Droits pratiques
13H44 - mardi 2 novembre 2021

Le futur président de la République pourra-t-il s’affranchir du droit européen ? La chronique droits pratiques de Raymond Taube

 

Les juristes sont souvent naïfs. Ils pensent que le droit offre une protection inaltérable des droits des personnes. Les acquis juridiques, a fortiori ceux inscrits dans le marbre de la Constitution et dans les traités internationaux, seraient irréversibles et s’imposeraient à tout dirigeant politique. Naïveté, effectivement !

Une loi peut facilement être abrogée. Sous certaines conditions, il est possible de modifier la Constitution, voire d’un changer. En revanche, il n’est pas question d’amender unilatéralement un traité international ou multilatéral. Mais la primauté du droit international dépend du bon vouloir des États. Personne n’a pu empêcher Donald Trump de dénoncer les accords de Paris en matière climatique (la COP 21). Personne ne pourrait empêcher Éric Zemmour ou Marine Le Pen d’engager la France dans une procédure de Frexit. Mais telle ne semble pas être leur intention. Du reste, ce serait la fin de l’UE et sans doute de l’Euro, avec à la clé un cataclysme économique et financier. Plus vraisemblable serait qu’un régime d’extrême droite décide de ne plus tenir compte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, garante de l’application des traités de l’UE et des décisions qui en découlent (directives et règlements de la Commission européenne). Ce serait également une forme d’implosion de l’UE, car rappelons-le, il ne peut y avoir d’Europe politique et juridique sans la France. Ne subsisterait alors, pour un certain temps du moins, que l’Europe économique et surtout monétaire.

Il en va de même de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, garante du respect du texte le plus important que nous ayons en commun sur le vieux continent : la Convention européenne des droits de l’Homme. Contrairement à un mensonge répandu, la cour (qui siège à Strasbourg) sait faire montre de souplesse lorsqu’il s’agit de permettre aux États de s’adapter aux évolutions et périls auxquels ils sont confrontés. Et d’ailleurs, des pays comme la Turquie ou la Russie, signataires de la convention européenne, s’en accommodent fort bien. En d’autres termes, on peut contrôler l’immigration et lutter contre la délinquance ou l’islamisme radical dans le cadre de ce texte. Le dénoncer serait un très mauvais signe donné par la France, pays qui se veut le phare des droits de l’Homme dans le monde.

Alors oui, dans l’absolu, la France peut s’affranchir du droit européen, car c’est bien de la chose politique que découle le droit (et non l’inverse, ce que certains juges semblent avoir oublié), mais renier les valeurs fondamentales de la République et de l’Europe reviendrait à basculer dans une autre dimension, qui n’est plus celle de l’État de droit, voire de la démocratie. D’aucuns rétorqueraient qu’il vaut mieux un roi sage qu’un despote élu. Sauf qu’il n’y a que le roi (ou le dictateur) qui soit autorisé à se prononcer sur son degré de sagesse !

Le futur candidat à la présidentielle Éric Zemmour envisage d’aller plus loin, en s’affranchissant au moins partiellement du droit français lorsqu’il contrarie ses choix politiques. Ainsi, sans toucher à la loi ou à la Constitution, il considèrerait comme nulles et non avenues des décisions de justice, même nationales, qui ne lui conviendraient pas, ce qui techniquement poserait la question de leur exécution forcée, a fortiori en matière pénale. Les forces de police obéiraient-elles aux juges ou au seul gouvernement ? Pour différentes raisons, bonnes ou mauvaises, les Français n’ont plus vraiment confiance dans l’autorité judiciaire, laquelle refuse obstinément d’en assumer une once de responsabilité. C’est toujours la faute des autres. Si une réforme s’impose, et s’il est urgent que le budget de la justice soit à la hauteur de sa tâche immense, ce serait une folie que de renier son autorité. Il n’y a qu’une alternative à la l’État de droit : la dictature. Éric Zemmour fustige celle des juges, ce qui est largement caricatural (mais avec une part de vérité tout de même). Mais que deviendrait la France si le pouvoir exécutif n’avait aucun compte à rendre ni à appliquer les lois votées par le Parlement ? Nul n’ignore la réponse à cette question !

 

Raymond Taube

Directeur de l’IDP – Institut de Droit Pratique / rédacteur en chef d’Opinion Internationale
Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique