Edito
19H45 - lundi 3 décembre 2018

« Mes chers compatriotes… Ma réponse aux gilets jaunes » par Emmanuel Macron

 

Mardi 4 décembre 2018 à 20h

Mes chers compatriotes,

Depuis quelques semaines, une colère monte des entrailles de notre pays. Elle couve depuis des années voire des décennies.

Deux samedis de suite, cette colère s’est déchaînée. Je veux donc commencer par condamner les violences, avoir aussi une pensée pour nos quatre compatriotes qui sont décédés en marge des rassemblements depuis le 17 novembre, et remercier nos forces de police qui, malgré des actes parfois criminels, avec parfois l’intention manifeste de tuer, ont réussi à conserver un sang-froid exemplaire. Ailleurs, y compris dans des pays démocratiques, une riposte à la hauteur de ces agressions aurait vraisemblablement eu des effets autrement plus dramatiques.

Je m’adresse aux casseurs qui, parmi les gilets jaunes, ont basculé dans la violence, comme aux professionnels de la violence de l’ultra droite, de l’ultra gauche et autres anarchistes qui se sont greffés sur le mouvement : vous serez traités comme ce que vous êtes, des délinquants et parfois des criminels. S’en prendre aux forces de police avec des intentions meurtrières, souiller les symboles de la République, détruire les biens des personnes et leurs outils de travail, brûler des voitures et même des immeubles, détruire, mais aussi piller des commerces et compromettre leur pérennité comme l’emploi de ceux qui y travaillent, bloquer le pays pour, in fine, nuire aux Français que l’on ose prétendre défendre, cela n’est pas acceptable.

Je constate avec satisfaction – et soulagement – que la plupart des gilets jaunes condamnent ces exactions. Qu’ils sachent que tous les moyens juridiques seront mis en œuvre pour traquer, arrêter et punir les auteurs des destructions et violences commises ces derniers jours, notamment, mais pas exclusivement, dans les rues de Paris. Tous les moyens humains et technologiques sont employés à cet effet.

J’ai décidé de reporter mon voyage d’Etat prévu en Serbie mercredi et jeudi et je réunirai mercredi après-midi un conseil de défense et de sécurité au cours duquel il sera envisagé de mobiliser l’armée si les renseignements nous confirmaient que ces casseurs veulent à nouveau s’en prendre à Paris samedi prochain. Je n’hésiterai pas à prendre des mesures d’exception pour répondre à cette violence. On ne peut se comporter en criminel sans prendre de risque. Il faut que ce soit bien clair.

Mais pourquoi, mes chers compatriotes, en est-on arrivé là ?

La colère des gilets jaunes a pour cause l’accroissement des inégalités, en France comme dans le monde. Elle a principalement pour cible la mondialisation, les élites, les nantis, parfois aussi l’immigration comme on le constate dans de nombreux pays démocratiques. Les peuples choisissent le dangereux repli sur soi comme on l’a vu encore ce dimanche en Espagne avec la percée, inédite depuis le retour à la démocratie en 1978, d’une force d’extrême-droite en Andalousie.

Le peuple français a toujours été plus sensible aux inégalités que les autres peuples. C’est dans notre ADN.

Un pays comme la France dont l’égalité est inscrite dans la devise républicaine ne peut se satisfaire d’un pareil constat. Or nous sommes dans une économie mondialisée. Ce n’est pas un choix, même si le monde doit être celui que nous bâtirons et ce que nous en ferons. Nous avons collectivement laissé le marché diriger la planète, parfois pour le meilleur, souvent pour le pire.

Le pire, ce sont ces inégalités qui s’accroissent de manière inacceptable, intolérable. Le pire, c’est lorsque l’optimisation fiscale permet aux plus grandes multinationales de ne pas payer d’impôt. Ce problème, comme d’autres, ne peut que se traiter à l’échelle de l’Europe, raison pour laquelle ceux qui appellent à défaire la construction européenne sont d’irresponsables démagogues, comme ceux qui outre-Manche ont souhaité le Brexit et abandonnent le navire depuis qu’ils l’ont envoyé dans la tempête.

Le pire, c’est aussi la dégradation ou la destruction de l’environnement dans de telles proportions que l’extinction de l’humanité à l’horizon d’un ou deux siècles est devenue une hypothèse crédible. La transition écologique est une absolue nécessité pour la France et pour le monde. La COP24 qui se réunit en Pologne ces jours-ci est chargée de concrétiser les engagements financiers pris avec les Accords de Paris lors de la COP21. La France sera au rendez-vous, et je me rendrai à Katowice dès la semaine prochaine.

Le fait déclencheur du mouvement des gilets jaunes fut l’augmentation des taxes sur les carburants. Puis, les revendications ne sont empilées, faisant presque passer pour modérées les promesses électorales des extrêmes, promesses dont le coût s’évalue pourtant en centaines de milliards d’euros. Pour l’État comme pour chaque Français, tout a un coût et personne ne peut raser gratis, selon l’expression consacrée, surtout pas ceux qui vous promettent de le faire. Aujourd’hui, ils sont à l’affût, appellent à ma démission ou à la dissolution de l’Assemblée nationale, assoiffés de revanche, de vengeance, de retour ou de conquête du pouvoir, faisant fi du jeu des institutions et plus encore des intérêts du pays.

Car les oppositions aujourd’hui, je veux dire les extrêmes, ont beau changer de dénomination et repeindre leur façade, elles n’en restent pas moins des extrêmes et proposent des programmes suicidaires pour notre pays : le repli identitaire d’un côté, le repli économique de l’autre. Mais ces extrêmes qui se frottent actuellement les mains, se ressemblent tellement qu’elles ont vocation à s’assembler, toujours et exclusivement pour le pire, comme ce fut aussi le cas ce samedi dans les rues de Paris, parfois lâchement dissimulées sous un gilet jaune, discréditant par la même un mouvement populaire sincère, dont j’ai entendu le cri.

 

Mes chers compatriotes, je n’irai pas sur le chemin de la démagogie où les extrêmes veulent m’emmener et emmener la France. Mais je vous ai entendu ! 

La colère portée par les gilets jaunes est populaire et sincère. Je veux donc prendre des mesures immédiates pour soulager les plus défavorisés dont le pouvoir d’achat a été réellement impacté par la hausse du coût de la vie, de l’essence, du gaz, de l’électricité notamment. Ces augmentations ont rendu invisible l’augmentation du salaire net sur vos fiches de paie depuis le 1eroctobre et la suppression de la taxe d’habitation. C’est injuste mais c’est ainsi.

Rétablir l’ISF n’est pas une solution, non parce que j’ai été élu sur cette promesse mais parce que cet impôt est par nature injuste, antiéconomique et qu’il encourage la fuite des capitaux dont nos entreprises ont le plus grand besoin. Ce sont les entreprises – et leurs dirigeants – qui créent l’emploi. Seule la bonne santé de nos entreprises et le plein emploi donneront à l’État des ressources fiscales permettant à terme de réduire les prélèvements obligatoires pour tous. Scander qu’il suffit de prendre aux riches pour donner aux pauvres est si simpliste et dogmatique que cela revient à prendre tous les Français pour des ignorants ou des imbéciles. Ce n’est pas ainsi que l’on gouverne un pays. Je ne l’ignore pas : il y a dans notre pays une haine de la bourgeoisie qui étreint parfois nos élites et dont les gilets jaunes sont aussi l’instrument de leurs sombres desseins. Je n’irai pas sur ce terrain.

Je tiens à le rappeler, la France est victime d’un chômage endémique dont les deux principales causes, outre la faible croissance, sont le coût du travail et l’inadéquation de la formation professionnelle aux besoins du marché, formation dont la réforme est en cours. Nos réformes donneront des résultats, j’en suis sûr. Pendant que certains cassent et d’autres causent, nous travaillons, nous agissons, nous réformons.

 

Mais, pour l’heure, ici et maintenant, je vous annonce trois séries de mesures qui, en même temps, doivent nous permettre de retrouver la sérénité et préparer les fêtes de fin d’année, si cruciales pour nos commerçants, pour l’économie et pour le vivre-ensemble.

Le Premier Ministre Edouard Philippe a annoncé ce midi une première série de mesures fiscales avec la suspension immédiate pour six mois de la hausse de la taxe carbone sur l’essence, le fioul et le diesel ; la convergence de la taxation du gazoil sur l’essence, et l’alignement de la fiscalité du gasoil pour les professionnels avec celle appliquée au particulier. De même le gouvernement suspend la hausse des prix du gaz et de l’électricité. Enfin, nous suspendons l’alourdissement des conditions de contrôle technique sur les automobiles qui était prévu l’an prochain. Le gouvernement, comme l’a annoncé  ce midi le Premier Ministre, est chargé d’organiser une grande consultation sur la fiscalité française qui doit être simplifiée, allégée et rendue plus juste.

Pour alléger la vie de nos concitoyens les plus en souffrance, et je m’adresse plus particulièrement aux travailleurs, salariés et petits entrepreneurs qui ont du mal à boucler les fins de mois et qui sont, selon moi, les fers de lance de la mobilisation des gilets jaunes, je vous annonce, en plus des 3% net déjà prévus par les différentes mesures entrées récemment en vigueur, une augmentation du SMIC de 100 euros net au 1erjanvier 2019 suivi de 100 euros d’augmentation chaque année jusqu’à la fin de mon quinquennat. Cette mesure est lourde et coûteuse mais elle contribuera à relancer la consommation et permettra aux familles de France de trouver de l’oxygène pour vivre plus décemment à court terme.

Pour répondre à la crise écologique, j’annonce aussi, afin de ne pas faire porter sur le budget des ménages et l’usage de la voiture les immenses investissements qu’implique la transition écologique, que le gouvernement proposera au Parlement le vote une loi « Conversion Écologique de la France » habilitant par ordonnance le gouvernement à sortir dès le 1er janvier 2019 les 32 milliards d’euros du budget de l’action publique de la France en matière d’écologie des 3% de déficit budgétaire autorisés par l’Union Européenne.

Et ceci pour une raison simple : notre conversion écologique n’est pas une dépense, elle est un investissement ! C’est vrai, mes chers compatriotes, on ne peut financer cette transition sur le budget des ménages, ni via les taxes à la pompe, ni en taxant les entreprises. C’est un investissement sur le long terme et c’est pourquoi il est légitime de le sortir des objectifs de Maastricht. Je l’ai annoncé à Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, que je recevais à l’Elysée aujourd’hui : la France demandera une réunion extraordinaire du Conseil Européen, en marge de la COP24 à Katowice, pour que l’ensemble de l’Union investisse, hors critères de Maastricht, dans cette nouvelle économie circulaire, durable et écologique.

Enfin, la colère des gilets jaunes exprime aussi une coupure entre le peuple et tous ses corps représentatifs : ce n’est pas moi, votre Président de la République, qui suis le seul visé par cette violence. Les partis politiques, les syndicats, tous les corps intermédiaires sont aujourd’hui contestés.

C’est pourquoi j’annonce deux initiatives fortes pour réconcilier les Français avec leurs représentants :

Tout d’abord je relance immédiatement la révision de la Constitution et le vote des lois organiques devant permettre d’introduire une dose conséquente de proportionnelle aux élections législatives, de réduire le nombre de parlementaires et de rendre plus moderne le fonctionnement de nos institutions. Je convoque le Congrès de la République pour le lundi 17 décembre et si les trois – cinquièmes des parlementaires rejettent ma proposition, je convoquerai en janvier un référendum. En dernier ressort, ce sera au peuple français de trancher.

Deuxièmement, j’annonce que tous les Maires de France, les élus des 36.000 communes, seront chargés d’organiser en janvier avec les gilets jaunes et tous les corps constitués localement des États généraux de la démocratie française. C’est au niveau local, au plus près des préoccupations de nos concitoyens, que ces États généraux seront chargés de rédiger des doléances et des solutions pour réconcilier les Français et relancer l’économie et le vivre-ensemble. Demain je recevrai les Présidents d’associations d’élus locaux en présence du Premier ministre, de M. Gérard Larcher, Président du Sénat, de M. Richard Ferrand, Président de l’Assemblée nationale, de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales et de M. Sébastien Lecornu, ministre chargé des Collectivités territoriales.

Ces États généraux donneront lieu à des Assises de la démocratie qui proposeront d’ici le printemps au Parlement et au gouvernement de nouvelles mesures pour réparer notre pays.

 

Car c’est de cela qu’il s’agit : réparer la France.

Mes chers Compatriotes, j’ai entendu la colère du peuple et je ne suis pas déconnecté des Français, bien au contraire. Je vais à sa rencontre chaque fois que j’en ai la possibilité, j’écoute tout le monde, et pas seulement mes conseillers. Jamais un président de la République n’a passé autant de temps à discuter avec les Français. Les « leçons de peuple » de certains me sont donc insupportables. Qu’ils se regardent, qu’ils s’écoutent, encore que s’écouter, ils le font sans doute bien plus qu’ils n’écoutent le peuple qu’ils prétendent incarner.

Je renouvelle également ma confiance au premier ministre Edouard Philippe qui a rencontré les forces politiques aujourd’hui et demain, à mon gouvernement, à la majorité présidentielle et je leur demande de se mobiliser pleinement autour de moi pour expliquer et mettre en œuvre ces mesures qui marqueront une nouvelle étape de mon quinquennat.

Françaises et Français, vous me témoignez de vos difficultés chaque fois que je vous rencontre et encore récemment, au cours de mon parcours mémoriel à l’occasion du Centenaire de l’armistice de la première guerre mondiale. Je vais tout faire pour soulager vos difficultés à court terme, sachant qu’à moyen et long terme, nous œuvrons avec conviction pour que la France et les Français aillent mieux.

C’est notamment parce que la droite et la gauche ont échoué depuis quarante ans à endiguer l’accroissement des inégalités, que vous avez souhaité, en mai 2017, donner une chance à une alternative qui ne soit pas autoritaire, dogmatique économiquement et socialement suicidaire. Si une vague d’espoir de changement m’a porté au pouvoir il y a dix-huit mois, c’est une autre vague, de colère cette fois, qui secoue notre pays. Vous et moi sommes en profonde demande de changements. Ensemble, portons les !

Enfin, dès demain, et tout au long de la semaine, comme à mon habitude, j’irai sur le terrain à votre rencontre, chers compatriotes, et je discuterai avec les gilets jaunes.

Ensemble, nous réparerons la France.

Vive la République et vive la France.

Emmanuel Macron, président de la République française

 

Discours rédigé par Michel Taube et Raymond Taube

Opinion Internationale inaugure une série : « les grands discours – fiction d’Emmanuel Macron »

 

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Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique