La chronique de Jean-Philippe de Garate
11H35 - samedi 24 avril 2021

Bourgeoisie nationale. La chronique d’une nouvelle époque de Jean-Philippe de Garate

 

Bourgeois : c’est devenu, sinon une insulte, à tout le moins une opinion dépréciative et en réalité, le mot a rarement cessé d’être péjoratif. Pour preuve, la peinture célèbre, terminée – après quelles difficultés ! – en 1832, par Jean-Dominique Ingres figurant Louis-François Bertin, dit Bertin l’aîné (1766-1841), le maître du Journal des Débats, la bible de la presse bien-pensante de la monarchie bourgeoise (1830-48). La pose même de Bertin, voulue par Ingres – qui mit son modèle en fureur – s’avère celle d’un homme pansu, ventru, qui mange au-delà de sa faim, avec des mains qui ressemblent fâcheusement à des serres d’oiseau de proie : un rapace. L’âpreté au gain, l’accumulation du capital sont en quelque sorte incarnées par ce nouvel être dominant, le capitaliste. Dieu et l’honneur ne sont plus premiers, la noblesse écartée, le roi des Français – ou demain l’empereur Napoléon III – ne porte plus qu’une couronne bien branlante.

Pire ! Sorti de la bourgeoisie, pas de salut ! Le pauvre, lui, n’est plus l’égal du Christ sur la via dolorosa, mais un îlote, un étranger, une variable d’ajustement dans les calculs industriel et manufacturier. Il ne possède rien, il n’a rien, sinon une montre pour être à l’heure à la mine, au chantier, à la fabrique, demain à l’usine.

La figuration du bourgeois impitoyable n’a pas cessé, et on peut trouver partout, notamment en peinture, de Daumier à Grosz, des cabinets entiers de caricatures cruelles. Une littérature de droite de gauche, de Barbey d’Aurevilly à Zola, a vomi cette classe sociale, sans réelle élégance, sans légitimité autre que celle de la possession de l’argent, en oubliant ce qu’elle avait apporté au pays dans nombre de domaines, de la terre à la mine, de l’industrie à l’Académie des sciences, de la médecine aux Ponts et Chaussées.

Mais c’est bien sûr, Karl Marx (1818-83) qui, en systématisant l’opposition « dialectique » entre classe ouvrière – prolétariat – et bourgeoisie, a permis dans les pays communistes la destruction, en réalité bien physique, de la bourgeoisie.

Dieu merci, le temps passe et permet de replacer les choses en perspective.

  1. Les pays communistes comme l’ex-Union soviétique et la Chine ont-ils tiré profit de la destruction physique de leur bourgeoisie nationale ?

Non ! La réponse est tellement évidente ! Et la meilleure preuve en est le snobisme, qui s’analyse en Angleterre, en France, comme un désir d’élévation des bourgeois à un idéal aristocratique. On peut préférer Proust aux beuveries staliniennes et aux « bonds en avant » (plutôt sauts en arrière) maoïstes, sans oublier -pour les donneurs de leçons- les massacres insensés des deux régimes frères, ni leur passif perdurant en termes de libertés. La bourgeoisie, assise, elle, sur l’acharnement au travail, à une certaine austérité de vie, au savoir, permet l’accumulation des richesses et l’investissement industriel, financier, mais aussi, la recherche, l’invention puis le développement, des chemins de fer (fin des années 1830) dès Guizot (1787-1874), puis de l’aviation, de la voiture, et ailleurs, du téléphone, de l’électricité… Outre, on l’oublie, les premières écoles primaires, la sécurité des routes, l’éclairage des villes, la sûreté des transactions. Et, « tout petit détail », le développement des droits des gens que les marxistes déprécient en « libertés formelles ». Parce qu’ils les ont systématiquement détruites, eux.

  1. Par une sorte d’osmose avec les Ordres d’ancien régime, la bourgeoisie française s’est emparée de leur attachement au pays et à la religion dont il procède. Mais une rupture, brutale, un déchirement rapide sont intervenus, assez récemment.

L’objet de cette chronique n’est pas de rappeler des faits connus mais pour autant si volontairement oubliés ! Qu’est-ce qu’un bobo ? Un bourgeois bohême ? Bourgeois bohême : ça ne veut rien dire !

Un bobo, ce n’est qu’un vieillard travesti en jeune, avec des manies de vieux, dans son petit périmètre sécurisé (hier faisant son jogging à Bali ou Boston, aujourd’hui confiné, non dans l’immeuble de pierre de taille, mais chez papa-maman dans le Lubéron), avec ses petits magasins prétendument « bios », ses petits parcours sociaux, sans la moindre mixité sociale ! Paris est devenue la ville dont sont chassés les étrangers, et l’une des métropoles les plus sélectives. Il suffit de lire les chiffres. Bohême, parce qu’on fume autre chose que du tabac ? Parce qu’on joue les cyclistes ? Avec un taux de mortalité des piétons et autres passagers de bus heurtés dans les angles morts, à un point tel que la mairie ne se précipite pas de les publier… Paris n’est pas Amsterdam. Bourgeois bohême, ça ne veut décidément rien dire ! mal élevé, oui, narcissique, oui, mais surtout, tellement indifférent au monde ! Le contraire des bourgeois lisant Jules Verne et colonisant le monde d’une vision éclairée.

 

Le sommet atteint par cette « bourgeoisie » dénationalisée est son indifférence face à la destruction de la classe ouvrière nationale et surtout insensible, à la constitution d’une nouvelle catégorie de plébéiens, issus parfois de son propre sein. Dans un remarquable article «  Une France (qui reste) ouvrière » paru dans le quotidien Le Monde du 22 avril 2021, Philippe Askenazy, chercheur (CNRS, Normale-sup, EHESS) démontre  que les « autonomie et responsabilités (sont) de façade (alors que le) contrôle (est) permanent » : les mails à répétition, les réunions en présentiel ou distanciel, les notes de service, les horaires déstructurés, les messages incessants sur portable, les contrats de travail qui n’en sont plus, le portage salarial et l’effondrement de la pratique syndicale, les transports colonisés par les écrans plats qui asservissent encore, enfin, tout ce que l’on sait du lien de  préposition devenu permanent, diurne, nocturne, et qui affecte des franges entières de travailleurs, jeunes moins jeunes, parisiens, banlieusards, provinciaux peu importe MAIS surtout ! Bombardés « managers » ou sous-directeurs adjoints mais trimant comme des techniciens de surface, bref la plèbe réelle est, elle, en pleine reconstitution. Et ces plébéiens s’imaginent bobos…

La bourgeoisie nationale est nécessaire, contrairement à toutes les bêtises qu’on a pu égrener sur son compte dans notre monde de sophistes. Elle constitue un des maillons nécessaires à la structuration du « corps social » – expression parlante – et donc, à la protection de la classe ouvrière, de notre nouvelle plèbe. Ça peut paraître bizarre, mais c’est ainsi.

 

Jean-Philippe de Garate

 

 

 

 

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