Rencontres Capitales
11H18 - mardi 5 juin 2018

Les Rencontres Capitales ouvrent le débat. Changer la société : l’Impossible réforme ?

 

C’est avec le débat sur la réforme du pays que se sont poursuivies les Rencontres Capitales 2018 consacrées à « mémoire et mutations » organisées par l’Académie des sciences à l’Institut de France. 

© Irène de Rosen

Opinion Internationale consacre une rubrique aux Rencontres Capitales en publiant chaque mardi matin la synthèse d’un débat.

Education, régimes spéciaux de retraite, emploi des jeunes, code du travail, formation professionnelle, fiscalité, justice… Combien de réformes abandonnées ou perpétuellement reportées lancées en France depuis 30 ans ? Qu’est ce qui préside à ces renoncements ? D’où proviennent les crispations ? Aujourd’hui comme souvent depuis des décennies, les critiques portent sur un manque de pédagogie et de dialogue social, sur une gouvernance trop verticale, une insuffisante participation des citoyens aux prises de décision visant à transformer le pays…

 

Créer un horizon collectif

Il ne suffit pas d’annoncer une réforme, fut-elle légitime et annoncée dans un programme. Il existe aussi un art de la conduite du changement, une méthode de négociation qui allie un indispensable travail de préparation et d’élaboration de la réforme autour des dynamiques humaines qu’elle engage et une capacité, sinon à emporter l’adhésion des opposants, du moins à les y associer pour créer un horizon collectif. Selon Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT : « La réforme, c’est une volonté affichée de transformation jusqu’à la transformation réelle dans les faits. Or, on est dans un débat qui se cristallise sur le moment de la décision, mais on n’est pas suffisamment dans la construction collective de ces réformes. Et il ne peut y avoir de transformation réelle si on ne concerte pas ceux qui sont concernés ».

 

Construire le compromis

Aboutir à un diagnostic partagé avant de trouver des remèdes, s’accorder sur la nécessité d’un changement avant d’impulser l’action politique serait la seule manière de ne pas condamner celle-ci à l’échec. Hughes Renson, le vice-président de l’Assemblée nationale, se dit lui aussi partisan de la conciliation : « Quand il y a un mouvement de contestation, il faut qu’il y ait des échanges… On ne sera pas d’accord sur tout mais il faut enrichir les projets menés. Il y a bien sûr une légitimité politique mais l’exercice des responsabilités ne saurait se faire si les citoyens ne s’approprient pas le sens profond des décisions. » Antoine Foucher apporte une nuance : « Etre dans la co-construction évidemment oui, mais, à la fin, c’est le pouvoir politique qui doit décider et assumer ses choix devant ceux qui l’ont élu. Les Français seront libres de continuer l’aventure ou pas, mais les politiques, après les centaines d’heures de discussions, doivent prendre leurs responsabilités ».

 

Un « mal français » ?

Le modèle étatique français est si solidement ancré dans les esprits qu’il semble figé voire immuable, consumant les énergies réformatrices mandat après mandat. La France serait donc toujours cette société « qui réclame des réformes mais réagit avec violence dès que vient le temps de les appliquer » comme l’écrivait déjà Alain Peyrefitte il y a quarante ans dans « Le Mal français ». Le neurologue Stanislas Dehaene livre quelques-unes des résistances à l’œuvre : « Nous avons dans notre cerveau plusieurs systèmes différents, dont certains, très anciens, sont des circuits plutôt conservateurs. Ce sont eux qui nous incitent à satisfaire nos besoins immédiats – la faim, la soif, la reproduction… et le confort. Mais nous avons aussi d’autres circuits qui nous incitent à changer, à avoir une curiosité insatiable et nous disposons, par ailleurs d’un esprit scientifique qui cherche à raisonner. Il faut que l’on arrive à tirer le meilleur de notre cerveau nouveau – notre cerveau rationnel -, pour modifier la société, prendre des décisions rationnelles et pas seulement des décisions épidermiques fondées sur notre cerveau ancien ». Président de l’Académie des sciences et physicien, Sébastien Candel poursuit : « La peur du changement existe partout. Le prix Nobel de chimie Yves Chauvin expliquait que dans les entreprises, on essaie de reproduire ce qui a déjà fait ses preuves ailleurs. Et il avançait qu’il fallait au contraire être original, novateur. Il expliquait que le moindre échec était sans appel, mais que le succès était tellement gratifiant que le risque valait la peine d’être tenté ».

 

Le long temps de la réforme 

Le chemin des idées est passionnant mais aussi extrêmement long à trouver son expression concrète. Comme le rappelle le philosophe Gaspard Koenig, Napoléon n’aurait pas conçu le code civil s’il n’avait pas été inspiré par l’école d’esprit de Quesnay et de ses disciples, les physiocrates du 18e siècle. A travers une autre référence, le philosophe invoque aussi la nécessité de ne pas forcer les réformes, au risque de susciter de la violence : « Popper, qui était le théoricien de la falsifiabilité, parlait de la nécessité d’expérimenter, de voir ce qui marche et d’avancer par étape. Cette façon d’avancer par paliers n’est pas un défaut de courage, c’est la seule manière de respecter les libertés individuelles ». Ce temps long de l’Histoire, fait d’allers-retours entre les politiques et la société, se joue non pas sur des mois et des années mais plus souvent sur une génération ou davantage. Et Antoine Foucher, le directeur de cabinet de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, d’ajouter : « Si on trouvait une alternative brillante à l’économie libérale de marché, il faudrait des décennies avant que l’idée puisse infuser dans la société comme ce fût le cas pour passer de la planification à la concurrence ».

 

Ni vainqueur ni vaincu

Le temps indispensable à la concrétisation des idées n’est pas corrélé au temps politique, d’autant que celui-ci s’est raccourci. Comment dès lors faire jaillir des idées neuves qui coïncident avec le monde qui vient ? Et comment amorcer des réformes structurelles sans qu’il n’y ait « ni vainqueur ni vaincu » pour reprendre l’expression de Hughes Renson ? A Laurent Berger, le mot de la fin : « Je crois que la rationalité, le pragmatisme, ce n’est pas suffisant dans une société. Il faut du sens. Et de plus en plus d’évolutions, de changements, viendront des citoyens eux-mêmes, de leurs capacités à construire du collectif. Il faut aussi accepter que des intérêts contradictoires nous traversent. Car chaque fois qu’on leur donne la possibilité de s’affronter, on avance ».

 

Jean-Michel Parouty

 

Revivez l’intégralité du débat en vidéo :

https://youtu.be/pFsnH2gwIjQ 

 

Rendez-vous mardi 12 juin pour la synthèse du troisième débat : « les grandes mutations de la transmission des savoirs ».

Retrouvez dès à présent les premières synthèses des Rencontres Capitales dans la rubrique d’Opinion Internationale qui y est dédiée.

Les Rencontres Capitales 2018 sont organisées par l’Académie des sciences à l’Institut de France en partenariat avec : APCMA, ENGIE, FIDEXI, Fondation pour l’Audition, KEDGE, SwissLife, La Tribune,  France 24 et BFM TV accompagnés de CEA, INSERM, Nova, RFI, Stonepower et Maison des Journalistes. 

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