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08H33 - jeudi 12 mai 2022

« L’Eglise catholique doit faire sa révolution sexuelle » : entretien avec Hélène Pichon, auteure de « L’Eternel au féminin »

 

paru le 20 février 2019

Le Vatican organise pendant trois jours un Sommet « antipédophilie » à Rome.

Déni de la sexualité, stigmatisation de l’homosexualité, inégalité de traitement des femmes dans la consécration, excommunication des divorcés remariés, pédophilie : l’Eglise catholique doit en profiter pour faire le ménage selon Hélène Pichon, auteure de « L’Eternel au féminin. Manifeste pour une nouvelle théologie de la libération. »

 

Hélène Pichon, qu’attendez-vous concrètement du « Sommet antipédophilie » que réunit le pape cette semaine au Vatican ? 

Des actes. Nous connaissons avec le Pape François un vrai tournant puisque ce pontife lui-même a enfin reconnu que l’Église avait un problème avec la pédophilie et a demandé pardon aux victimes. Ce sont certes des mots à la portée symbolique très positive mais malheureusement ce n’est aujourd’hui plus suffisant.

L’Église doit changer. La Curie a donc un devoir moral et spirituel envers tous les fidèles et l’humanité dans son ensemble, et davantage encore envers les victimes : le temps est venu du changement plus que nécessaire et radical et de la réforme. C’est un message que les associations de victimes, que certains membres du clergé et que des simples fidèles portent : il ne saura y avoir de changement structurel dans l’Eglise catholique, sans révolution sexuelle en son sein. Elle se doit de sortir du déni, tout être humain doit pouvoir vivre sa sexualité, lieu de l’expression de la Transcendance dans l’honnêteté. Il ne peut y avoir de foi dans la mauvaise foi, cela est tout simplement impossible. J’ai pour ma part appelé à un Vatican 3, pour repenser l’Eglise de fond en comble. 

 

L’Église peut-elle se relever de cette crise si profonde qui la frappe dans le monde entier ? Il ne se passe un jour sans des faits nouveaux : l’ancien cardinal Theodore McCarrick vient d’être exclu de l’Église catholique par le pape.

Oui, je suis profondément convaincue que l’Église peut traiter le problème si elle décide d’ouvrir tous les sujets et de se libérer de ses maux. Les tabous, le silence, les mensonges ne sont plus acceptables et jettent le discrédit sur l’ensemble de l’institution. N’oublions pas que le clergé est le médiateur d’une expression divine, qui n’exclut pas les autres, auprès de fidèles et de l’humanité toute entière.  

Catholique, sereine dans ma foi, je suis déterminée dans ma vision de voir cette Institution religieuse opérer sa complète transformation : directement ou indirectement, tous les baptisés font les frais de ce sous-développement spirituel. Ce n’est pas nous rendre service que d’accepter ce déni.

L’exclusion du Cardinal McCarrick est une nouvelle positive car elle signifie qu’un vent de changement commence à souffler sur la Place Saint-Pierre de Rome.

Mais ne nous arrêtons pas là ! Car une fois encore ces drames ne sont pas le fait d’individus, McCarrick, le Nonce en poste en France ou d’autres, ces drames sont le fait d’une approche spirituelle de l’Homme, et donc de Dieu lui-même à revoir entièrement.

 

Les actes pédophiles sont-ils le seul problème de l’Église catholique ? Vous dénoncez dans votre livre, « L’Éternel au féminin » la soumission et la servitude spirituelles des femmes dans l’Église. Un autre livre, « Sodoma », qui sort ces jours-ci de Frédéric Martel, dénonce la double vie homosexuelle des prêtres. N’y a-t-il pas une crise sexuelle universelle de l’Église catholique ? 

Comme pour chaque religion, un besoin d’introspection est nécessaire au cours des siècles pour que les pratiques de l’institution et celles des fidèles soient en phase avec les évolutions de la conscience humaine. Seulement cette introspection n’a pas eu lieu depuis bien longtemps au sein de l’Église catholique : alors que l’humanité évolue et progresse, que la place des femmes ne cesse de s’affirmer dans nos sociétés, que les femmes sont désormais chefs d’Etat, PDG d’entreprises, astronautes, scientifiques, artistes, intellectuels de premier plan, nous n’avons toujours pas de femmes évêques ou cardinales. Ce n’est plus acceptable et il est temps de changer ces pratiques patriarcales d’un autre temps.

Le monde marche désormais avec deux pieds, avec les deux hémisphères de son cerveau : le masculin et le féminin et il est désormais impossible de justifier que l’on doive se priver d’une moitié du génie spirituel des fidèles, d’une moitié de leurs talents, de leur dévotion et de leur sens de l’engagement sur la simple base de dogmes dépassés. Il est donc à mon sens grands temps d’accueillir au sein du clergé les femmes et de faire en sorte qu’elles puissent devenir des modèles pour des milliards de fidèles dans la pleine égalité avec les hommes. Tout homme, toute femme est avant la tout un être humain, nous vivons tous avec une sexualité qui se doit d’être respectée, respectueuse, adulte et assumée, il n’y a rien de délictueux à cela. Seulement vouloir dénier cette réalité c’est entrer en déséquilibre et cela peut engendrer toutes sortes de conséquences gravissimes.

La pédophilie est une maladie psychiatrique d’un certain type, qui trouve au sein du clergé catholique qui est dans le déni d’une sexualité équilibrée, un terrain propice pour se dissimuler et agir : ceci n’est absolument pas tolérable et doit cesser dans l’urgence la plus grande qui soit.

 

Pour évoquer la France plus spécifiquement, que pensez-vous des demandes d’interdiction, finalement rejetées par la justice, de la diffusion du film « Grâce à Dieu » de François Ozon sorti en salle mercredi 20 ?

En premier lieu il me semble bon de rappeler que nous sommes en démocratie où la liberté d’expression est essentielle et qu’elle est garantie par nos institutions républicaines. Ce n’est donc pas du ressort de tout autre type d’institution de dicter sa vision des choses. Et surtout, le film de François Ozon porte un véritable éclairage sur les problèmes de pédophilie au sein de l’Église, problèmes qui non seulement sont récurrents et globalisés mais surtout – et à mon sens c’est ce qu’il y a de plus grave – sont couverts par une véritable omerta au sein de l’Église dans tous les pays du monde et au niveau pontifical. On peut bien entendu débattre sur le message porté par ce film, mais n’oublions jamais que derrière chaque acte d’abus sexuel, il y a des vies qui sont brisées.

Vouloir interdire ce film c’est encore une fois continuer cette désastreuse pratique de mensonge et de mise sous silence de faits traumatisants et symptomatiques de la maladie dont souffre l’Eglise depuis plusieurs siècles : le déni de la sexualité humaine qui engendre frustrations, subversions et perversions.

C’est en quelque sorte encore blesser davantage les victimes que de vouloir interdire ce film qui expose simplement cette réalité que plus personne de sensée ne conteste, en démontrant qu’il n’y a ni excuses ni repenti, ni réflexion intelligente et raisonnée pour sortir du déni.

 

Le nonce apostolique, ambassadeur du pape en France, est l’objet d’une plainte d’un employé de la Ville de Paris ? Quelle est la situation en France aujourd’hui ?

On peut hélas énumérer des dizaines, des centaines, des milliers de cas similaires de plaintes portées contre des ecclésiastiques. Tant que l’on ne traitera pas le mal à sa source, on ne pourra malheureusement que constater, impuissants, de tels comportements répréhensibles et délictueux relevant d’une pathologie endémique et destructrice pour les personnes qui en font les frais et en sont les victimes. Quelle que soit la place qu’il occupe au sein d’une hiérarchie religieuse en France ou ailleurs dans le monde, un être humain au service d’une institution religieuse, demeure un être humain qui doit répondre de ses actes et agissements envers les autres êtres humains. Vouloir nier cet ordre des choses, c’est perpétuer des comportements tragiques. 

 

De nombreuses commissions chargées de faire la lumière sur les agressions pédophiles commises dans le monde sont installées (États-Unis, Irlande, Australie, Allemagne). En France, une commission d’enquête a été refusée par le Parlement fin 2018 et une commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, présidée par Jean-Marc Sauvé, se met en place. Qu’en pensez-vous ?

C’est toujours une bonne chose que des citoyens, fidèles ou non à une Eglise ou à une institution religieuse quelle qu’elle soit, se saisissent de questions de mœurs et demandent du changement quand ils sont face à de tels crimes, avec le souci de garantir le respect de la personne humaine. À mon sens le premier devoir de toute institution est celui d’écouter, d’accompagner les victimes qui attendent reconnaissance, explication et transformation profonde pour sortir de ce cercle vicieux dont elles ont fait les frais. C’est pourquoi nous devons les aider au mieux, les soutenir et faire tout ce qui est en notre capacité pour apporter des solutions : les commissions indépendantes répondent à cette attente.

Et puis le second devoir de tout pouvoir politique ou religieux, est de faire en sorte que ces comportements aux conséquences tragiques ne se reproduisent plus :  malheureusement, force est de constater que c’est un devoir auquel acteurs publics et acteurs ecclésiastiques ont failli à remplir jusqu’à présent. 

 

On voit que ce type de problèmes (pédophilie, place de la femme dans l’Église) dépasse largement le cadre de la France. Pensez-vous qu’une réponse efficace et réparatrice peut être menée à l’échelle européenne ?

En effet des nouvelles choquantes nous proviennent de partout dans le monde, en Europe notamment. Tous les pays européens sont touchés, la France mais aussi l’Italie, l’Irlande, l’Allemagne ou encore l’Espagne. Face à ces pratiques et surtout face à l’omerta et au refus au sein de l’Église de réellement s’attaquer aux sources du mal, une réponse citoyenne provenant des fidèles, mais aussi de tous les acteurs publics doit être apportée. On ne peut plus accepter implicitement ces agissements partout en Europe et c’est pourquoi à mon sens une réponse européenne, de la part des institutions européennes peut faire partie de la solution.

L’Union européenne, en tant qu’organisation aux fondements profondément justes et attachés aux droits de l’homme, doit jouer un rôle moteur dans la résolution de ce problème et parce que ces actes de pédophilie constituent bel et bien une atteinte à la dignité humaine, qu’il nous faut les condamner et combattre au sein de l’Eglise catholique et partout ailleurs.

Je crois profondément, en tant qu’européenne, que l’heure est venue de s’engager à cette échelle là pour changer les choses. C’est d’ailleurs tout le sens de mon ouvrage « l’Éternel au Féminin » !

  

Propos recueillis par Michel Taube

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