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07H35 - mardi 30 juillet 2019

Les vingt ans de règne de Mohammed VI. L’édito de Michel Taube

 

C’était il y a douze ans : nous dirigions Ensemble contre la peine de mort et nous apprêtions à ouvrir le 3ème Congrès mondial contre la peine de mort à Paris en février 2007. Ayant fait le pari que le Maroc pourrait être le premier pays arabo-musulman à abolir la peine de mort, nous avions choisi Rabat pour lancer le Congrès de Paris. Quelle ne fut pas notre surprise de rencontrer le soutien total des autorités marocaines pour ouvrir le débat dans une société en train de passer des langueurs de la tradition aux audaces de la modernité.

Feu Driss Benzezkri, ancien président du Conseil des droits de l’homme, Saâdeddine El Othmani, à l’époque patron du PJD et aujourd’hui premier ministre, André Azoulay, conseiller du Roi, nous avaient encouragé à investir la scène marocaine.

Certes, le Roi ne décida point d’abolir la peine capitale dans son discours du trône de 2007 mais la mobilisation de l’époque ouvrit la voie à un mouvement marocain solide, notamment au sein du Parlement chérifien.

C’est tout le Maroc de Mohammed VI : bienveillant à l’endroit de la modernité, prudent sur le chemin pour y parvenir, déterminé sur le plan des principes et des valeurs…

Faire le portrait d’un chef d’État, vingt ans jour pour jour après son accession au pouvoir, est un exercice délicat, à plus forte raison s’il s’agit d’un roi, une qualité qui suscite parfois quelques cris d’orfraie (ou d’effroi !) chez nos (bien) penseurs. Si notre conception des droits de l’Homme a une vocation universelle vers laquelle nous estimons qu’il faut tendre, l’idée que tout système politique ne répondant pas à nos critères idéologiques doive être mis au banc par principe est absurde et intellectuellement malhonnête.

Bien que doté d’un Parlement, d’un gouvernement, et d’institutions régionales, le Maroc n’est pas une monarchie strictement parlementaire, à l’image du Royaume-Uni, de l’Espagne ou de la Suède. Mais il n’est pas pour autant un régime autoritaire, précisément parce que son Roi Mohammed VI n’a pas l’âme d’un dictateur. Le souverain chérifien, qui célèbre cette année le vingtième anniversaire de son accession au trône, illustre parfaitement l’impérieuse nécessité de prendre en considération le contexte géographie, historique et social pour apprécier à sa juste valeur l’œuvre d’un chef d’État, quel qu’il soi.

Lorsque Mohammed VI succéda à son père Hassan II le 30 juillet 1999, le Maroc ne laissait guère de place à la liberté d’expression et à l’opposition politique. Le pays avait même connu les « années de plomb » de 1975 à 1991, période funeste durant laquelle l’emprisonnement politique et même la torture étaient monnaie courante. La place Djema el Fna de Marrakech et les plages d’Agadir étaient certes bondées de touristes, mais derrière le décor de carte postale, le Maroc n’offrait que peu d’atouts pour faire entendre sa voix dans le concert des nations, le tumulte des conflits, la course aux investissements… Au cœur du royaume, le feu couvait et la marmite bouillonnait.

Si Mohammed VI n’avait immédiatement mis en chantier, dès qu’il prit les rênes du pays en 1999, des réformes politiques, économiques et sociétales d’envergure, il est peu probable que le Maroc eut été épargné par les fameux Printemps arabes. Nul ne sait jusqu’où le régime de feu le Roi Hassan II aurait été prêt à aller pour tenter de résister à ce vent de liberté. Nul ne sait s’il n’aurait pas été emporté par l’hiver autoritaire, souvent islamiste, qui suivit ces printemps arabes d’illusions rapidement perdues. 

Alors bien sûr, nous Européens, pourrions être tentés d’en demander plus en matière de liberté politique et de démocratie. Tout, tout de suite, et sans limites ! D’abord, ces fameuses démocraties, à commencer par la France, ne sont pas des régimes anarchistes et libertaires, où tout est permis, sans quoi elles s’écrouleraient dans le chaos. Par ailleurs, en France, la séparation des pouvoirs est loin d’être aussi marquée en pratique que ne le laisse croire la Constitution de 1958, le Parlement étant avant tout une chambre d’enregistrement des projets du gouvernement, donc du Président.

Au Maroc, lâcher totalement et brutalement la bride reviendrait à prendre un énorme risque : celui d’une prise de pouvoir par un régime islamiste, qui se prévaudrait alors de la légitimité des urnes pour imposer un Islam politique contraire à l’Islam du juste milieu prôné par la monarchie chérifienne. Certes, le Roi Mohammed VI est aimé de son peuple, mais l’entrisme et la propagande sournoise des islamistes a déjà montré son efficacité ailleurs, en particulier aux portes du Maroc.

Dans sa réforme constitutionnelle de 2011, Mohammed VI délégua une partie significative de ses prérogatives au gouvernement et à son Premier ministre et organisa une véritable séparation des pouvoirs. Nous sommes très loin du Roi ayant droit de vie et de mort sur chacun de ses « sujets », et pouvant régir son pays sans comptes à rendre.

Le Maroc est un pays extrêmement divers et complexe, et par conséquent difficile à diriger et à réformer. Pour y parvenir, Mohammed VI a su concilier les opposés, marier l’eau et le feu, les traditions et la modernité qui se conjuguent, se lient, se marient, parfois s’entrechoquent, comme peut-être nulle part ailleurs. Le Roi du Maroc est d’abord parvenu à réconcilier son pays, à réconcilier les Marocains, avec eux-mêmes, avec leur histoire, avec l’islam, avec la modernité. Il est un monarque éclairé, homme de cœur et de conviction, mais également stratège des relations internationales dont l’empathie naturelle lui permet de se faire écouter des dirigeants de la planète. Mais pour se faire également entendre, encore faut-il faire montre de compétences et connaître ses dossiers. C’est le prix de la crédibilité. Sur ce terrain, le Roi du Maroc s’est toujours montré à la hauteur des enjeux, par exemple s’agissant de sa gestion du conflit du Sahara, de son positionnement médian dans la crise qui secoue le Golfe persique, de la lutte contre le fondamentalisme islamique et le terrorisme.

Quand on mesure le chemin accompli par le Maroc en vingt ans, on ne peut qu’être admiratif. Certes, les grincheux et donneurs de leçons pointeront d’un doigt accusateur les fastes de la monarchie, oubliant que notre République ne nourrira pas de Kebabs ses serviteurs, ses invités, ses partenaires et ses clients, parce qu’un ancien président de l’Assemblée nationale servait du homard à quelques visiteurs du soir. Certains chefs d’État se souviennent encore des fastes de l’ère Mitterrand, notamment d’un sommet organisé au Château de Versailles en 1982, qui aurait même impressionné Louis XIV.

On dit parfois que dans les démocraties, le peuple a les dirigeants qu’il mérite. Voici un raisonnement qui n’est guère à l’honneur de nombre d’entre elles ! Lorsque le chef de l’État est un monarque exerçant effectivement le pouvoir, la formule pourrait être inversée : le Roi a le peuple qu’il mérite. Et ce peuple marocain est reconnaissant à Mohammed VI de son œuvre, encore inachevée.

On a également coutume de dire qu’un État n’a que des intérêts, l’amitié ou l’inimitié étant réservés aux personnes. La froide analyse géopolitique et économique du Maroc ne peut qu’avoir comme conclusion qu’il est de l’intérêt de nombre de pays, à commencer par la France, d’avoir le Maroc comme partenaire privilégié.

Mohammed VI est parvenu à ce qu’on ait envie d’avoir son royaume comme ami. Ce n’est pas là le moindre de ses succès.

 

Michel Taube

Directeur de la publication

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