International
13H17 - vendredi 27 avril 2018

Un regard comorien sur la Francophonie, entretien avec l’ancien président des Comores, Hamada Madi Bolero

 

 

altPour Hamada Madi Bolero, la langue française échappe largement aujourd’hui à son pays fondateur. Pour continuer d’exister demain, la francophonie doit faire la preuve de son utilité pour les peuples, notamment en Afrique. Entretien.

 

Vous êtes Comorien, ancien chef de l’Etat et ancien Premier ministre, actuellement Secrétaire général de la Commission de l’océan Indien, quel est votre regard sur la Francophonie et la langue française ?

L’identité des Comores est sans doute complexe à appréhender parce que nous sommes un Etat et une nation archipel. On pourra toujours chercher à faire valoir les spécificités, voire les facteurs de séparatisme mais je suis convaincu que nous sommes unis par des facteurs beaucoup plus puissants. Le premier, c’est l’Islam. Nous sommes d’abord musulmans et cet état de fait culturel et religieux constitue le soubassement de notre société. Nous sommes aussi arabophones et membres à ce titre de la Ligue des Etats arabes. Mais nous sommes également francophones et bien sûr membres de l’OIF et la francophonie est un puissant facteur de notre unité sociologique et politique. La langue française est, pour nous, un vecteur de communication et d’ouverture au monde. Nous n’avons aucun complexe là-dessus. Malgré notre petite taille et le fait que nous soyons excentrés au milieu du canal de Mozambique, nous avons la chance d’appartenir à un « espace monde » unique en son genre qui nous permet de nous sentir en famille lorsque nous sommes en France, en Belgique, en Suisse, au Canada et au Québec, et bien sûr partout chez nos frères du Maghreb et d’Afrique francophone. Ce n’est pas un mince avantage.

 

altLe président Macron a prononcé le 20 mars dernier un discours important à l’Académie française pour une stratégie globale pour la langue française. Qu’en retenez-vous ?

Beaucoup de bonnes choses ! Je suis heureux et même un peu soulagé, dois-je dire, de voir le Président français se soucier de l’avenir de la langue. Je me permettrai cependant, comme amoureux de la langue de Molière, de souligner que le français n’est plus aujourd’hui la langue de la France. C’est notre langue à tous. C’est une langue enrichie de nos traditions nationales, de notre inventivité linguistique – et Dieu sait si elle est grande en Afrique – et de notre environnement par rapport notamment aux anglophones comme on le voit au Québec. Comme il n’existe pas une langue espagnole mais des langues espagnoles qui ne sont pas tout à fait les mêmes selon qu’on se trouve à Madrid, à Buenos Aires ou à Caracas, il existe des langues françaises qui se développent librement dans les sociétés où elles sont en usage et c’est ce qui s’appelle la francophonie.

Au risque de fâcher, je ne vous cacherai pas cependant que je considère les Français et notamment leurs élites comme les premiers responsables de la perte d’influence de leur langue dans le monde. Partout où je vais, y compris dans les enceintes internationales où ma langue est une langue de travail comme à l’Union européenne ou à l’ONU, je trouve vos compatriotes faisant assaut d’anglophonie. Un exemple très concret : j’ai assisté très récemment à une conférence régionale de l’OMS à Maurice, pays francophone, devant un parterre de médecins et de responsables des ministères de la santé de notre région où chacun comprend et parle le français. Une responsable française a cru utile de faire son exposé en anglais. Oui, les effets de mode sont aussi stupides que ravageurs.

 

On parle de 700 millions de locuteurs de français dans le monde d’ici 2050. Que vous inspire ce chiffre ?

De l’enthousiasme bien sûr et un peu de méfiance. S’il s’agit d’additionner des « francophones théoriques », on pourra aboutir en effet à des chiffres impressionnants, mais vous connaissez le dicton de Mark Twain : « il y a trois sortes de mensonge. Le mensonge, le sacré mensonge et les statistiques »…

Je vous donne un exemple à travers le cas d’un pays francophone auquel je suis profondément attaché, Madagascar : qui parle et comprend le français aujourd’hui dans les campagnes malgaches où vivent 60% de la population ? Je crois qu’on pourrait dire la même chose pour le Vietnam et un certain nombre d’autres pays membres de l’OIF.

Plutôt que des chiffres sans beaucoup de réalité, il faudrait surtout se poser la question de savoir ce que la francophonie peut apporter concrètement à la jeunesse de ses pays. Sinon, il se passera ce qui s’est passé au Rwanda où l’on a fait basculer en une génération un pays francophone vers l’anglais.

 

Et qu’est-ce que doit apporter la francophonie concrètement ?

La francophonie doit apporter la démonstration de l’utilité du français pour les échanges économiques, commerciaux, culturels et diplomatiques, pour la recherche et la création artistique… Elle doit devenir un moteur de transformation économique pour l’Afrique, en étant un vecteur de l’industrialisation du continent. Jacques Attali avait même proposé en 2014 de créer une Union Economique Francophone. Il avait raison ! Malheureusement, je n’ai pas l’impression que toutes ces idées, qui avaient été mises en avant avec talent par mon ami mauricien Jean Claude de l’Estrac, aient beaucoup progressé ces dernières années dans la Francophonie institutionnelle.

 

Propos recueillis par Michel Taube

Directeur de la publication

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