire réussir.

La dépendance (3) : M., romancière, accueille dans la dépendance de sa maison un artiste-peintre, L., dont les œuvres l’ont éblouie.

A l’admiration que les trois héroïnes portent à ces artistes, se mêle un sentiment plus fort « une intimité qui était quasiment un lien de parenté, comme si nous étions frère et sœur – presque comme si nous partagions une même origine », écrit ainsi M. Progressivement, la distance entre les personnages disparaît et les identités se mélangent. Après la mort de Béatrice, Elsa s’installe peu à peu dans l’appartement de celle-ci. « Pénétrer dans la salle de bains de Béatrice Blandy. Faire couler l’eau brûlante dans sa baignoire. Verser quelques gouttes de bain moussant et se laisser glisser dans l’eau parfumée. Se sécher avec une serviette brodée aux initiales BB. Se coiffer avec la brosse de Béatrice Blandy, mêler ses cheveux châtains aux siens, plus bruns, plus drus, presque noirs. » En quête éperdue de reconnaissance, Elsa noue une relation avec le mari de Béatrice. Lorsqu’elle découvre un manuscrit inachevé de l’écrivaine, la tentation est grande de poursuivre le travail entamé… quitte à se brûler gravement les doigts.

Jusqu’où aller lorsqu’on aime ? Se perdre dans l’admiration répondent tous les personnages. June entretient Henry, supporte ses liaisons, encourage ses écrits, quitte à sombrer dans une « prostitution efficace et légitimée » pour ramener l’argent au foyer. Le besoin de M. d’être vue, reconnue, consolée par L. est tellement fort qu’elle manque de perdre Tony, son mari. A force d’entrer dans la peau de Béatrice, Elsa devient « une mosaïque, un patchwork, un être éclaté et recomposé sans cesse, cherchant sans relâche à atteindre cet idéal que sa mère saurait, un jour peut-être, reconnaître et aimer. »

Outre l’admiration éperdue que les héroïnes portent à ces artistes, il est un autre point commun entre elles : une mère absente, ou peu aimante. C’est dans cette faille que l’admiration se transforme peu à peu en dépendance, comme si chacune recherchait dans le regard de l’autre – écrivaine, romancier et peintre – la confirmation de sa valeur et de son identité.

Mais vient le jour du sursaut, de la rébellion. Après s’être longtemps sacrifiée, June refuse d’être utilisée par Henry et Anaïs Nin, la nouvelle maîtresse du romancier et rompt avec le couple. Lorsque M. découvre une fresque peinte par L. dans laquelle elle est représentée telle une « chienne castratrice », elle est d’abord épouvantée, puis se réapproprie son identité. Quant à Elsa, un immense choc la fait vaciller mais la littérature la sauve.

M., Elsa, June : trois femmes en quête d’amour et de reconnaissance qui doivent, au péril de leur identité, réapprendre à s’admirer elles-mêmes.

 

  • Quelque chose à te dire, Carole Fives, Gallimard 2022
  • June, Emmanuelle de Boysson, Calmann Levy 2022
  • La dépendance, Rachel Cusk, Gallimard 2022

 

Anne Bassi

fondatrice de l’agence Sachinka. Auteure du roman « Le silence des Matriochkas » publié aux éditions Berangel

Retrouvez les chroniques littéraires d’Anne Bassi : https://www.opinion-internationale.com/rubrique/la-chronique-danne-bassi

 

Présidente de Sachinka, chroniqueuse littéraire

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