La chronique de Patrick Pilcer
10H32 - vendredi 1 juillet 2022

L’ascenseur social en panne ? Borne et Braun-Pivet prouvent le contraire ! La chronique de Patrick Pilcer

 

Elisabeth Borne, pupille de la Nation, fille d’un immigré. Première Ministre de la République Française. Yael Braun Pivet, petite fille d’immigrés, mère issue de la DDASS, Présidente de l’Assemblée nationale…

 

L’ascenseur social, la méritocratie, ça marche ! Arrêtons de nous lamenter.

Définissons tout d’abord ce qu’est l’ascenseur social. C’est avant tout la capacité à occuper une position sociale supérieure à celle de ses parents. C’est ce que déjà en 1835 Alexis de Tocqueville appelait la mobilité sociale : la position sociale ne dépend pas de la naissance, de la famille, du clan mais du mérite. Tocqueville en fait d’ailleurs une condition de base de la vie démocratique. La mobilité sociale, c’est l’égalité des chances. Que l’on vienne d’un milieu aisé ou défavorisé, que l’on vienne d’une grande ville ou d’un petit bourg, que l’on soit blanc ou noir, homme ou femme, athée, agnostique ou religieux, nous devons avoir tous, en théorie, la même possibilité d’accéder à tel emploi, à telle position, à tel honneur, et cela uniquement en fonction de notre mérite propre.

L’ascenseur social c’est donc une mobilité sociale intergénérationnelle, pouvoir espérer changer de position sociale, et que cela ne soit pas limité par la position sociale de nos parents. C’est l’un des rôles majeurs de l’Education Nationale. Faire que le fils ou la fille de manutentionnaire puisse devenir instituteur, infirmier, médecin ou astronome, que ses parents résident à Brive, Niort, Mulhouse, Brest, Trappes ou boulevard Saint Germain, qu’il ou elle s’appelle Louis ou Ibrahim, Delphine ou Messaouda, et cela de par son mérite.

L’ascenseur social, la mobilité sociale, n’est pas la seule mobilité que doit garantir la République Française, République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Pour que les inégalités réelles soient admises par tous, il faut cette mobilité sociale, qu’elle soit bien sûr intergénérationnelle mais pas uniquement intergénérationnelle, il faut une mobilité professionnelle ainsi qu’une mobilité géographique.

Mobilité géographique, je l’ai soulignée, car la République et une et indivisible. Il ne serait pas acceptable que l’enfant né à Aurillac ne puisse pas avoir les mêmes chances que celui de Bordeaux, et inversement. Limiter la vitesse à 80km/h, augmenter les taxes sur les carburants, c’est, dans l’inconscient des Français, toucher à cette mobilité géographique, c’est donc remettre en cause l’égalité des chances. Il n’est donc pas étonnant qu’une très large majorité des Français aient eu de la sympathie pour les Gilets Jaunes, sur cette thématique en tout cas.

Mobilité sociale, mobilité professionnelle : un infirmier doit avoir la possibilité, s’il le veut, de changer de métier, et de devenir conseil en communication par exemple ; un ouvrier agricole devenir manutentionnaire ; un pharmacien devenir publicitaire ; un médecin devenir start-uppeur dans le numérique ; un avocat devenir instituteur, etc… c’est une mobilité horizontale alors. Personne ne doit être enfermé, ou se sentir enfermé, dans un silo professionnel. L’ascenseur doit permettre d’accéder à différentes cages d’escalier… Là encore c’est un des rôles de l’Ecole, mais pas que de l’Ecole, c’est aussi le rôle de la formation continue.

Ces définitions précisées, notre ascenseur social est-il en panne ? Notre mobilité sociale est-elle moins fluide ? Les rapports de l’INSEE tendaient à démontrer que la mobilité sociale s’est améliorée nettement en un demi-siècle : en 1953, 2/3 des actifs étaient de la même catégorie sociale que leur ascendant. En 2015, 2/3 des actifs avaient une position sociale différente de leur ascendant. Mais l’ascenseur permet de monter comme de descendre ! parmi ces 2/3, les 2/3 avaient progressé et 1/3 régressé socialement. Autrement dit, en arrondissant, sur 120 actifs, 40 avaient le même rang social que la génération précédente, 27 avaient un rang considéré comme inférieur et 53 un rang considéré comme supérieur. Difficile de dire que l’ascenseur soit en panne !

Selon l’Insee (Insee première n°1659), contrairement au sentiment répandu, l’emploi qualifié progresse en France. Sur une génération, la structure sociale s’est modifiée vers le haut. En 2014-2015, 41% des personnes de France métropolitaine âgés de 30 à 59 ans étaient cadres ou professions intermédiaires alors que ce n’était le cas que pour 29% de leurs pères. Selon l’Insee toujours, si l’on prend seulement la catégorie cadre, le taux passe de 14,4% à 19,7% pour les hommes. Pour les femmes, ce taux passe de 3,8% à 13,5% !

Mieux, quand l’Insee interroge les gens sur leur évolution personnelle, 35,8% des 30-59 ans considèrent qu’ils et elles ont une meilleure situation que leurs pères, 21,8% que leur situation n’a pas évolué, 25% qu’elle a régressé. Et par rapport à la situation de leurs mères, il n’y a pas photo : 40,4% estiment avoir progressé, seuls 10,3% pensent avoir reculé !

On dit souvent que la criminalité baisse, mais que le sentiment d’insécurité grimpe. Il en est de même de cet ascenseur social ! Les situations individuelles s’améliorent mais le sentiment de déclassement grimpe fortement.

Il faut cependant nuancer. Tout d’abord, sur le rang supposé supérieur ou inférieur : un employé de banque a -t-il un rang supérieur ou inférieur à son père agriculteur ? Les plus anciens se souviendront de la blague de Fernand Raynaud sur le « pauvre paysan ». Les plus jeunes iront le googleliser ou le youtubiser… 

Ensuite, avoir le baccalauréat, en 2022, est-ce la même chose que d’avoir le bac de dans les années 60. Une licence universitaire revêt-elle la même aura sociale en 2022 qu’en 1960 ? Un médecin, un pharmacien, est-ce le même rang social qu’un demi-siècle auparavant ? il faut se réjouir que nos Ecoles produisent plus de bachelier, plus de gens avec licence ou master, plus de médecins, plus de dentistes, plus de pharmaciens, plus d’ingénieurs, plus de polytechniciens.

Mais l’humain se compare souvent à son voisin. Si tous mes voisins ont le bac, le bac n’est plus un facteur différenciant. Si je n’ai pas le bac, si ma fille l’obtient, mais si tous mes voisins, tous les voisins de mes voisins l’obtiennent, dois-je considérer que ma fille a acquis les prémices d’un rang social supérieur au mien ? Si je suis médecin comme mon père, ai-je le même rang social qu’il avait en son temps ? Les statistiques ne peuvent répondre à ces questions ? Un chiffre ne peut refléter la subjectivité.

L’Ecole répond-elle à sa mission ? Difficile de trancher. Certes, elle permet à une grande partie d’une classe d’âge d’atteindre le baccalauréat ou une formation professionnelle. En cela, elle remplit sa mission première. Mais permet-elle, comme on le lui demande, de garantir la mobilité sociale intergénérationnelle, le fameux ascenseur social ? Rien n’est moins sûr. Bien sûr, la fille ou le fils d’un enseignant pourra le plus souvent trouver la bonne orientation, et progresser socialement, comme il y a 50 ans. Il suffit de voir la proportion d’enfants d’enseignant au sein des Grandes Ecoles. Mais le fils d’une employée d’un hypermarché, mère isolée, pourra-t-il, s’il en a le mérite, être admis en classes préparatoires et réussir le concours de la Rue d’Ulm ? C’est bien loin d’être acquis.

Prenons la question à rebours. Réussir le concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm. L’analyse serait la même pour l’Ecole Polytechnique. Deux écoles emblématiques de la méritocratie républicaine. Si un élève ne vient pas d’une des principales classes préparatoires des meilleurs lycées parisiens (Louis-le Grand, Henri IV, Sainte Geneviève particulièrement), la probabilité de réussir ces concours est très faible. Même pour un élève à Janson de Sailly par exemple, pourtant très bon lycée dans un quartier aisé de Paris, la probabilité est très faible. Et pour un lycée de province ? la probabilité frise le zéro, hors cas exceptionnel. Selon l’Insee, dans ses analyses sur l’Ile de France par rapport à la province de décembre 2016, 12,3% des jeunes provinciaux poursuivent leurs études entre 23 et 32 ans. 20% pour les jeunes franciliens. 34% des enfants de cadres en province accèdent également à un poste de cadre, 45% en Ile de France !

Ce n’était pas le cas il y a 30 ou 50 ans. Alors, un très bon élève d’une bonne classe préparatoire de province, Poincaré à Nancy, Kléber à Strasbourg, Lycée du Parc à Lyon, etc… pouvait entrer dans le Saint des Saints. Il n’avait pas besoin de « monter » à Paris. Aujourd’hui, il doit « monter ». Même si les écoles sont gratuites, même si les bourses sont très accessibles, combien d’enfants de milieu pas seulement défavorisé mais simplement non aisé peuvent assumer financièrement et psychologiquement ce choix ? Vous connaissez comme moi la réponse. Poser la question, c’est quelque part y répondre. Combien d’enfants d’ouvrier intègrent Polytechnique ? Aucun.

Pour faire ce choix, il faudrait déjà que l’enfant puisse choisir de rentrer en classes préparatoires. Or la plupart des enfants de milieu défavorisé, et de plus en plus d’enfants de milieu non aisé, préfèrent, souvent pour de mauvaises raisons, souvent parce que mal conseillés, choisir des filières courtes et géographiquement proches de leur lieu de résidence. Ici il préfèrera une fac éco plutôt qu’une préparation HEC. Là une formation en math appliquée plutôt qu’une Math Sup et parallèlement, faire des petits boulots pour aider le foyer parental. Mobilité, mobilité…

Imaginons maintenant que cet enfant soit la progéniture d’un couple d’immigrés algériens ou burkinabais, avec le père au chômage depuis plusieurs années et la mère, technicienne de surface de nuit dans un centre commercial à une heure de son domicile, avec 7 ou 8 autres frères et sœurs, dans un 4 pièces de 80 m2 d’un HLM de banlieue défavorisée. Il y a heureusement des enfants qui réussissent leurs études, malgré ce contexte, souvent parce qu’ils sont bien conseillés par leurs professeurs, bien pris en charge par des associations.

Parmi ces associations, citons-en une en particulier, «Réussir Aujourd’hui », où œuvrait un de mes amis, trop tôt décédé, Philippe Marano. Philippe, après une belle carrière au Ministère de l’Education Nationale, avait rejoint Réussir Aujourd’hui en tant que bénévole. Cette remarquable association a comme objectif d’aider les jeunes de Seine Saint Denis, Val de Marne, Val d’Oise, Gard et Loire, à se préparer à faire des études supérieures alors que leur milieu social ne les y prédispose pas forcément. Plus de 1500 jeunes ont été aidés par Réussir Aujourd’hui.

Philippe me citait le cas d’une jeune fille talentueuse, d’origine sénégalaise, qui devait faire ses devoirs le soir sur le palier de la porte du petit appartement familial, dans un HLM de Seine Saint Denis. Elle faisait ses devoirs dehors pour ne pas que la lumière n’empêche ses jeunes frères et sœurs de dormir la nuit. Ils partageaient bien sûr la même chambre. Sur le palier, cette jeune fille devait régulièrement se lever pour rallumer la lumière des parties communes. Aider par Philippe et par Réussir Aujourd’hui, cette jeune fille a intégré Sciences-Po Paris. Dans un milieu aisé, Philippe me disait qu’elle aurait intégré certainement L’ENA après Sciences-Po et ne se serait pas contentée d’un diplôme même excellent. Mais Sciences-Po, c’est déjà fabuleux. Imaginez la joie de cette jeune fille, de ses parents, de sa famille et amis, l’exemple qu’elle projette pour ses jeunes frères et sœurs, pour ses voisins.

On parle alors d’exceptions et non du plus grand nombre. Pourtant, c’est dans ces nombreuses situations que l’ascenseur social, en fait, marche, car une majeure partie de ces enfants auront un meilleur niveau socio-professionnel que leurs parents. En sont-ils conscients ? Pas si certain.

A bien regarder, l’ascenseur social fonctionne pour les familles défavorisées. Elles bénéficient massivement de la redistribution fiscale ; elles ont des aides, des revenus complémentaires ; et leurs enfants ont l’espoir d’atteindre un meilleur rang social que leurs parents et grands-parents. Pour les familles aisées, peut-on parler d’ascenseur ? Pas vraiment mais leurs enfants ont une forte probabilité de conserver le même rang qu’eux. Au pire, ils prendront l’escalier pour descendre d’un étage, mais pas l’ascenseur pour dégringoler au rez-de-chaussée…

Surtout, un jeune issu d’un milieu défavorisé, diplômé d’une maîtrise par exemple, peut-il espérer le même type de situation, puis d’évolution de carrière, qu’un jeune ayant le même diplôme mais venant d’un milieu aisé ? La transformation du diplôme en emploi puis en carrière dépend très fortement de l’origine sociale de la personne. Pourtant, dans le cas de jeunes en situation de réussite scolaire, obtenant des diplômes et des formations Bac +2, 3, 4 ou 5 ans, l’ascenseur social fonctionne indéniablement.

Qu’en est il en cas d’échec scolaire ? Si un jeune étudiant ou une jeune étudiante rate sa première année de médecine, selon qu’il ou elle soit issu d’un milieu populaire ou d’un milieu aisé, la suite de son échec ne sera pas la même. S’il ou elle est aisé, ses parents l’enverront tenter une nouvelle première année de médecine à Madrid ou Bucarest, ou une école de commerce privée. S’il ou elle vient d’un milieu populaire, peut-il, peut-elle envisager ces choix très onéreux ou optera-t-il, optera-t-elle pour une formation d’infirmier ou pour un CAP pâtissier ? S’il ou elle n’arrive pas au baccalauréat, cela arrive encore en 2022, s’il ou elle est aisé, ses parents pourront lui ouvrir un commerce, si le père est garagiste, il ou elle pourra travailler avec le père, si la mère est coiffeuse, le fils ou la fille pourra reprendre le salon ou y ajouter un salon de soins esthétiques ; si le père est chauffeur de taxi, le fils ou la fille pourra partager la licence avec le père. Mais si les parents parlent difficilement le français, connaissent mal la culture française et pas du tout son système éducatif, que peut-il, que peut-elle espérer comme ascension sociale ?

Je précise il ou elle à chaque fois, car en fait, trop souvent, le choix est encore lié au genre. Combien de filles feront le choix de devenir mécanicienne, combien de garçons celui d’être puériculteur ? Même pour les meilleures élèves : combien de filles choisissent d’entrer en classes préparatoires aux Grandes Ecoles Scientifiques ? trop peu. Lorsque les filles excellent en sciences, elles choisissent de faire Médecine…

Le rôle de l’Education Nationale est d’augmenter le champ des possibles, d’éveiller les enfants, leur permettre de s’épanouir par l’éducation, et bien sûr d’orienter les élèves en fonction de leurs capacités, quel que soit leur genre. Le rôle de l’Etat est de diminuer la part des inégalités sociales dans le choix des formations et des orientations. L’Education Nationale remplit en grande partie sa tâche, certainement pas suffisamment, mais félicitons néanmoins la très grande partie des enseignants. Souvent, ils accomplissent leur mission dans des conditions de moins en moins faciles. En relatif par rapport à d’autres professions, leur pouvoir d’achat a régressé et les conditions matérielles de l’exercice de leur métier s’est détérioré depuis 30 ans. Moins payés, en relatif, ils sont moins considérés dans un monde où les revenus, plus que la fonction sociale, classent les gens.

Ajoutons à cela des parents d’élèves qui, dans quelques territoires, ne partagent pas la même culture que les enseignants, des parents qui ne comprennent pas que le rôle de l’Ecole n’est pas, pas seulement, de former leur fils à la plomberie ou à la boulangerie, ou leur fille à la couture ou à la puériculture, mais aussi de leur permettre de s’épanouir, voire de s’émanciper. Plaçons une étincelle, la volonté de quelques groupuscules politiques ou mafieux qui utilisent la religion ou la culture pour prendre le pouvoir dans certaines cités ou pour développer leur trafic. Nous avons alors les principaux composants des Territoires Perdus de la République.

Les Territoires Perdus de la République est un ouvrage collectif sorti en 2002, sous la direction de Georges Bensoussan. C’est un livre fondamental pour comprendre les dérives antisémites, racistes, sexistes dans le milieu scolaire dans certaines banlieues de grandes villes. Depuis 2002, malgré les attentats de 2012 perpétrés par Merah, malgré les attentats du 13 novembre et du 7 janvier 2015, malgré le massacre du Bataclan, la tuerie dans les locaux de Charlie Hebdo ou dans le supermarché Hypercacher, malheureusement rien ou si peu a été fait.

Relisez les Territoires Perdus de la République, tout y était, tout y est.

Mais ce n’est pas dû à l’Ecole, ce n’est pas dû à l’ascenseur social. Cela me semble essentiellement dû à la mauvaise intégration de la population musulmane, aux tabous, aux non-dits sur l’islam et sur la population musulmane et au recul de l’Etat dans la défense d’une des valeurs fondamentales de la République Française, la Laïcité.

Mais l’ascenseur social existe toujours et fonctionne bien, il suffit de l’utiliser et d’appuyer sur le bouton !

 

Patrick Pilcer

Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers

 

Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers
Patrick Pilcer, Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers