Afriques demain
06H45 - jeudi 7 mai 2020

Situation de la pandémie de Covid-19 en Afrique : le non-sens d’une approche continentale. L’analyse de Rémi Bourgarel

 

Dans le prolongement de la tribune « Covid-19 : Et pendant ce temps-là en Afrique » co-signée avec Patrice Fonlladosa, publiée en fin de semaine dernière à la une d’Opinion Internationale, voici une série de trois analyses de Rémi Bourgarel, Président de Services for Environment, qui décline plus en détail la complexité de cette crise inédite du coronavirus en Afrique.

Hier : « : La complexité d’une crise multidimensionnelle ».

Aujourd’hui : le non-sens d’une approche continentale.

 

Le 11 mars dernier, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, déclarait en conférence de presse à Genève « Nous avons estimé que le Covid-19 peut être caractérisé comme une pandémie », c’est-à-dire reconnaissait une circulation du virus à l’échelle planétaire, devenue incontrôlable.

En Afrique, le premier cas importé a été diagnostiqué en Egypte le 14 février. Aujourd’hui, le continent compte 37.000 cas et 1600 décès enregistrés.

 

Quelle répartition géographique ?

A l’échelle continentale, la moitié des cas provient de 4 pays (Egypte, Afrique du Sud, Algérie et Maroc), 75% des cas sont recensés dans 10 pays, les quatre premiers cités, plus un pays d’Afrique Centrale, 4 pays d’Afrique de l’Ouest et Djibouti. Tous ces pays constituent quasiment autant de foyers indépendants de développement du virus.

Rapportés à la population totale africaine, ces quatre premiers pays représentent 18% de la population totale du continent, et les 10 pays les plus atteints en représentent 40%. Cela signifie-t-il a contrario que 60% de la population du continent serait bien moins touchée ?

Au-delà des quatre principaux foyers cités plus haut, la Dr Matshidiso Moeti, Directrice régionale de l’OMS Afrique s’inquiète maintenant (déclaration du 30 avril) : « Nous sommes très préoccupés par la situation en Afrique de l’Ouest où nous voyons les cas communautaires s’étendre dans un nombre important de pays ». Quel(s) facteur(s) à l’origine de ce regain particulier dans cette région ?

Si sans trop de surprise compte tenu des densités de population et de l’intensité des échanges internationaux, notamment avec la Chine et l’Europe, l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Algérie, le Maroc et le Nigeria sont aujourd’hui parmi les pays les plus touchés, pourquoi l’Ethiopie, le Kenya ou l’Angola par exemple sont-ils relativement épargnés (à ce jour) ?

Ces exemples de disparités régionales sont légions. Si l’on veut comprendre l’évolution de cette pandémie en Afrique, analyser ses conséquences et être en mesure de proposer les réponses adaptées, il faut s’affranchir de cette vision globale continentale et adopter un focus régional ou local et considérer les Afrique(s).

 

Une grande diversité de situations et de moyens de lutte

Un des éléments de réponse à la question de la disparité de l’évolution de la pandémie dans les différents pays tient bien sûr à la disparité des mesures de contention de la propagation du virus prises par chacun des pays, au-delà des premiers cas importés.

Si l’Union Africaine à travers ses organes de coopération, notamment l’Africa CDC (Center for Disease Control), l’organisme dirigé par le Dr John Nkengasong qui coordonne les réponses aux pandémies sur le continent, particulièrement en charge de la surveillance de l’évolution de la pandémie et des programmes de recherche clinique ou l’Africa COVID Task Force présidée par Tidjan Thiam chargée par l’Union Africaine de « trouver une solution coordonnée et continentale à la crise sanitaire du Coronavirus » travaillent à des schémas globaux de réponse intéressant tous les pays (le moratoire décidé par le G20 sur le paiement de la dette en est un exemple), les moyens opérationnels de lutte et les plans définis et mis en œuvre dans les pays sont d’une extrême diversité, à la fois dans le contenu des mesures, et dans la constance de l’effort.

Par exemple sur le confinement et la distanciation sociale, des mesures, à l’échelle d’un pays, ou de grandes villes ont été prises dès fin mars (en fait assez rapidement après les mises en confinement des pays d’Europe de l’Ouest et du Sud) par une quinzaine de pays : confinement total des populations au Maroc, en Afrique du Sud, au Kenya, alors que ce confinement est resté circonscrit aux seules grandes villes au Nigéria et Madagascar par exemple et que d’autres pays se sont limité à l’instauration de couvre-feux nocturnes et d’autres à la fermeture des écoles et universités.

D’autres exemples avec l’obligation de port du masque, ou, plus structurellement, des plans d’aide et de soutien aux populations les plus fragiles, à l’économie et aux entreprises. L’Afrique du Sud a rapidement mis en place un plan massif d’aide financière aux chômeurs, le Togo un plan de soutien aux entreprises et de solidarité, le Niger prend en charge les montants des tranches sociales des factures d’eau et d’électricité, etc.

Pour comprendre ces disparités de mesures, on peut tenter une approche démographique : certains pays sont très densément peuplés ou bien les habitants regroupés dans de grandes villes tandis que d’autre restent plutôt ruraux. Les limites d’une mesure de type confinement sont rapidement atteintes : celle-ci n’est pas d’un rapport coût/efficacité très favorable dans les pays à faible densité de population et impossible à mettre en œuvre dans les grandes mégapoles où les populations vivent dans une promiscuité rendant impossible toute mesure de distanciation sociale et vaine toute tentative de confinement : « Dehors, on meurt du virus, dedans, on meurt de faim » comme le disait sur France Culture récemment l’écrivain et journaliste David Gakunzi.

Et de fait, on assiste aujourd’hui à un relâchement spectaculaire de ces mesures de confinement devant l’impossibilité à les rendre effective, et les dégâts économiques et sociaux qu’elles engendrent.

On peut tenter une approche au regard de la robustesse des systèmes de santé : le nombre de lits de réanimation disponibles au Cameroun, en RDC ou à Djibouti, le nombre de médecins, l’équipement des hopiatux. Même rapporté à la population respective de ces pays, cet indicateur n’est pas pertinent.

On peut tenter une approche en comparant la résilience des économies et les marges de manœuvre budgétaire et/ou monétaire de chaque pays ou le poids du pouvoir politique en place.

En réalité, toutes ces approches ont de commun qu’elles conduisent à présenter chaque fois une carte différente de l’Afrique.

 

Coopération régionale et réponses sur mesure

De fait, maintenir dans le système d’analyse de l’évolution de la pandémie et surtout dans les plans de ripostes une vision continentale, conduit à des biais considérables, et à des abstractions si fortes qu’elles risquent de nous faire passer à côté de « singularités » (à l’échelle du continent), mais de « généralités » à l’échelle locale, à même de proposer une lecture facilitée de la situation et la mise en œuvre de mesures adaptées, donc efficaces.

C’est bien l’enjeu de l’articulation entre coopération régionale d’une part et plans d’action locaux.

Coopération, ou coordination ? La mission confiée par  Cyril Ramaphosa, président en exercice de l’Union africaine à Ngozi Okonjo-Iweala, Donald Kaberuka, Tidjane Thiam et Trevor Manuel a bien pour objet de « mobiliser le soutien international aux efforts de l’Afrique pour relever les défis économiques auxquels les pays africains seront confrontés à la suite de la pandémie de Covid-19 ». Et c’est en particulier fort de ce soutien que les plans de riposte de chaque pays peuvent voir le jour, en gagnant des marges de manœuvre budgétaires grâce à l’allègement (même provisoire) du fardeau de la dette et en bénéficiant d’aides spécifiques adaptées à chaque contexte.

Dans le même esprit, la BAD, la BOAD et de nombreuses autres institutions internationales ont élaboré des plans d’aide, et/ou coordonnent des actions locales. L’Africa CDC travaille aussi à développer la coopération entre les différents programmes de recherche engagés dans les pays.

Aujourd’hui, la coordination fonctionne. L’OMS en tête, les différentes agences onusiennes et les organisations régionales jouent leur rôle avec leurs moyens respectifs. Les gouvernements prennent des mesures et mettent en œuvre des plans de contention de circulation du virus, de riposte, de soutien.

Il manque à ce tableau malgré tous ces efforts l’échelon de la coopération et d’une plus grande solidarité (même si, ici et là, sont mise en scène quelques actions exemplaires). Il faut bien reconnaître que ce constat restera sans doute l’un des marqueurs à l’échelle mondiale de cette crise.

 

Rémi Bourgarel, Président de Services For Environment

Demain : La nécessaire inclusivité de la réponse