Droits pratiques
16H53 - jeudi 15 juillet 2021

Les barreaux du Barreau

 

Depuis toujours, le pouvoir d’Etat veut faire taire les avocats. La meilleure manière trouvée par nos républiques a été d’offrir le pouvoir à tel ou tel d’entre eux et on ne compte plus les Sarkozy Mitterrand et autres Gambetta.

Léon Gambetta (1838-1882) était borgne de l’œil droit et, on l’a oublié, n’acceptait d’être pris en photo que de profil gauche ou de trois-quarts. C’est la meilleure image qu’on puisse donner du Barreau français. Sans s’arrêter à la poutre – dans le cas de Gambetta, un éclat d’acier – que chacun peut avoir dans son œil, observons une donnée totalement ignorée, j’en témoigne, de la population, voire de la majeure partie des juristes.

Le Barreau fait l’objet de deux tutelles. Dit « comme ça », cela peut paraître énorme. Quoi, sous un régime libéral, mondialisé, les avocats français ne seraient ni libres ni indépendants ? Eh bien oui. C’est la stricte réalité. Je ne parle pas ici du contrôle légitime du Bâtonnier élu, et du Conseil de l’Ordre également élu, mais de la tutelle exercée par l’Accusation et par le ministère.

Quand on a vu, comme je les ai vus, les dossiers individuels des avocats constitués dans le bureau des professions de la direction des affaires civiles du ministère de la place Vendôme, on peut se dire que ces dossiers peuvent constituer aussi un outil de protection pour chaque avocat, le pouvoir exécutif ayant sous la main les renseignements utiles, les singularités de tel ou tel. L’argument qu’on nous sert le plus souvent se fonde sur la notion de « famille judiciaire » : disposer de données peut s’avérer utile en cas d’agression contre un avocat. Lorsque Henri Leclerc, avocat depuis 1955 à Paris, fut l’objet d’une agression physique à La Motte-du-Caire le 16 juin 1989, lors de la reconstitution d’un crime ordonnée par le juge d’instruction, le ministre d’alors réagit immédiatement.

Mais en réalité, on ne voit pas l’intérêt de ces dossiers. Le sophisme est masqué par les bonnes intentions. Car les agressions d’avocats, pour s’en tenir à cet exemple, sont parfaitement connues de la police, des services d’urgence, etc. qu’il suffit de questionner. Pourquoi donc ces dossiers individuels ? Laissons la réponse au lecteur.

La deuxième tutelle demeure, elle, la plus effarante. Les avocats sont placés sous le regard du parquet général de chaque Cour d’appel. Ainsi, une demande d’inscription d’un membre de profession libérale, d’une activité indépendante, d’une confrérie sans hiérarchie – le Bâtonnier étant un avocat parmi les autres – doit recevoir « le feu vert » de cet antre de l’Accusation, ce monde hiérarchisé à l’extrême, une administration soumise à un membre du gouvernement via la direction des affaires criminelles. 

Apparemment, cette double tutelle ne choque personne. Jacques Vergès (1924/5- 2013), qui évoquait en pleine audience, avec l’insolence sardonique dont il était le maître, l’incongruité d’une telle situation, la curiosité de cet anachronisme, est bien mort. Et d’autres avec lui. Lors des débats des différentes assemblées, constituante, législative, de la révolution (1789-91), nos devanciers, qui avaient la tête bien faite et les pieds sur terre, pas encore évadés de la glèbe pour rejoindre les sophismes de nombre de nos contemporains, avaient écarté toute tutelle. Mais cela ne dura pas et la Terreur, exercée par … l’avocat Robespierre, se passa allègrement des avocats. Les têtes tombaient comme des tuiles, à commencer par celles des ex-confrères du Tyran. Si Napoléon rétablit les « avoués », il annonça : « S’ils ouvrent la bouche (pour critiquer le régime), je leur coupe la langue ».

Depuis, rien n’a changé. L’histoire du Barreau a suivi des courbes ondulantes, et si la troisième république ne fut pas aussi libérale qu’on peut le penser, du moins des hommes comme Gambetta s’approchèrent de cette suppression, s’inscrivant dans la même ligne que l’élection des juges et l’avènement d’une société républicaine.

Mais non ! Rien ne bouge pas d’un centimètre dans notre France, pas seulement immobile, mais encalminée jusqu’à la ligne de flottaison. Qu’un avocat trop talentueux (120 acquittements) devienne Garde des sceaux, on lui trouvera fatalement – c’était presque inscrit dans son décret de nomination – tel ou tel manquement pour qu’il sombre. Le Barreau existe… oui, certes, mais certains l’imaginent, ne le dissocient pas de ses clients : derrière les barreaux. 

 

 

Jean-Philippe de Garate

 

 

 

 

 

 

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