International
11H30 - lundi 23 octobre 2017

Sans aspérités, le come-back de Marine Le Pen marque cependant un nouveau positionnement. L’analyse d’Elodie Mielczareck

 

Si, sur le fond, la dédiabolisation du Front National est effective depuis plusieurs années – le parti n’a eu de cesse de se présenter, et d’être présenté, comme un parti Républicain (comme les autres donc) durant la campagne présidentielle – le « lissage » de la forme ne sautait pas encore aux yeux. Premier rendez-vous politique de la rentrée, l’Emission Politique du jeudi 19 octobre aura permis à la leader de l’extrême droite d’arborer un « nouveau style », loin des élans charismatiques qu’on lui connaît tant.

 

Marine Le Pen ou la soupe de mots ambiante : des approximations aux éléments de langage

La banalisation des idées du Front National, en marche depuis plusieurs années, se situe d’abord dans les mots employés, choisis et utilisés par la candidate. En utilisant les mots/maux ambiants, Marine Le Pen se réapproprie un champ lexical partagé et banalisé. Jeudi soir, elle s’est glissée dans la peau de tous les domaines, passant d’un registre philosophico-littéraire lorsqu’elle parlait du « combat de civilisation » cher à Onfray et à Houellebecq, à un registre féministe militant en abordant « le recul des droits des femmes », sous oublier le registre populiste basé autour de la notion de « méritocratie » et de la dénonciation de « Macron, président des riches », argument cher à la gauche en général, et à Mélenchon en particulier. En restant à un niveau de surface superficiel et global, l’ex-candidate entretient le flou quant à ses intentions réelles. Des approximations latentes, que la question sur l’Euro a permis de faire émerger : à la question de François Lenglet, Marine Le Pen botte en touche, « nous verrons bien ».

Cette dernière réponse contient entre les lignes la stratégie-phare usée jusque la corde par le parti d’extrême droite : s’adapter aux desiderata d’un électorat fluctuant. Derrière les affirmations péremptoires et rigides, se love moins une logique de conviction qu’une logique doxique, qui consiste à répondre aux mouvements d’humeur immédiat, à ce que « les Français attendent », à « entendre leurs craintes ».

Une stratégie fébrile, dont il est parfois difficile d’assumer les changements de dernière minute. Face aux contradictions latentes – un jour le discours est féministe, le lendemain il est Pro-Life – la seule issue possible est l’approximation et la généralisation du discours. Bref, «nous verrons bien». Par exemple, sur la question du financement de l’impôt, Marine Le Pen déclare « ça va faire, je crois 23 millions, ça en fait des comptes ». Le « je crois » et le langage métaphorique (« ça en fait des comptes ») montrent l’absence de technicité et de précision. On croirait revivre le débat d’entre-deux-tours de la présidentielle.


Le « nouveau style » Le Pen : quand le fond contamine la forme

Cette banalisation du fond, ordinarité du langage courant, s’est accompagnée d’une équivalence au niveau formel : l’absence de toute aspérités sur le plan formel. Le style connu de Marine Le Pen, c’est la prise de parole charismatique, le bulldozer qui balaie tout sur son passage : sourires carnassiers et dévorants, voix forte et accentuée, buste projectif prêt à écraser son adversaire, et enfin, le regard focalisé du prédateur. Bête de scène, la verve médiatique de la patronne du FN en fait trembler plus d’un. Car Marine Le Pen c’est avant tout, et surtout, un corps conquérant qui s’anime et modifie l’espace.

Pour la première fois, rien de tout cela jeudi dernier. Le charisme s’est envolé. Cachée derrière des lunettes -qui n’ont rien d’anecdotiques et ne sont pas le fruit du hasard – Marine Le Pen a donné une nouvelle image. Les hésitations ont été plus nombreuses, le débit de la voix plus lent et monotone, l’ex-candidate a lissé son discours, autant que la prise de parole. Fatigue automnale ou nouveau positionnement idéologique ? A n’en pas douter, Marine Le Pen est dans le contrecoup d’une défaite politique certaine, laissant la place vacante pour l’opposition, avec un parti en déliquescence dont seules les bases les plus extrémistes sont restées fidèles. Les prochains mois montreront-ils une capacité du parti à construire du sens ?


Un positionnement plus « intello » dans le sillon d’un Jean-Luc Mélenchon

Les lunettes sont sans doute le symbole le plus visible de ce nouveau positionnement. Moins anecdotique qu’il n’y paraît, elles signifient la volonté de « changer de point de vue » et de « prendre de la hauteur ». Voir « le monde avec d’autres lunettes » et « changer ses lunettes » sont ainsi des expressions couramment utilisées en langue. Souvent manipulées lors du débat de jeudi soir, ces formules sont également l’indice de la volonté de Marine Le Pen d’entrer dans le détail des « dossiers » (qu’elle n’avait pourtant pas amenés avec elle cette fois-ci…). C’est pour la forme.

Pour le fond, on retrouve ce même positionnement « intello » voulu, mis en mots par la représentante FN : « nous allons travailler sur le fond », « nous sommes entourés d’intellectuels » a-t-elle pu déclarer.

Les points en commun discursifs avec le leader des Insoumis s’accumulent donc. Les positionnements viennent parfois se confondre : tous deux montrent une lassitude certaine après la campagne présidentielle (Gilles Bouleau a ainsi « malmené » le leader de l’extrême gauche cette semaine sur le plateau du 20 heures), tous deux ont une difficulté à fédérer au-delà de leur personne, enfin, tous deux sont des tribuns hors pair. De là à ce que les discours philosophiques dont Jean-Luc Mélenchon nous a nourri pendant ses meetings, ressemblent aux discours de demain portés par Marine Le Pen, il reste toutefois un grand pas…

 

Élodie Mielczareck


Sémiologue, analyste du langage verbal et non verbal (www.analysedulangage.com), Élodie Mielczareck est l’auteure de « Déjouez les manipulateurs – l’art du mensonge au quotidien » (Ed. nouveau Monde, 2016).

Déjà paru dans Opinion Internationale : https://www.opinion-internationale.com/2017/10/03/retour-sur-le-duel-tv-melenchon-philippe-le-match-de-boxe-naura-pas-eu-lieu-lanalyse-delodie-mielczareck_51740.html

Relisez l’interview d’Elodie Mielczareck sur Marine Le Pen pendant la campagne présdidentielle parue à la une d’Opinion Internationale

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