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12H16 - jeudi 26 octobre 2017

À l’insu de notre plein gré. Retour sur le Prix Nobel d’économie attribué à Richard Thaler. La chronique de Philippe Boyer

 

Le Nobel d’économie 2017 a donc été attribué à Richard Thaler pour ses travaux sur les comportements vertueux (Nudge). Au centre des enjeux, la volonté d’agir sur les comportements, pour le meilleur comme pour le pire.

  

Quelle différence y a-t-il entre l’aménagement d’une voie rapide sur les bords du lac Michigan à Chicago, pour inciter les automobilistes à lever le pied, et le dessin d’une mouche dans un urinoir de l’aéroport d’Amsterdam ? Aucune. Dans l’un et l’autre cas, il y a une manière d’inciter sans forcer et de proposer les meilleurs choix sans contraindre. Pour l’automobiliste, à l’approche d’un tronçon dangereux, une illusion visuelle lui fera prendre conscience du danger en lui donnant la sensation que sa vitesse augmente. D’instinct, il ralentira. Quant aux passagers masculins de l’aéroport qui fréquentent les toilettes, le fait de viser la mouche dessinée permettra d’économiser des milliers d’euros en frais de nettoyage. Ces illustrations sur les façons d’orienter les comportements illustrent comment il est possible d’inciter à agir d’une façon voulue.


Subterfuge vertueux

Aussi connue sous le nom de « Nudge », que l’on peut traduire par « petit coup de pouce décisif » ou « inciter quelqu’un à faire quelque chose », cette théorie à mi-chemin entre les sciences du comportement et l’économie vient d’être distinguée avec l’attribution du Prix Nobel d’économie à Richard H Thaler. Pour ce scientifique américain qui a fait porter l’essentiel de ses travaux sur ce qu’il a appelé la « théorie positive du choix de consommation », il s’agit à la fois d’expliquer comment, les consommateurs que nous sommes, agissons souvent de façon incohérente, pour le moins en décalage avec la prétendue rationalité qui devrait être la nôtre en tant qu’Homo oeconomicus doués de Raison. L’un des exemples connus et que l’on retrouve dans le best-seller de Thaler, « Nudge, la méthode douce pour inspirer la bonne décision », coécrit en 2008 avec Cass Sunstein, est le cas de l’épargne retraite.

L’auteur rappelle que si presque tout le monde songe à épargner en prévision de ses vieux jours, peu le font réellement préférant repousser cette décision de mois en mois, quitte se retrouver sans ressources au seuil de sa retraite. L’alternative proposée par l’économiste étant de faire preuve d’une forme de « paternalisme assumé » (« paternalisme libertarien » selon Thaler) via la mise en place, par les entreprises, de plans d’épargne salariés. Si ces derniers peuvent librement les refuser, il leur reviendra de prouver qu’ils ont pris par eux-mêmes d’autres initiatives personnelles aussi avantageuses. Dans la plupart des cas, notre paresse naturelle, nos capacités cognitives limitées, nos manques d’informations ou notre propension à agir par conformisme… nous pousseront à adhérer à ce plan de retraite. Une telle mesure faisant ainsi passer le taux d’épargnants de 20 à près de 90 %. Depuis, quelques années, les départements de « Nudge » fleurissent dans les administrations. A chaque fois, et pour des sujets qui concernent la vie quotidienne (politiques fiscales, consommation, marchés financiers…), il s’agit de mettre au point des solutions astucieuses et peu coûteuses qui incitent à un « comportement vertueux susceptible de provoquer des améliorations majeures dans la vie des gens ».


Risque de la manipulation

Si Thaler et les précurseurs de cette théorie du Nudge ont bien identifié certaines propensions humaines qui tendent à nous induire en erreur (surévaluation d’un risque, excès d’optimisme et de confiance, conformisme, instinct grégaire…), cette théorie du « paternalisme bienveillant » est avant tout orientée vers la réalisation d’un « mieux », pour ne pas dire d’un « bien » en particulier lorsqu’il s’agit de prendre des décisions difficiles. Le « Nudge » servant ici à nous éloigner de nos faiblesses les plus communes.

Pour d’autres, ces faiblesses humaines constituent un terreau commercial. Ainsi en est-il des géants du Web qui configurent leurs services dans le but de capter notre attention. Nous sommes ici loin de l’altruisme prôné par Thaler. Cette thèse à rebrousse-poil est celle d’un ancien ingénieur de Facebook, Tristan Harris. Les réseaux sociaux seraient « l’anti-Nudge » par excellence. Tout y est fait pour que l’utilisateur assidu de Facebook, tel un joueur dans un casino, prenne goût à scroller de page en page à la découverte d’un hypothétique gain (un like, un commentaire approbateur) en nous détournant de notre intention initiale. Rien de bien nouveau me direz-vous depuis le « pub est pub ». Certes ! Sauf qu’avec la puissance des réseaux sociaux et la précision des données récoltées, les techniques employées par les entreprises de la Silicon Valley se raffinent dans le but d’obtenir des internautes qu’ils fassent « d’eux-mêmes » les choix qu’elles entendent qu’ils fassent.

Tel Ulysse accroché au mat de son voilier pour résister aux chants des sirènes, lutter contre ces nouvelles tentations, qu’elles prennent la forme de fake news ou d’incitations à la consommation, s’avère très difficile tant la pression numérique augmente. Depuis quelques années, certains travaillent à lutter contre cette mainmise des géants du Web en proposant des technologies qui laissent l’individu décider s’il souhaite ou non se laisser distraire à l’insu de son plein gré. En d’autres termes, envisager une nouvelle version, celle-là numérique, de la théorie du Nudge formalisée par Richard H Thaler. Reste à savoir ce qu’en pensera le nouveau Prix Nobel d’économie 2017…

Philippe BOYER

Philippe Boyer est un blogueur reconnu en matière de numérique et d’innovation. Ses écrits paraissent régulièrement dans la presse économique et digitale : La Tribune, Les Echos, Forbes France, Siècle Digitale, Opinion Internationale…

Il est actuellement Directeur de l’innovation d’un des plus importants groupes immobiliers européens.

Conférencier et écrivain, Philippe Boyer est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les thématiques du numérique : « Ville connectée – vies transformées – Notre prochaine utopie ? » (2015) et « Nos réalités augmentées. Ces 0 et ces 1 qui envahissent nos vies » (2017).

Diplômé de Sciences-Po Aix et de l’EM Lyon (MBA), Philippe Boyer a exercé diverses fonctions communication, marketing et développement dans des groupes liés à l’immobilier et aux services urbains.

Lisez le blog de Philippe Boyer.

Suivez Philippe Boyer sur twitter : https://twitter.com/Boyer_Ph

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