Rencontres Capitales
15H15 - lundi 3 septembre 2018

Quelle culture, quel patrimoine, pour les sociétés en mutations ? Les Rencontres Capitales ouvrent le débat

 

Opinion Internationale consacre une rubrique aux Rencontres Capitales en publiant chaque mardi matin la synthèse d’un débat de l’édition 2018.

C’est avec le débat sur la culture à l’ère du numérique que se sont poursuivies les Rencontres Capitales 2018 consacrées à « mémoire et mutations » organisées par l’Académie des sciences à l’Institut de France.

La culture n’a jamais été aussi présente que depuis l’émergence du numérique. Internet s’est imposé comme un formidable vecteur pour favoriser l’accès au patrimoine et l’expression artistique. Grâce à la numérisation des collections qui participe au dépassement des barrières socioculturelles et à l’appropriation des œuvres par le plus grand nombre, il existerait aussi un lien entre la consommation électronique et les pratiques culturelles. En d’autres termes, Internet ne se substituerait pas au musée mais inciterait bien de nouvelles populations à s’y rendre. Pourtant, la moitié de la population resterait encore exclue de la culture. Comment rompre avec « l’aristocratie culturelle » et penser la démocratie culturelle 3.0 ? De plus, dans les pays émergents se pose la question de la sauvegarde d’un patrimoine unique et fragile face à l’hyper industrialisation et l’urbanisation qui détruit, comme la destruction en Chine, des quartiers entiers avec leur Histoire. Comment éviter l’appropriation vécue sous l’ère coloniale tout en contribuant à la préservation de la culture à l’échelle mondiale ?

 

Déjà définir la culture…

« C’est un mot relativement récent. La culture, on n’en parlait pas jusqu’à la fin du XIXe siècle et même le milieu du XXe siècle. On parlait des beaux-arts, ce qui n’est pas la même chose » souligne Jérôme Clément, ancien président d’Arte, et auteur de La Culture expliquée à ma fille. En s’appuyant sur un socle solide de disciplines anciennes telles que la musique, la peinture ou l’architecture, elle en intègre désormais de plus récentes comme la gastronomie ou le design. Aussi complexe soit-elle à circonscrire au fil des décennies, la culture adresse deux axes distincts et complémentaires autour des notions d’individu et de collectif. « Sur un plan individuel, je la vois comme un moteur d’évolution, de révolution, de quelque chose qui doit à l’intérieur de nous-mêmes faire un chemin », note Diane Dufour, directrice du BAL – Espace d’Art et d’Images. Un rôle actif qui prend son importance quand on la considère à l’échelle d’un peuple. « C’est une valeur partagée, la référence à un patrimoine commun mis à disposition des citoyens ajoute Laurence des Cars, présidente du Musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie (…) Elle est essentielle dans la définition d’une société où chacun peut vivre en bonne harmonie avec les autres, quel que soit le bagage culturel qu’il porte ». Plus simplement et plus fondamentalement, pour Nicolas Grimal, égyptologue, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et professeur du Collège de France, « la culture, c’est ce qui constitue l’identité, qu’elle soit personnel ou collective. » Et de mettre en garde également : « la culture il faut la considérer en regardant les cultures »

 

La création ne s’oppose pas à la conservation

« Jamais la présence de l’art de la culture n’a été aussi importante dans l’histoire de l’humanité. C’est remarquable et c’est en train de transformer les esprits et les sociétés en profondeur » se réjouit Fabrice Bousteau, directeur de Beaux Arts Magazine et scénographe. Cette multiplication des espaces dédiés aux œuvres patrimoniales et aux créations contemporaines a profondément changé la nature de ces « vitrines » partagées entre une mission de préservation et de valorisation d’un patrimoine historique qui grandit au fil du temps et un rôle de mise en avant des nouveaux créateurs. Deux missions qu’il ne faudrait pourtant pas opposer. « La place laissée à la création est indispensable pour refléter les tensions du monde d’aujourd’hui, la façon dont les cinéastes, les écrivains, les peintres, les plasticiens ou les vidéastes, ressentent les choses. Ce n’est pas du tout contradictoire avec le fait que le patrimoine et l’Histoire doivent être pris en compte. La création d’aujourd’hui est le patrimoine de demain » résume Jérôme Clément. Ces passages de relais entre les époques sont aussi vital pour nourrir les nouvelles générations de créateurs. « On a toujours vu les artistes aller voir ce que faisaient les anciens » précise-t-il, même si l’inspiration sociétale sera forcément ancrée dans son époque afin que l’artiste en reflète au mieux les tensions. « Je ne fais pas le même métier que mes prédécesseurs. Nous ne sommes pas des lieux de conservation mais des forums, des lieux ouverts le plus possible aux débats et à toute forme de création », résume Laurence des Cars.

 

L’inévitable mutation des musées

La tentation serait grande d’imaginer les musées à l’écart des tendances contemporaines et des transformations de la société mais ce serait se méprendre sur leur capacité à s’adapter. « Le musée est contemporain par nature, il réagit forcément à l’époque, même par son architecture, la façon dont il est construit. Il se transforme au fil des accrochages, des choix de ses responsables » réagit Laurence des Cars. Le meilleur exemple reste l’exposition controversée de l’artiste américain Jeff Koons au Château de Versailles en 2008, qui faisait naître un véritable choc entre pop-art et classicisme. Quitte à choquer, elle a pourtant été  pour Fabrice Bousteau l’occasion idéale de « rappeler que Versailles a été un des plus grands centres de création contemporaine au monde, en faisant appel aux plus jeunes artistes les plus novateurs, qu’ils soient dans le domaine de la gastronomie, de la musique, de l’architecture ou de l’art ». Ainsi Laurence des Cars place-t-elle aussi le musée directement en phase avec son époque. « A Orsay, les collections sont visitées par des hommes et des femmes d’aujourd’hui, par des enfants qui seront les visiteurs de demain. C’est à nous de penser à notre public, à sa sensibilité, à ce qu’il a envie de retrouver au musée, aux outils qui lui seront nécessaires pour comprendre des collections qui ne sont pas toujours d’un accès immédiat ».

 

Le numérique, opportunité ou menace ?

Par sa vitrine globale accessible au plus grand nombre, Internet fournit un formidable outil de diffusion de la culture. A son évocation, Jérôme Clément tisse un lien avec la naissance de la chaîne Arte, vouée à « utiliser la télévision (…) pour l’apprentissage culturel (…) C’était déjà l’idée, qui maintenant se développe énormément avec le numérique et les plateformes, qu’on pouvait utiliser cette médiation de l’image pour donner l’accès le plus large possible à la culture ». Outre la diffusion, Internet livre aussi de précieux outils d’apprentissages et Nicolas Grimal, égyptologue français, professeur du Collège de France,  voit dans le numérique « un moyen totalement différent d’accéder, d’instrumentaliser puis de diffuser la connaissance (…) Toutes les fouilles françaises dont nous nous occupons actuellement sont publiées à 80% de façon dématérialisée. Dans 10 ans, ce sera le lot absolument commun » prévoit-il. Le numérique permet aussi une plus grande diffusion de l’art, comme par exemple des initiatives consistant à afficher sur grand écran des œuvres du patrimoine culturel national dans des quartiers défavorisés, encourageant un jeune public à visiter pour la première fois un musée. Diane Dufour cite un projet inverse du BAL consistant à confronter ce public à des œuvres d’art et à publier ses réactions sur une plateforme d’éducation à l’image ouverte à un large panel d’enseignants et de jeunes. Un outil dont la pertinence repose sur la confrontation de l’humain à l’œuvre. « Je ne crois pas du tout à l’idée du numérique qui remplacerait ou serait un ersatz de l’art » conclut-elle.

 

L’appropriation des objets culturels en question

Face à l’instabilité politique ou sociale, voire même aux conflits que traversent certains pays, le retour d’œuvres sur leur territoire d’origine pourrait leur faire courir un risque. Il paraît important que les conditions de leur bonne préservation soient réunies. Outre un retour pur et simple, la création d’échanges internationaux s’impose comme une source d’émancipation culturelle. « Il faut inventer de nouvelles formes de relations et de coopérations entre les pays d’où viennent les œuvres, et ceux dépositaires de ces œuvres, en tenant compte des situations très particulières de chaque pays » note Jérôme Clément. « Faut-il rendre les œuvres d’art du passé colonial de ces pays pour qu’elles soient exploitées dans un sens qui n’est peut-être pas tout à fait celui que l’on souhaite ? » questionne pour sa part Nicolas Grimal. Et l’égyptologue d’encourager un travail de fond commun au service des pays émergents : « Ce qu’il faut encourager, c’est la connaissance, l’étude et la divulgation de ces cultures ».

 

Pascal Bertin

 

Revivez l’intégralité du débat en vidéo.

Rendez-vous mardi 4 Septembre pour la synthèse du débat : « La quête d’amour est-elle immuable? »

Retrouvez dès à présent les premières synthèses des Rencontres Capitales dans la rubrique d’Opinion Internationale qui y est dédiée.

Les Rencontres Capitales 2018 sont organisées par l’Académie des sciences à l’Institut de France en partenariat avec : APCMA, ENGIE, FIDEXI, Fondation pour l’Audition, KEDGE, SwissLife, La Tribune, France 24 et BFM TV accompagnés de CEA, INSERM, Nova, RFI, Stonepower et Maison des Journalistes.

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