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08H18 - lundi 8 octobre 2018

Proposition de loi Justice : l’amendement Taube pour désengorger la justice

 

Alors que le Sénat vient de recadrer le projet de loi Justice, un amendement clé pourrait désengorger les tribunaux et alléger les procédures dans l’intérêt des justiciables, des magistrats et des finances publiques, sans déshumaniser la justice.

Prioriser la procédure écrite sans audience au tribunal d’instance (en particulier) lorsque toutes les parties ont constitué avocat, tel est l’amendement simple, juste et efficace, proposé par Raymond Taube, directeur de l’Institut de droit pratique et chroniqueur d’Opinion Internationale.

Crédit photo : Arnaud Invictus, Wikimedia Commons

Crédit photo : Arnaud Invictus, Wikimedia Commons

Le 8 octobre 2018, la commission des lois du Sénat a publié un rapport recadrant le projet de loi de réforme de la justice. Elle lui reproche notamment son approche trop budgétaire et non qualitative, de nature à aggraver le sentiment de déshumanisation de la justice largement partagé par les justiciables. Supprimer l’audience de conciliation du divorce en est une manifestation symptomatique, car si l’on peut effectivement désengorger les tribunaux et supprimer des audiences superfétatoires, ce n’est pas dans un domaine où l’humain doit rester prépondérant que cette initiative est attendue, a fortiori si elle est systématisée. 

Transformer l’exception en règle lorsque toutes les parties ont un avocat

Dans sa rédaction actuelle, l’article 446-1 du Code de procédure civile consacre l’oralité de la procédure devant le juge d’instance, sauf volonté des parties de se référer à leurs seuls écrits.

La plupart des justiciables ignorent un point essentiel : dans la grande majorité des procès civils, l’audience n’a que fort peu d’impact sur la décision du juge. D’ailleurs, au tribunal de grande instance, où la procédure est dite écrite et l’avocat obligatoire, il est de plus en plus souvent demandé à ce dernier de déposer le dossier sans plaider.

Nous proposons par conséquent de supprimer l’audience au tribunal d’instance et devant d’autres juridictions, mais à une condition permettant d’éviter l’écueil de la justice déshumanisée : cette règle ne s’appliquerait que si les parties ont toutes constitué avocat, car les particuliers n’ont pas toujours la maîtrise des écrits judiciaires. Cela permettrait de :

  • désengorger les tribunaux
  • renforcer la qualité de la défense de tous les justiciables
  • optimiser le temps de travail des avocats
  • rationaliser l’aide juridictionnelle au bénéfice des justiciables et des avocats.

Au tribunal d’instance, mais aussi au tribunal de commerce ou au conseil de prud’hommes, magistrats et avocats déplorent l’encombrement des audiences. Un juge d’instance nous a indiqué avoir traité jusqu’à cent quatre-vingts affaires en une seule matinée !

En pratique, les avocats perdent un temps considérable, au détriment du travail sur les dossiers de leurs clients, en déplacements et attentes à l’audience pour une brève plaidoirie qui ne fait que résumer leurs écritures. Pour cinq minutes d’audience dont le juge aura tout oublié lorsqu’il rendra sa décision plusieurs semaines plus tard, le client de l’avocat (ou le contribuable dans le cadre de l’aide juridictionnelle) paye des heures de temps perdu. Lorsque l’avocat intervient au titre de l’aide juridictionnelle, il est sous-indemnisé, souvent sous-motivé et risque de rendre un service minimum. Justiciables, avocats, magistrats et finances publiques auraient tout à gagner d’une aide juridictionnelle qui indemniserait équitablement deux ou trois heures de travail effectif sur dossier plutôt que six ou sept heures perdues en transport et attente à l’audience.

Lors de l’audience, les juges prennent quelques notes, certains plus que d’autres. L’affaire est ensuite mise en délibéré à plusieurs semaines, parfois plusieurs mois. Par conséquent, lorsque le juge rend sa décision, il se base non pas sur ses souvenirs, mais sur le dossier des parties.

Nous ne suggérons pas d’écarter systématiquement la plaidoirie, mais d’en faire l’exception : dès lors que l’audience est sollicitée par l’une des parties, elle ne pourrait être refusée par le juge.

Lorsque le justiciable se défend seul, les priorités doivent être inversées : l’oralité de la procédure peut rester la règle, mais à la demande de toutes les parties, la procédure peut être écrite, les dossiers étant déposés à l’audience ou avant celle-ci.

PROPOSITIONS DE MODIFICATION

Version actuelle de l’article 446-1 du Code de procédure civile.

Les parties présentent oralement à l’audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien. Elles peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu’elles auraient formulés par écrit. Les observations des parties sont notées au dossier ou consignées dans un procès-verbal.

Lorsqu’une disposition particulière le prévoit, les parties peuvent être autorisées à formuler leurs prétentions et leurs moyens par écrit sans se présenter à l’audience. Le jugement rendu dans ces conditions est contradictoire. Néanmoins, le juge a toujours la faculté d’ordonner que les parties se présentent devant lui. 

Il est ajouté à l’article 446-1 du CPC l’alinéa suivant :

Lorsque toutes les parties ont constitué avocat, ce dernier assure leur représentation devant la juridiction saisie du litige. Sauf demande expresse de l’une d’elles formulée à l’acte introductif d’instance ou au plus tard quinze jours avant l’audience, sauf en référé, les parties présentent par écrit leurs prétentions et les moyens à leur soutien. Leur présence à l’audience n’est alors par requise.

Il est à noter que la proposition de réforme modifie le rôle de l’avocat : il n’est plus question d’assistance, mais de représentation, comme devant le TGI, si et seulement si toutes les parties ont constitué avocat et en sont d’accord, leur silence valant accord. Ainsi, sans bouleverser le principe posé à l’article 446-1 du CPC, l’exception devient la règle, avec tous les avantages qui en découlent. La fusion partielle des tribunaux d’instance et de grande instance prévue au projet de loi ne change rien notre proposition dont la motivation est simple : on ne conserve l’audience que lorsque cela fait sens.

Raymond TAUBE

Directeur de l’IDP – Institut de Droit Pratique

Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique

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