Edito
08H00 - dimanche 17 février 2019

Ces gilets jaunes complotistes et antisémites qui rêvent de faire tomber la République : les aveux de Christophe Chalençon et l’agression contre Finkielkraut… L’édito de Michel Taube

 

Oui, la colère des gilets jaunes est légitime et vient de loin. Oui, l’Etat et les corps constitués n’ont pas su y répondre jusqu’à présent. Oui, ce n’est ni une loi anti-casseurs ni les 34 heures de one-man show d’un président séducteur omniscient que la Vème République rend omnipotent (le président n’aurait-il pas dû plutôt consacrer sept heures à un débat franc et direct avec 500 gilets jaunes dès le début du mois de décembre pour éteindre l’incendie ?) qui y répondront. Quant au Débat national, s’il est toujours salutaire de discuter, débouchera-t-il sur une réponse démocratique à la mesure de cette colère ?

Oui, tous les gilets jaunes ne sont pas antisémites et antirépublicains.

Oui, l’adhésion des Français au mouvement des gilets jaunes est en net recul et ils ne sont plus une majorité à les soutenir.

Oui, Emmanuel Macron repart à la hausse dans les sondages. 

Mais non, si le pouvoir se dit que le pire est passé, notre conviction est inverse : nos sources et notre expérience des rassemblements parisiens attestent de ce que, trois mois après le lancement du mouvement, la mobilisation ne faiblit pas autant que les chiffres du ministère de l’Intérieur veulent le faire croire. Le mouvement s’auto-nourrit, se réinvente. Le Vrai Débat, la version « gilets jaunes » du Grand Débat, rencontre, lui aussi, un franc succès.

Mais non, la colère ne va pas retomber et, pire, elle prend désormais les formes de la haine. Comme l’a prouvé la grande enquête publiée début février par la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch  et réalisée par l’Ifop sur l’état du complotisme en France, la porosité des gilets jaunes aux thématiques complotistes y est nettement plus élevée que dans l’ensemble de la population française…

C’est non seulement inacceptable mais c’est surtout gravissime : cette adhésion massive au complotisme nourrit l’explosion des actes antisémites en France (+ 74% en 2018) et est un indice précis sur où nous emmènent la crise des gilets jaunes, beaucoup malgré eux, certains de façon consciente et délibérée.

Nous ne sommes plus dans une période de révolte, pas encore en révolution mais, tous les samedis, en situation insurrectionnelle. Que cela donne des idées et fasse pousser des ailes à des nostalgiques d’un régime nationaliste et antisémite, c’est certain.

Les faits le prouvent chaque semaine un peu plus…

Comme en témoignent les vidéos de Yahoo Actualités et du journaliste indépendant Charles Baudry, l’agression antisémite dont a été victime dans Paris hier après-midi l’Académicien et philosophe Alain Finkielkraut, pourtant plutôt en sympathie intellectuelle avec le mouvement,  en dit long sur la haine qui habite de nombreux gilets jaunes.

Parce que ces propos antisémites ont été commis en plein cortège par des gilets jaunes qui ne cachent plus leur visage et qui brandissaient leur gilet (!), nous demandons solennellement à Priscillia Ludosky, Jacline Mouraud, Eric Drouet, Maxime Nicolle et tous les autres porte-paroles, de condamner l’agression commise contre Alain Finkielkraut et les propos antisémites dont il a été victime. Ingrid Levavasseur l’a fait dès hier soir. Sera-t-elle seule dans les heures qui viennent ?

Les auteurs de ces propos doivent être poursuivis et condamnés, même s’il faut aussi souligner que d’autres gilets jaunes ont prêté leur concours à Alain Finkielkraut, comme il l’a confié lui-même au JDD.

Soyons plus précis : comme le montre cette photo, celui des gilets jaunes qui brandissait son vêtement comme une insulte à Alain Finkielkraut semblait porter un keffieh autour de sa ceinture et son voisin à droite, que l’on voit longuement sur la vidéo, portait une barbe qui pourrait faire penser à un salafiste islamiste. Ces éléments, auxquels s’ajoutent les propos de « sioniste » infligés à l’écrivain, corroborent le fait que ce sont autant des gauchistes islamistes, alliés à des fachos de droite, qui infiltrent les gilets jaunes pour déverser leur haine antisémite. L’épisode Finkielkraut prouve que l’antisionisme, surtout d’extrême gauche, est aujourd’hui le nouveau visage de l’antisémitisme à côté de celui, plus ancien et traditionnel en France d’extrême-droite, et que l’on assiste aujourd’hui, sous couvert de colère des gilets jaunes, à une redoutable alliance des antisémitismes.

Les porte-paroles des gilets doivent se désolidariser de ces extrêmes qui dénaturent leur mouvement en profondeur. Le 8 décembre dernier, Dieudonné, antisémite et raciste, avait été accueilli par certains d’entre eux comme une rock star sur les Champs Elysées. Cela fait déjà deux mois et demi et aucun leader des gilets jaunes ne s’en est offusqué depuis.

Pour l’heure, espérons que nos concitoyens (notamment les gilets jaunes !) seront nombreux mardi prochain partout en France pour dire non à l’antisémitisme. Une fois de plus, il va falloir scander :  « plus jamais ça ! » dans une version 2.0 : #ÇaSuffit.

Doit-on rappeler, en passant, que derrière cet antisémitisme, il y a le racisme anti-arabes, anti-noirs, anti-homos, la haine de la France et des bourgeois, autres symptômes parfois constatés dans les cortèges des gilets jaunes ? 

Mais c’est un autre fait gravissime sur lequel nous voulons revenir ici et qui souligne combien le mouvement des gilets jaunes est porté et infiltré par un complotisme suicidaire pour la France. Ce fait, ce sont les aveux vidéo de Christophe Chalençon, un des leaders des gilets jaunes, filmé en caméra cachée par la chaîne italienne La 7 début février….

Il faut bien lire les paroles :

« Je sais que je risque beaucoup. Je peux me prendre une balle dans la tête à n’importe quel moment. Mais j’en ai rien à foutre. J’irai au bout de mes convictions. Parce que s’ils me mettent une balle dans la tête, le peuple, là, Macron, il est passé à la guillotine. Aujourd’hui, on est arrivé à un tel point de confrontation que s’ils m’abattent, il est mort aussi. Parce que le peuple, il rentre dans l’Elysée, il démonte tout. Lui, sa femme et toute la clique.

« On est plusieurs comme ça. S’ils en touchent une, on a des gens, des paramilitaires qui sont prêts à intervenir parce qu’il ils veulent aussi tomber le pouvoir. Donc aujourd’hui tout le monde est calme, mais on est à la limite de la guerre civile, je te l’ai dit.

« Soit il y a une solution politique très très très rapidement, parce que derrière, y a des gens qui sont prêts à intervenir de partout. Des paramilitaires. Des gens qui sont des retraités de l’armée et qui sont contre le pouvoir.

« Oui je sais ça. Et puis nous… Vous ne vous en rendez pas compte. Macron il a peur. »

Christophe Chalençon a rencontré il y a dix jours à Montargis le vice-président italien, Luigi di Maio, en compagnie de notre ami Fabio Massimo Castaldo, vice-président du Parlement Européen, tous deux leaders du mouvement 5 Etoiles, provoquant une crise diplomatique entre Paris et Rome.

C’est le même Chalençon qui était le porte-parole de la médiatique Ingrid Levavasseur avant qu’elle ne se retire (à moitié) de sa tête de liste anciennement RIC (« Ralliement d’Initiative Citoyenne ») pour les Européennes.

Les paroles de Chalençon doivent être prises au sérieux et sont des aveux de ce qui se trame  actuellement en coulisse : elles nous indiquent où veulent nous emmener les extrémistes de droite (et certains de gauche) qui se réveillent à la faveur de cette colère.

Les aveux de Chalençon participent des propos complotistes d’un Maxime Nicolle, d’un Eric Drouet et de ces milliers de messages lâchement effacés de la Toile début janvier, et qui montraient ce qu’ont dans la tête de nombreux porte-paroles des gilets jaunes.

Ce n’est pas pour rien qu’ici et maintenant les extrêmes se lâchent sur les réseaux sociaux, que le complotisme et l’antisémitisme se déchaînent, que les fachos, d’extrême-droite et d’extrême-gauche, sont de retour.

C’est pourquoi, nous ne sommes nullement étonné que, selon Chalençon, comme aux dernières heures de la guerre d’Algérie, certains barbouzes retraités de l’armée veuillent en démordre, pourquoi pas assassiner le président de la République sur lequel toute la haine se déverse (enfin, maintenant, il y a aussi les juifs…).

 

Les gilets jaunes récupérés par les ennemis de la République

En effet, comme l’a révélé France Info, le 19 janvier dernier, lors d’une réunion à Rungis, devant 400 personnes, des figures bien connues de l’extrême droite et de l’ultradroite française (Alain Soral d’Égalité et Réconciliation, Hervé Ryssen, auteur de plusieurs ouvrages antisémites et Yvan Benedetti, ancien du Front national et ancien président de l’Œuvre française, un mouvement dissous par les autorités en 2013) ont explicité leur stratégie…

« Il convient d’aiguillonner le mouvement, d’orienter le mouvement, parce que les révoltes sont stériles. Seules les révolutions sont salvatrices. Nous sommes rentrés en période révolutionnaire. »

Ces propos d’Yvan Benedetti (rien à voir avec Arnaud Benedetti, régulièrement dans nos colonnes) ne sont que la deuxième face des propos de notre jaune Chalençon.

Autre indice : depuis décembre, ils seraient seulement 200 extrémistes (même si leurs rangs grossissent fortement selon nous depuis janvier) à siphonner le mouvement des gilets jaunes. Ils ont infiltré le pseudo – service d’ordre des manifestations du samedi : les témoignages abondent sur leur complicité, notamment lorsqu’au coeur des manifestations, des manifestants tapissent les rues de tags anti-système.

Deux cents à quatre cent seulement ? Mais l’élite du prolétariat n’a jamais eu besoin d’être nombreuse pour rafler la mise, dans la violence et la terreur. 

Il est temps que les gilets jaunes prennent conscience de la récupération gravissime dont ils sont aujourd’hui les instruments. 

Priscillia Ludosky ne peut pas se contenter de dire au JDD de ce dimanche 17 février : « Quant aux déclarations mal maîtrisées, elles rappellent que nous sommes humains et pas des professionnels de la politique. On a le droit de se tromper, de péter un câble ». Sophie Tissier a prétendu la même chose tout au long de cette journée qui marquait les trois de la mobilisation.

Les Drouet, les Nicolle, les Levavasseur, condamneront-ils les liaisons dangereuses de Chalençon avec des ennemis de la République ?

Les gilets jaunes sont certainement embarqués dans une tornade qui les dépasse et dans laquelle des extrémistes en mal de revanche politique se sont engouffrés pour mieux les récupérer pour faire tomber la République. D’ailleurs, à bien écouter Chalençon sur cette vidéo, on le sent « border line », à la limite de la rupture.

Est-ce pour cela que la réponse politique, sur les plans policier et judiciaire, a été si brutale avec des milliers de garde-à-vue, de blessés, de condamnations ? Nos libertés reculent actuellement et c’est aussi une des conséquences de la réaction du pouvoir à ce mouvement anarchique et insurrectionnel. Une chose est sûre : la loi anti-casseurs comme les suites judiciaires des innombrables interpellations depuis décembre ne vont pas cesser cette colère. Elles risquent même de la transformer en haine révolutionnaire.

Oui, le mouvement des gilets jaunes a décomplexé les haines.

Oui, les porte-paroles des gilets jaunes ne peuvent plus se cacher derrière le fait que leur mouvement n’est pas organisé. Ils sont responsables de leurs actes, de leurs propos et de leurs silences. Il est temps qu’ils en prennent pleinement la mesure.

  

Michel Taube

Directeur de la publication