Christian Bartholmé, vous êtes le premier maire adjoint de la ville de Bobigny, et tête de liste pour les élections municipales dans la capitale de la Seine Saint-Denis. Vous êtes l’un des candidats les plus attaqués au niveau national [un livre réquisitoire est paru il y a trois semaines] vous accusant notamment d’être un des piliers du système Lagarde surnommé par Le Point d’islamo-centrisme. Pourquoi autant d’attaques ?
Christian Bartholmé : C’est une bonne question. Sans doute parce que depuis trente ans, je n’ai jamais nié que j’étais un ami personnel de Jean-Christophe Lagarde. Beaucoup de choses dans ce livre, si ce n’est la plupart, sont fausses.
Vous savez, je mène tranquillement ma campagne de terrain depuis des mois et je vois bien les réactions des électeurs. M’attaquer, c’est attaquer les Balbyniens et ils s’en offusquent comme moi. Ces attaques, certaines ignominieuses, n’ont pas empêché ma liste « Bobigny ensemble » de remplir les salles et de déployer une dynamique de campagne comme je n’en avais jamais vues. La liste que je conduis est composée de Balbyniens qui habitent ici, contrairement à certaines têtes de liste qui parlent de Bobigny et n’ont pas envie d’y habiter. Dans cette campagne municipale, nous représentons ceux qui veulent faire avancer la ville.
Les Balbyniens sont fiers de Bobigny et sont les dignes héritiers d’une longue histoire !
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Vous êtes accusés de communautarisme. Que répondez-vous ?
Bobigny, c’est la diversité, pas le communautarisme. Tous les jours, les 120 nationalités d’origine qui composent la ville, et la France d’aujourd’hui, se croisent et se côtoient, se retrouvent dans les événements comme cette campagne et plus particulièrement sur ma liste. Nous sommes fiers de notre diversité !
Vous savez, ces attaques reproduisent ces fantasmes d’un certain nombre d’intellectuels parisiens qui ont toujours dans l’idée que les loups sont aux portes de Paris et que bientôt ils vont être envahis. Bobigny, ce ne sont pas des loups, ce ne sont pas des voyous, ce ne sont pas des islamistes, mais des femmes et des hommes aux moyens modestes qui viennent de partout dans le monde. Oui il y a beaucoup de Maghrébins et beaucoup d’Africains d’Afrique noire qui sont Musulmans, mais aussi beaucoup d’Indiens, de Tamouls ou de chinois qui ne le sont pas. Il y a aussi la communauté catholique avec nos amis antillais et quelques protestants, comme moi.
Un protestant alsacien ?
Oui et vous savez la rigueur que cela sous-tend. J’étais la semaine dernière sur le chantier d’un nouveau temple protestant qui se construit à Bobigny à l’initiative de la communauté portugaise. L’ancienne municipalité parlait de « ville monde ». Moi, je préfère « Bobigny ensemble », car toutes ces femmes et tous ces hommes sont Français et fiers de l’être. Et ils vont le prouver en votant dimanche !
Le dernier sur votre liste électorale est Stéphane de Paoli, le maire sortant. Il avait réussi avec vous et d’autres il y a six ans à prendre Bobigny au parti communiste qui tenait la ville depuis 95 ans. L’enjeu de l’élection de dimanche – et des attaques que vous avez subies – n’est-il pas tout simplement : tourner définitivement la page de la banlieue rouge ?
C’est un enjeu majeur. On ne va pas parler de racisme intellectuel, ce serait attaquable, mais il y a forcément dans l’idée d’un certain nombre de gens qu’à partir du moment où vous êtes pauvre, immigré ou vivez dans une cité dortoir, vous êtes à gauche. Et bien non ! Ce n’est pas le cas, ça n’est plus le cas.
D’abord, parce qu’en 2014, le système communiste que l’on connaissait dans la plupart des villes de cette fameuse ceinture rouge parisienne était en bout de course. Ceux dont les communistes et affidées se voulaient les porte-parole, c’est-à-dire les plus faibles, les ouvriers, les employés ne se sentaient plus représentés par cette gauche.
Il y avait aussi un rejet personnel de Catherine Peyge, l’ancienne maire communiste de Bobigny qui, tiens, s’est montrée ces jours-ci avec ses amis communistes de Monsieur Abdel Sadi, à tel point que les troupes de ce dernier disent qu’elle n’est pas avec eux.
Abdel Sadi ?
Il est le représentant du parti communiste, l’héritier de lui-même puisqu’il était élu à Bobigny depuis plus de vingt ans. Il affirmait qu’en tant que premier adjoint il ne pouvait rien faire et on me reproche à moi, premier adjoint sortant, de tout faire. Je me suis simplement affirmé et j’ai veillé, avec Stéphane de Paoli, à ce que tous les engagements, je dis bien tous les engagements, de la mandature soient tenus !
C’est la bataille des premiers adjoints qui se joue ?
Exactement ! L’ancien premier adjoint, celui du siècle dernier, contre l’actuel premier adjoint.
Mais cette élection, c’est surtout la bataille des citoyens qui veulent être débarrassés des étiquettes politiques. Nous ne sommes pas dans nos banlieues otages de la gauche. Nous ne voulons plus être l’otage de la gauche. En plus, vous le savez bien, les citoyens adhèrent à un projet, à une équipe, bien plus qu’à une étiquette politique.
La grande différence entre l’opposition de gauche et ce que nous faisons depuis six ans, c’est qu’eux ont toujours eu une attitude paternaliste envers les « pauvres gens » alors que je dis exactement le contraire parce que j’ai grandi dans un milieu ouvrier en banlieue. Ce que nos habitants détestent le plus, c’est qu’on leur fasse l’aumône. Ils veulent être fiers de ce qu’ils font eux-mêmes pour leur famille, fiers de voir dans le regard de leurs enfants la reconnaissance de ce que font leurs parents. On ne l’obtient pas en vivant de l’aumône. La grande majorité des gens veulent vivre de leur travail. Pas de la solidarité. Je porte ce projet et les Balbyniens le savent !
Le Premier ministre Édouard Philippe est venu à Bobigny le 31 octobre dernier pour prononcer un grand discours sur la Seine Saint-Denis. Il a martelé que l’État serait aux côtés du département pour l’aider à se développer. Six mois après, en avez-vous récolté les premiers fruits ?
J’ai du respect pour Édouard Philippe. Avant même qu’il ne soit Premier ministre, j’ai eu l’occasion de parler avec lui dans des circonstances privées. Je pense qu’il est sincère et intègre, en plus il a l’expérience du terrain puisqu’il a été élu au Havre.
Ce que j’ai retenu de sa venue à Bobigny, c’est sans doute une volonté de bien faire, mais aussi et surtout des annonces et un « plan » qui nous ont déçus ici car ils ne comprennent pas ce que les Séquano-Dionysiens attendent. Ce que nous attendons, c’est simplement que nous soyons traités comme les autres Français et qu’en Seine Saint-Denis, il n’y ait pas moins d’enseignants ou de policiers qu’ailleurs en Île-de-France. Je pense que ce rendez-vous a été raté.
Rien qu’un exemple : avant d’annoncer que l’État, sur dix ans, allait contribuer à hauteur de vingt millions d’euros pour les équipements scolaires à Bobigny, il aurait peut-être dû aller voir l’ancien maire du Havre qu’il était pour lui demander ce que représentent vingt millions d’investissements. La ville de Bobigny, à elle seule, a mis ces six dernières années seize millions d’euros dans ses écoles. Et si on y ajoute le coût de la nouvelle école au bord du canal qui va ouvrir ses portes en septembre 2020, on est à vingt-cinq millions d’euros. Comment voulez-vous que l’élu que je suis se satisfasse d’un apport de vingt millions d’euros de l’État pendant dix ans alors que dans ma ville, j’en ai mis vingt-cinq en six ans ? Comment interpréter ce « geste » autrement que comme une aumône ? C’est un effort extrêmement faible. Divisez vingt millions par dix sur dix ans et les divisez par quarante villes, cela nous donne 50 000 euros par ville. 50 000 euros par ville, je n’en ai pas besoin ! C’est une maladresse. On sent de la bonne volonté, mais c’est une maladresse. Il eut été préférable qu’Édouard Philippe reprenne le rapport Borloo pour la Seine-Saint-Denis, mais Emmanuel Macron l’avait enterré le 23 mai 2018.
Concernant l’image de Bobigny, est-ce que Bobigny est seulement une ville dortoir ?
Non, Bobigny est tout le contraire d’une ville dortoir. C’est la ville des contrastes. Je passe ma campagne à dire aux Balbyniens qu’ils vivent dans une ville qui a plus d’atouts que bien des villes du département et que beaucoup de villes en Île-de-France.
Nos atouts sont nombreux : au niveau des moyens de transport et des capacités de formation. Nous avons le plus grand centre d’apprentissage d’Île-de-France, à savoir le campus des Métiers, un lycée technique, un lycée professionnel, une école hôtelière, une école d’infirmières. Nous avons une université, un IUT, le siège des Chambres de Commerce et des Métiers de Seine Saint-Denis, qui sont nos interlocuteurs.
Savez-vous que nous avons plus d’emplois à Bobigny qu’il y a de population active. Pour cent habitants de population active, nous avons cent-vingt emplois, et contrairement à ce que nous raconte la gauche, ce n’est pas dans la fonction publique. Ces emplois sont dans les entreprises privées. J’ai fait l’effort depuis trois ans de réunir une quarantaine de chefs d’entreprise, qu’ils soient à Bobigny ou souhaitent y investir. En l’espace de dix-huit mois, nous avons publié sur notre site pas moins de deux-cents offres d’emploi dans le secteur privé, toutes émanant de 78 entreprises réunies au sein du Forum des entreprises pour l’emploi, structure souple tournée vers les entreprises qui souhaitent participer à l’effort social de la ville. Nous avons reçu plus de 300 Balbyniens en dix-huit mois. 89 ont été orientés vers ces offres d’emploi et 71 ont trouvé une formation, un contrat de courte durée ou un CDI. C’est possible, mais dans la relation avec les personnes, en faisant marcher le réseau, pas dans l’administratif, pas dans le formulaire. Ce qui compte, c’est le lien, ce que la collectivité peut apporter, le lien entre les gens.
Bobigny n’est donc pas une ville dortoir, mais il est vrai que l’histoire et la géographie font que les entreprises sont séparées des quartiers de vie des habitants. Il faut remettre du liant dans notre ville, remailler les territoires, créer un vrai centre-ville. Autant de projets que nous avons préparés avec Stéphane de Paoli et nos équipes et que ce nouveau mandat va nous permettre de réaliser si les Balbyniens nous refont confiance !
Justement, vous êtes à la fois l’héritier d’un bilan, porteur d’un projet. Qu’allez-vous faire si vous êtes élu que vous n’avez pas réalisé lorsque vous étiez premier adjoint de Stéphane de Paoli ?
Je crois que le bilan démontre que ce qui était impossible avant 2014 est devenu possible. On nous a dit pendant des années : on n’a pas de moyens, on n’a pas d’argent, c’est une ville pauvre. C’était un mensonge institutionnel. Nous avons prouvé que nous pouvions doubler les crédits sur les travaux du quotidien (écoles, éclairage public…) et que nous pouvions en même temps ne pas augmenter les impôts et baisser la dette, aider davantage la vie associative, créer de nouveaux équipements, réparer les anciens.
En six ans, nous avons fait une double démonstration : d’abord que nous avons tenu nos engagements (je ne fais pas de promesses que je ne peux pas tenir !), ensuite que la ville a des moyens. Nous avons recréé les bases d’une action municipale normale et nous avons maintenant la chance avec ce bilan de construire des projets utiles sur ces bases assainies. Le bilan sert surtout à se tourner vers l’avenir.
Les six ans qui viennent seront très importants pour la ville : réussir le renouvellement urbain, les grands quartiers, l’Abreuvoir et le centre-ville, réussir l’intégration du nouveau cœur de ville et la création d’un centre-ville de toutes pièces, car il n’y en a pas. Préparer l’accueil de la nouvelle ligne de métro, la ligne 15. Certes, elle n’arrivera qu’en 2030, mais ce sont les décisions prises aujourd’hui qui vont conditionner l’arrivée de cette ligne. Enfin, assurer la transition énergétique et écologique, ce que nous faisons déjà depuis 2014.
C’est quoi une ville BIOM ?
Un cabinet de jeunes auditeurs et de jeunes ingénieurs indépendant a mis au point un indicateur de développement durable de la ville. L’indice est de 84 % en termes d’activité de RSE (responsabilité société et environnementale) ce qui est plutôt très bon et je souhaite que nous poursuivions nos efforts dans les années qui viennent.
Quelle sera la première mesure que vous prendrez si vous êtes élu maire ?
Il y en a plein et votre question ne correspond pas à la manière de gouvernance que je conçois. Mais si je devais citer une mesure : nous avons depuis janvier 2015 la cantine scolaire gratuite et puisque le gouvernement veut l’école obligatoire à partir de 3 ans, la cantine scolaire en maternelle sera également gratuite à partir de la rentrée prochaine pour les enfants de 3 à 6 ans. Le gouvernement veut la cantine à un euro. Elle est gratuite chez nous à Bobigny !
Quel est votre plus gros projet d’investissement dans les six ans qui viennent ?
C’est le renouvellement urbain. Comme je le dis dans tous les quartiers, si le projet de solidarité doit jouer, c’est pour financer le projet de renouvellement urbain de l’Abreuvoir et du centre-ville qui représentent près de 3000 familles.
Bobigny est-il concerné par les Jeux olympiques de 2024 ? Retrouvez en vidéo la réponse de Christian Bartholmé à Michel Taube :
Avez-vous un dernier message à faire passer ?
Je dis à vos lecteurs : venez nous voir ! Vous verrez que personne ne va vous manger. Bobigny est une ville pleine d’énergie, ne serait-ce que parce qu’un tiers de nos habitants ont moins de 25 ans. C’est une ville qui est pleine de vie, car toutes ses traditions et ses racines font sa force aujourd’hui !
Venez boire une bonne bière après le travail : nous avons 22 établissements qui ont une licence IV. Alors, venez, vous serez les bienvenus.
Propos recueillis par Michel Taube