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13H00 - mercredi 2 mars 2022

Trafic de stupéfiant : le cas du Portugal, un exemple à suivre ?

 

Female drug dealer sells weeds to man inside the car.

La lutte contre le trafic de drogue en France depuis le début des années 2000 a pu sembler chaotique, politisée mais surtout, inefficace. La France était le pays de l’Union européenne qui comptait le plus d’usagers de drogues illicites en 2020, bien loin devant le Portugal, l’un des derniers pays du classement. Le Portugal mène depuis vingt ans une lutte intelligente contre l’usage et le trafic de substances illicites dans sa société, pour s’ériger aujourd’hui en véritable modèle européen. Comment les Lusitaniens ont-ils réussi leur pari de contrôler l’usage de drogues sur leur territoire ?

À la fin de la dictature fasciste de Salazar, le Portugal connaît une hausse significative de la consommation de drogues, notamment l’héroïne et les drogues de synthèse. Selon l’Institut Médico-légal de Lisbonne en 1987, le nombre de Portugais héroïnomanes s’élève à 30 000, et dépasse les 100 000 Portugais en 1994. La crise est telle que la société civile se mobilise pour « assainir » le pays. La promulgation de la loi 30/2000 le 29 novembre 2000, en faveur de l’éradication de la toxicomanie dans le pays, a été le pilier de 20 ans de lutte antidrogue.

La loi décriminalise l’usage de drogues et la consommation, tandis que l’acquisition et la détention de petites quantités de stupéfiants ne sont plus des infractions pénales depuis 2000. Désormais, les pouvoirs publics n’incriminent que le trafic et la vente de stupéfiants. Un système de « jours de consommation » est instauré, afin d’évaluer la détention à des fins personnelles ou à des fins de trafic. La détention aux fins personnelles se solde par une amende, mais la seconde détention peut conduire à 4 à 12 ans d’emprisonnement. La peine peut être allégée en fonction du statut social et financier de l’usager, ainsi que de son parcours de soins.

Des commissions intelligentes et une distinction répression/santé salvatrice

En 2002, pour accompagner les toxicomanes du pays, des commissions de dissuasion de la toxicomanie (CDT), rattachées au ministère de la Santé et non plus de la justice, sont créées. Elles sont chargées de fournir des solutions et des soins, ainsi qu’un soutien psychologique, aux usagers.

Le mot d’ordre est simple : plus de soins pour moins de peines, et une réponse graduée en fonction de la consommation des toxicomanes. Pour la première interpellation, ils sont conduits au commissariat pour vérifier que la quantité détenue se situe en-deçà du seuil toléré. Si la quantité retrouvée ne dépasse pas la limite légale, l’usager doit se présenter, sous 72 heures, devant une commission de dissuasion de la toxicomanie (CDT). La commission peut alors décider de lui imposer une amende allant de 25 à 150 euros). Elle est présidée par un professionnel du droit, qui est lui-même conseillé par des professionnels de santé et des travailleurs sociaux. Ils ont pour rôle d’évaluer la consommation des usagers après plusieurs entretiens individuels, de les orienter en fonction de leurs besoins spécifiques, et peuvent prononcer des sanctions d’interdiction d’exercice d’une profession. Entre 2001 et 2017, 93% des usagers convoqués se sont rendus à tous leurs rendez-vous.

Si la toxicomanie d’un individu est jugée problématique ou critique, la procédure est suspendue ou peut conduire à des sanctions administratives. Pour une pratique « modérée », une intervention brève peut être proposée qui aura le choix de l’accepter ou non. L’intervention inclut une aide psychologique (appelée counseling), afin que la personne puisse sortir de sa maladie. Si le risque de dépendance est « élevé », le consommateur peut être orienté vers un service de traitement spécialisé, toujours sans obligation.

Distinguer le consommateur non-dépendant du dépendant pour combattre la consommation

Résultat, en 20 ans de législation, le niveau de consommation de drogues au Portugal a réussi à se maintenir sous la moyenne européenne, peu importe la substance concernée. Le taux de consommateurs quotidiens de psychotropes, alcool et tabac a largement diminué en 20 ans. Les prisons ont été désengorgées, allégeant le travail des acteurs du système pénal. Les Portugais restent comme les autres Européens, et des fumeurs de cannabis se retrouvent dans toutes les classes d’âge. Le taux de mortalité relatif à l’usage de drogues au Portugal est également le plus faible d’Europe, grâce aux commissions de dissuasion et aux centres de soins. Autre effet bénéfique, le recul du Sida dans le pays, du fait d’une baisse généralisée du partage de seringues entre usagers. Ainsi, le nombre de Sidéens chez les injecteurs de drogues est passé de 518 personnes en 2000 à 13 personnes en 2019. Un schéma similaire est observable pour les cas d’hépatite B et C. Quant au trafic, il a fortement été impacté par la loi, et plus particulièrement l’héroïne. Selon les statistiques du SICAD, en 20 ans, une baisse de 52% de la quantité annuelle d’héroïne saisie a été constatée. Le Portugal demeure toutefois une porte d’entrée pour le trafic de cannabis, destiné à la France et au reste de l’Europe.

Maud Baheng Daizey