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12H24 - jeudi 21 décembre 2017

Annus horribilis, l’année 2017 du web. La chronique de Philippe Boyer

 

Cet article de Philippe Boyer s’inscrit dans IMAGINE FRANCE, la rubrique de la France des innovations et des transitions, animée par Philippe Boyer, blogueur et écrivain, et Raymond Taube, directeur de l’Institut de Droit Pratique, en partenariat avec le club e-santé du Ceps (Centre d’Etude Prospective et Stratégique), StragIS, expert en gouvernance des transitions, et Futuria Production (Innovative Events).

 « Pour construire le Web, il a fallu notre participation à tous, et c’est à nous tous, désormais, de construire le Web que nous voulons – pour tous. » C’est par ces mots que Tim Berners-Lee, acheva sa tribune. Considérant qu’il y a des moments où les circonstances exigent que l’on s’adresse au plus grand nombre, l’inventeur du Web et fondateur de la World Wide Web Foundation n’y est pas allé quatre chemins. Il faut dire que près de trente ans après l’apparition des premiers maillages reliant une poignée de sites les uns aux autres, le web de ce début de vingt-unième siècle n’a plus grand-chose à voir avec la vision idyllique du projet initial « imaginé comme une plateforme ouverte qui permettrait à quiconque, partout, de partager des informations, de collaborer par-delà les frontières géographiques et culturelles. » Si les premières années du Web étaient résolument placées sous les signes de l’humanisme, du partage et de l’ouverture, force est de constater que ces temps-là paraissent lointains. L’Histoire retiendra peut-être même l’année 2017 comme étant celle d’une Annus Horibilis au cours de laquelle les ferments d’une profonde remise en cause de la façon dont les liens numériques qui nous unissent sont apparus au grand jour.

 

L’esprit du Web est-il mort ?

Comment expliquer ce désenchantement ? Comme toujours à la veille d’une révolution, de nombreux signes apparaissent et se répandent en tant que prise de conscience collective. Sur le sujet des réseaux sociaux, de nombreuses études récentes ont permis de pointer leur dangerosité, notamment auprès des plus jeunes. Si les conséquences sur la santé physique sont évidentes (plus de temps passé devant l’écran = moins de temps pour la pratique d’une activité physique), celles sur la santé psychique ont également été largement médiatisées en mettant en lumière que l’activité immodéré sur ces réseaux sociaux nuisait à la capacité d’attention ainsi qu’à la capacité d’empathie. Plus récemment, certains travaux scientifiques sont allés plus loin en pointant un effet de dépendance créant, comme dans toute addiction, un manque et un déséquilibre dans le cerveau. Si ces constats commencent à être connus et partagés, de nombreuses voix s’élèvent pour alerter des risques réels des réseaux sociaux à l’instar de Tristan Harris et James Williams et leur association.

« Time Well Spent», Adam Alter, professeur de psychologie à la New York University qui explique que les écrans rendent malheureux ou plus récemment des ex-employés de Google et Facebook qui alertent sur l’économie de l’attention et l’addiction aux réseaux sociaux. Quant à Chamath Palihapitiya, ancien de Facebook en charge de l’audience, il n’a pas hésité à exhorter son auditoire à délaisser le réseau social au motif que « nous avons créé des outils qui déchirent le tissu social« . Facebook répliquant en rappelant que leur entreprise d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle des premières années : « nous avons grandi, tout comme nos responsabilités

D’abord considérés comme une bénédiction, les réseaux sociaux seraient-ils devenus un handicap pour la santé ainsi que pour la démocratie ? Il est possible de le penser à l’aune du phénomène des trolls ou encore des fake news. Mis en lumière par la dernière élection présidentielle américaine, la contestation des réseaux sociaux et de leur pouvoir s’est focalisée sur leur capacité à influencer les votes. Quand on sait que l’économie de l’attention intéresse tous les acteurs de l’économie de l’internet, à commencer par les géants du Net, il n’est pas étonnant que les média sociaux soient désormais utilisés par tous ceux qui cherchent à influencer les foules. S’il est vrai qu’en leur temps l’imprimerie avec Luther ou encore la télévision et la radio furent eux aussi utilisés comme des outils de propagande et de conformité imposée, la force d’internet, media à la portée de tous, rend très difficile d’en réglementer l’accès et les contenus qui y sont déposés. Le véritable enjeu d’avenir pour les quelques 2 milliards d’utilisateurs de Facebook, comme pour ceux des autres réseaux sociaux, sera d’en reprendre le contrôle. Pour faire bouger les lignes, certains se hasardent même, à l’instar de la « techno-sociologiste » Zeynep Tufekci, d’exiger des sociétés qui possèdent les réseaux sociaux qu’elles modifient leur business model en tirant leurs revenus de leurs utilisateurs et non plus des publicitaires. L’avenir de Facebook, Twitter et autres WeChat s’inspirera-t-il d’un modèle ouvert et communautaire « à la Wikipédia » ? En l’état actuel des choses, il est possible d’en douter…

 

Pour la neutralité du Web

Plus inquiétant, 2017 aura aussi été l’année de la fin de la neutralité du Web, tout du moins aux Etats-Unis.  D’apparence très technique, cette décision porte en germes ce que pourrait être l’un des futurs possibles d’internet avec des fournisseurs d’accès capables de moduler la vitesse de débit en fonction du contenu qui passe dans leurs « tuyaux » ou encore les types de contenus distribués. Outre-Atlantique, la mobilisation des défenseurs de cette neutralité du Web n’ayant pas réussi à sensibiliser le grand public –  en dépit de quelques actions spectaculaires telles que Google barrant son logo d’un bandeau noir ou Wikipédia obscurcissant sa page d’accueil – le régulateur des télécoms américain a donc décidé d’abroger ce principe de neutralité, suivant en cela les demandes des principaux fournisseurs d’accès. En arrière-plan de cette décision, une bataille économique et idéologique pour contrôler le Web outre-Atlantique. Si pour l’heure, la France s’est engagée à préserver plus que jamais ce principe de neutralité du Web, le fond de tableau de l’ensemble de ces enjeux mondiaux oppose thuriféraires d’un Web réellement ouvert contre d’autres, tentés d’en faire un espace fermé et communautaire.

Que que l’on cautionne que l’année 2017 fut une année charnière sur ces questions d’emprise des technologies sur nos vies ou que l’on se réfère plutôt à l’année 2014, en référence à André Staltz, programmeur spécialisé dans les logiciels libres dans une de ses chroniques au titre décapant : « Le Web a commencé à mourir en 2014. », l’essentiel tourne autour de l’assurance que nous continuerons à utiliser un Web correspondant aux principes fondateurs de son inventeur, Tim Berners-Lee, en l’espèce un réseau tel « que nous l’avons rêvé et non tel qu’on nous l’impose. »

 
Philippe BOYER

Philippe Boyer est un blogueur reconnu en matière de numérique et d’innovation. Ses écrits paraissent régulièrement dans la presse économique et digitale : La Tribune, Les Echos, Forbes France, Siècle Digitale, Opinion Internationale…

Il est actuellement Directeur de l’innovation d’un des plus importants groupes immobiliers européens.

Conférencier et écrivain, Philippe Boyer est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les thématiques du numérique : « Ville connectée- vies transformées – Notre prochaine utopie ? » (2015) et « Nos réalités augmentées. Ces 0 et ces 1 qui envahissent nos vies » (2017).

Diplômé de Sciences-Po Aix et de l’EM Lyon (MBA), Philippe Boyer a exercé diverses fonctions communication, marketing et développement dans des groupes liés à l’immobilier et aux services urbains.

Visitez le blog de Philippe Boyer : http://philippeboyer.strikingly.com/#mes-articles-and-chroniques

Philippe Boyer sur twitter  https://twitter.com/Boyer_Ph

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