La chronique de Jean-Philippe de Garate
15H49 - mardi 14 décembre 2021

Premier piège, et pas le moindre

 

Une des causes de la distance que Valérie Pécresse avait prise avec Les Républicains était connue : ce parti semblait attirer sur ses dirigeants, tel un aimant, les procédures pénales à répétition. C’est simple : ça n’arrêtait pas. On ne va pas reprendre ici la liste des affaires — savamment égrenées semestre après semestre par la machine politico-judiciaire — qui semblaient, appesantissant encore et encore une ancre déjà lourde, interdire au « bateau de la droite républicaine » de reprendre le large. « Libres », le micro-parti de Valérie Pécresse ? Tout un programme résumé en un mot. Certes, être libre constitue un préalable non négociable pour un vrai Républicain, mais le retour de Valérie Pécresse vers LR, son élection par les militants de ce Parti renvoie les uns et les autres à une analyse nécessaire de l’ensemble. Reprendre une entreprise, c’est en assumer les comptes, tous les comptes. Et les mécomptes. Rejouer, surjouer Charles de Gaulle, Georges Pompidou ou Jacques Chirac serait improductif : nous avons changé, non de période, voire d’époque, mais d’âge.

Et nous vivons un temps sans pardon.

Ce qui est à proprement parler stupéfiant, c’est la facilité avec laquelle des hommes comme Fillon, Sarkozy, d’autres encore, avaient été abandonnés. Par à peu près tout le monde, les mots d’amitié n’engageant pas. Une armée n’abandonne pas ses généraux blessés. Elle se bat pour les récupérer. Tous.

C’était en outre méconnaitre gravement l’ennemi. Quand on connait un peu le fonctionnement de la machine judiciaire, son absolue inféodation à certains modes de pensée et d’agir, sa politisation, cela demeurera un sujet d’étonnement que des machineries montées de toutes pièces en affaires graves n’aient pas éveillé chez des femmes et hommes politiques intelligents, non pas seulement le démontage pièce par pièce ces affaires, mais d’abord, mais surtout, une réflexion sur l’architecture judiciaire, la confusion des genres, le rôle de cabinets noirs, et déterminer avec précision en quoi consistait la nature de la « malédiction » frappant Sarkozy, Fillon, Woerth, la liste est longue. Il fallait et il faut s’acharner — oui, s’acharner — à faire sauter la clef d’ogive qui soutient cette géhenne. C’était pourtant simple. Il fallait hier une défense de rupture, qui a gravement manqué, il faudra demain des procès de réhabilitation menés par des juges élus au suffrage universel. Et faire désormais bloc derrière les « pestiférés », Sarkozy et les autres, acculés hier à agiter leur mince crécelle dans leur désert sans jamais bénéficier de l’arrivée massive au combat de régiments libérateurs.

Personne ne semble avoir compris, en tout cas personne n’a eu le courage de constater ceci : ce qu’on nous présente comme des délits sont de pures constructions. « Donnez-moi deux lignes d’un homme et je le ferai condamner à mort »… Les logements de fonction avant-hier, le lobbying parlementaire et les petits arrangements des membres — quasiment tous — des assemblées, les investissements que tel milliardaire — qui de surcroît a bénéficié d’un détournement de procédure revendiqué par un de nos ennemis du syndicat de la magistrature et autres jospino -hollando-macroniens — ne sont rien. Ils ne sont rien ! À aucun moment, la République n’a été en danger parce qu’un quidam s’amusait à envoyer des vestes à Fillon. Quand on prend la peine d’un minimum de recul — ce qui démontre que « la justice » n’en a pas dans ces affaires politiques — on se demande par quelle aberration des gamineries d’un tel niveau ont pu ainsi dévoyer une élection présidentielle. Ce dévoiement, lui, s’est avéré autrement gravissime.

Il faut le répéter et le répéter encore : le droit n’est pas une donnée, encore moins une valeur en soi, et la manipulation des procédures un art que l’auteur de ces lignes a pu suivre en direct.

Les travaux qui ont pu être menés les années passées autour de la candidate désormais légitime du Parti péchaient par ce travers de l’oubli. Car les mêmes causes produiront, n’en doutez pas un instant, les mêmes effets. Il est intelligent d’affecter des bâtiments administratifs désaffectés aux prisonniers à de courtes peines — des dizaines de milliers —, de trouver ici et là d’autres rustines, et après tout ne pas s’interdire l’habile bricolage, le système D demeurant peut-être ce qui fonctionne le mieux dans le pays. Mais la faute — oui, la faute — consisterait à s’abstenir d’une refonte d’un système judiciaire qui, parce qu’encore une fois, les priorités semblent ailleurs, serait bâillonné par l’épandage d’une rallonge budgétaire. La justice fait mal aux Français, la justice fait peur aux politiques, qui en ignore le fonctionnement — il est vrai singulier —, et cette Justice doit sans délai être ramenée à ce qu’elle est, et à rien d’autre. C’est-à-dire « re-installée », dans sa grandeur.

La justice, ce n’est pas de l’argent, ni « le budget du siècle » qui disparaîtrait comme l’eau dans une cuvette trouée. Trouée comme l’effroyable organisation de l’actuel ministère, dont l’organigramme officiel, bien propre sur lui, masque loges et corridors, passages clandestins et chausse-trappes. Cette organisation, cette masure vétuste, doit être abattue. Ce n’est pas la mesure qui est radicale, c’est le niveau inimaginable qui a été atteint de « mis-organisation » qui l’est. Radicalement intolérable. Et attentatoire à la valeur de Justice. La justice est une grande chose qu’il ne faut pas laisser entre des mains impropres.

Le piège pour Valérie Pécresse serait de demeurer bonne élève des bonnes écoles et ne pas vouloir paraître « excessive ». Le général de Gaulle, soldat de métier, s’écria un jour : « L’armée, je l’emmerde » (en français dans le texte). Et puisqu’on n’a que son nom à la bouche, celui du fondateur de la cinquième république, rappelons le grand principe gaulliste : ne jamais inverser les priorités ! La différence entre un bon président de la République et un nul qu’on oubliera — mais qui aura fait mal au pays, l’archétype en étant Hollande —, c’est que le bon inspire l’administration, et pas le contraire. Rien de nouveau dans le pays de Courteline… et Marcel Aymé.

On nous a dit par exemple que le regroupement peu amène entre gendarmes et policiers rendrait impossible que les gardiens de prison soient versés dans la police, comme ils le souhaitent (depuis… 1911). Mais ce n’est pas le problème ! La justice doit être déchargée de missions qui ne sont pas les siennes. Inspecter inopinément les prisons est une fonction de magistrat, les gérer — et de quelle manière ! Strasbourg nous le rappelle depuis des lustres — ne l’est pas. Le budget et l’emprise de l’administration pénitentiaire plombent le ministère de la Justice, ministère qui ne se réduit pas à l’exécution des peines, c’est un euphémisme. Et gendarmes et policiers continueront à exécuter place Beauvau ce qu’ils ont à faire, découvrant à l’occasion l’utilité de l’autre corps, notamment en matière de renseignement, terroriste ou crapuleux, dans les prisons.

Quel que soit le problème judiciaire, de quelle manière qu’on le tourne, on en parvient toujours à la même clef d’ogive. Que vous parliez de justice civile, copropriété, contrats, responsabilité professionnelle, ou de l’énorme contentieux familial (une affaire sur deux), de l’enfance en danger, de justice pénale, outre des commissions en tous genres, des professions auxiliaires telles le Barreau, tout ramène, après il est vrai un raisonnement que peu d’énarques suivent jusqu’au bout, à une clef d’ogive : la légitimité et la fin de l’inconséquence. Avec cette donnée essentielle : les magistrats inconséquents ne savent pas même qu’ils le sont. C’est dire.

Quant à la légitimité, la seule reconnue en démocratie, ce n’est pas la « technique » (et là encore, combien de jugements et d’arrêts, ni faits ni à faire), c’est l’élection par le peuple. Le souverain. Celui qui choisira et confortera sa première présidente, si elle décide de faire reposer sa justice sur lui : le peuple souverain.

 

Jean-Philippe de Garate