International
11H38 - dimanche 1 juillet 2018

Enjeux de la visite de l’Emir du Qatar à Paris. L’édito de Michel Taube

 

 

La France est une des voix que l’on écoute ou, à tout le moins, que l’on consulte. Notamment dans cette région si turbulente qu’est le Moyen-Orient, d’où proviennent et où convergent bon nombre des problèmes et des solutions aux conflits et aux fractures de ce monde. C’est pourquoi Opinion Internationale anime la rubrique « In the middle, bridges and solutions with the Middle East » et va s’impliquer de plus en plus éditorialement dans cette région.

La visite officielle à Paris le 6 juillet prochain de Tamim ben Hamad Al Thani, l’Emir du Qatar, pour un entretien avec le Président Macron n’est donc pas anodine. Quelques semaines après celle de Mohammad Bin Salman, nouvel homme fort de l’Arabie saoudite, le président français reçoit un des leaders de la péninsule arabique.

Nul doute que les deux hommes parleront football. Certes, l’un préfère le PSG (il en est même propriétaire et en était un supporter fervent déjà pendant ses études) et l’autre un inconditionnel de l’OM. Ils pourront se réconcilier vendredi en regardant le quart de finale de la France contre l’Uruguay après leur déjeuner et leur conférence de presse communs. Et ils pourront le faire en français puisque l’émir du Qatar est lui-même francophone et a inscrit ses enfants au lycée français, ce qui est trop rare de nos jours parmi les grands de ce monde.

Plus sérieusement, le Qatar est un pays clé dans la région mais aussi en France.

Dans la région ? La presse israélienne révélait le week-end dernier que le Qatar conduit des échanges indirects entre le Hamas et Israël. Cette posture médiane en gêne beaucoup mais éclaire le rôle stratégique de ce petit Emirat devenu en vingt ans une puissance émergente mondiale.

Le Qatar participe activement à la lutte anti-terroriste et à la coopération militaire internationales, partage de plus en plus d’informations en la matière et contribue à la mobilisation de fonds souverains pour développer des modes de financement innovants pour le développement et la lutte contre le réchauffement climatique. Est-ce un hasard si quelques heures après sa rencontre avec l’Emir du Qatar Emmanuel Macron présidera, tel qu’indiqué dans son agenda, un événement de mobilisation des fonds souverains mondiaux engagés dans l’action climatique, dans le prolongement du « One Planet Summit » ?

Enfin, dernier fait récent, le Qatar est candidat au statut d’observateur auprès de l’OTAN. Une géopolitique tous azimuts qui en dit long sur ses ambitions.

Devenu en vingt ans une puissance économique internationale, le Qatar a donc quelques bonnes raisons de voir loin et a d’ailleurs dévoilé son plan à horizon 2030.

 

Un pays qui aime discuter avec tout le monde

Au fond, et nous l’écrivons librement depuis des mois, si nous tentions une analogie, le Qatar est comme la France : sa voix porte au-delà de sa puissance réelle et ce petit pays aime discuter avec tout le monde, même parfois avec les moins fréquentables. C’est la nature même de l’exercice diplomatique voire du politique de savoir écouter tous les points de vue…

Le Qatar, c’est aussi une chaîne de TV mondiale qui donne la parole à tous les points de vue, des imams les plus conservateurs (bon, il faudrait quand même les isoler) à la droite israélienne. Al Jazeera a couvert de près le printemps arabe pendant que le clergé saoudien (il n’y a pas de clergé qatari) exhortait les peuples à rentrer chez eux et à respecter les autorités en place.

Le Qatar est accusé de soutenir les Frères musulmans ?  Qu’ils aient discuté avec eux, c’est certain. Qu’ils soient proches de la Turquie, c’est une autre certitude. Mais la doctrine religieuse ou politico-religieuse de l’Emirat, s’il y en a une, est fort éloignée du wahabisme de ses cousins saoudiens.

Le Qatar a une stratégie propre et souveraine, c’est surtout ce qui gêne ses voisins émiratis, saoudiens, bahreïnis et égyptiens qui lui ont imposé un blocus le 5 juin 2017. Action va-t-en-guerre qui n’a fait que renforcer cet esprit d’indépendance de l’Emirat. Le Qatar se dit pourtant prêt à discuter et à régler un différend qui nuit à tout le monde et bloque l’institution régionale, le Conseil de Coopération du Golfe.

Dans une interview au Point, Lolwah El Khater, porte-parole du ministère des Affaires étrangères du Qatar et conseillère de l’émir, explique : « Notre seule motivation est de faciliter la paix par tous les moyens alors que les pays de la région ont chacun des intérêts différents. Nous avons toujours considéré que le dialogue ne se faisait pas par les armes si nous voulons la prospérité de notre région. Nos pays seront plus forts s’ils choisissent la coopération. » Et d’ajouter : « La France, le Koweït et les États-Unis ont essayé par tous les moyens d’y mettre fin. Et nous leur sommes reconnaissants. Le président Trump, lui-même, ainsi que ses ministres ont été très clairs pour que celui-ci prenne fin. »

La France, en attendant l’implication de l’Union Européenne, étrangement silencieuse jusque-là, soutient activement la médiation que mène le Koweït dans la crise du CCG. Ainsi l’ambassadeur Bertrand Besancenot a été nommé conseiller diplomatique et émissaire spécial du Président de la République pour soutenir les efforts du Koweït.

Dans une tribune publiée par le quotidien L’opinion, les députés Maurice Leroy, Gwendal Rouillard, Naima Moutchou, Bertrand Sorre et Jérôme Lambert abondent dans ce sens : « La visite de l’émir permet de réaffirmer la volonté commune de résoudre cette crise avec le soutien de Paris. Non seulement la France est en échange constant avec ces médiateurs, mais elle exerce également des pressions directes pour rétablir l’«open sky» entre tous les pays du CCG, aider les familles divisées depuis à se retrouver, et mettre fin à l’embargo. »

Nul doute que, vendredi, les deux chefs d’Etat évoqueront ce dossier brûlant. Osons suggérer au Président Macron de prendre une initiative forte en la matière. A l’instar de la récente conférence de Paris sur le dossier libyen, une réunion multipartite à Paris, co-présidée par Paris et Koweït, serait la bienvenue et débloquerait les lignes.

 

Pays clé au Moyen-Orient, le Qatar l’est aussi en France

La rivalité entre le Qatar et ses voisins peut aller jusqu’à troubler la vie politique française… La fascination qu’exerce MBS (et ses milliards) en affole même certains… Comment comprendre ce triste vote passé quasiment inaperçu de députés européens français et non des moindres…, Nadine Morano, Rachida Dati et Michèle Alliot-Marie, trois anciennes ministres de la République, mais aussi Elisabeth Morin-Chartier, vice-présidente, Marc Joulaud et Jérôme Lavrilleux, qui, contre l’avis de tout leur groupe politique, le PPE, se sont abstenus le 31 mai dernier sur la résolution RC-B8-0259/2018, heureusement approuvée par une large majorité du Parlement Européen, dénonçant l’arrestation de sept militantes féministes en Arabie saoudite. Pire, Michèle Alliot-Marie a maintenu sa position tandis que les autres revenaient le lendemain sur leur abstention… Pas fiers pour la France ! Ce texte laissait entendre que l’entrée en vigueur du droit des femmes de passer leur permis de conduire et l’ouverture d’une salle de cinéma à Riyad ne suffiraient pas à conclure que les femmes saoudiennes sont enfin libres. Une chose est sûre : mieux vaut être une femme Qatarie que Saoudienne en 2018.

Le Qatar est un acteur économique stratégique en France. Le PSG n’en est que le joyau médiatique. Détenant des parts stratégiques dans des groupes comme Airbus, Lagardère et AccorHotels, l’Emirat, très francophile et même observateur au sein de la Francophonie, investit dans notre pays. Selon le Quai d’Orsay, « la France demeure l’une des destinations privilégiées de l’investissement qatarien à l’étranger, aux côtés du Royaume-Uni, de l’Allemagne et des Etats-Unis (les investissements qatariens en France sont estimés à près de 25 milliards d’euros en 2016). » Le Président Macron encouragera certainement son homologue à investir davantage pour soutenir son combat pour l’emploi.

Mais finissons ce tour d’horizon comme nous l’avons commencé… Le 15 juillet prochain, faisons le pari qu’Emmanuel Macron sera à Moscou. La France aura atteint (et gagné bien sûr) la finale de la Coupe du monde de la FIFA. Ainsi, notre cher président sera le témoin de la transmission du flambeau de la FIFA entre Vladimir Poutine et Tamim ben Hamad Al Thani.

Car le 16 juillet, le Qatar change de dimension et entrera dans la phase de préparation de la Coupe du monde de la FIFA 2022. L’événement le plus planétaire qui soit en termes d’audiences TV et d’engouement populaire élira domicile au Qatar. De quoi affoler encore davantage certains observateurs et le ressentiment de ses concurrents voisins. Nul doute que le Qatar renforcera comme jamais son soft-power et deviendra, s’il ne n’est déjà, incontournable sur la scène internationale.

Pour toutes ces raisons, la France peut jouer la carte du Qatar tout en consolidant ses relations de bon voisinage dans l’ensemble du Moyen-Orient.

 

Michel TAUBE

 

Directeur de la publication

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